Je suis récemment tombé sur une série de photos de « travailleurs islamiques », si c’est ainsi qu’il faut les nommer, détruisant systématiquement des croix, des statues et d’autres symboles sur les églises et bâtiments chrétiens récemment pris en Irak et en Syrie. Le principe étant, je le suppose, qu’on n’est autorisé à voir que ce que la théologie autorise à voir. Mes yeux n’ont pas à voir la réalité tant que celle-ci n’a pas été façonnée à l’image de ce que je crois valoir la peine d’exister et d’être vu.
En redescendant de la montagne, Moïse a vu les Israélites adorant des veaux d’or qu’ils venaient de fabriquer à partir des bijoux de leurs femmes. Il en a été si furieusement contrarié qu’il a ordonné que les idoles soient brisées, broyées et jetées à la rivière. Ensuite, il a fait boire le peuple. Et personne ne l’a châtié pour avoir détruits des artefacts culturels inestimables, pour ne pas avoir su se contrôler ou pour avoir pollué l’eau.
Dans le chapitre 5 de Saint Jean, nous trouvons le récit de l’homme infirme qui ne pouvait descendre dans la piscine quand l’eau bouillonnait. Le Christ contourne cette nécessité en le guérissant sur place. Il lui dit de prendre son grabat et de retourner chez lui. Manque de chance, cette guérison survient un jour de sabbat. Les autorités locales veulent savoir pourquoi l’homme viole le repos du sabbat. Au début, il ne savait pas qui l’avait guéri mais plus tard, Jésus Lui-même le lui explique. L’homme dit aux autorités juives que c’était Jésus. Apprenant cela, ils ont commencé à Le persécuter. Jésus a expliqué ultérieurement qu’il agissait au nom du Père. Les autorités ont correctement interprété cette déclaration comme une revendication à la divinité. Par conséquent, elles ont cherché à Le détruire pour s’être fait Dieu, c’est à dire, à leurs yeux, une idole.
Ces trois récits ont quelque chose en commun. Les constructions ne devraient pas exister si elles affichent des insignes blasphématoires. Les idoles devraient être détruites. Les hommes prétendant être des dieux devraient être éliminés. La pérennité des choses dépend de l’opinion que nous avons d’elles. Certaines d’entre elles n’auraient pas dû être créées, d’autres ne devraient pas être vues. Comme Platon le savait, la vue et l’ouïe ont des effets considérables sur nos âmes, tant dans le bien que dans le mal.
En outre, dans de nombreuses sociétés, nous trouvons des lois destinées à préserver le passé. Personne n’est autorisé à détruire les fameux monuments historiques, pas même à en modifier l’aspect, qu’il s’agisse d’églises, de maisons ou de jardins. En vue de ne pas simplement nous limiter à vivre dans le moment présent, nous avons besoin de voir et d’écouter les façons dont les gens ont vécu sous d’autres cieux et à d’autres époques.
Les musulmans ont récemment détruit des sanctuaires et des monuments bouddhistes, assyriens et chrétiens. Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, les trésors d’art étaient cachés ou éloignés des zones de combat afin qu’ils ne soient pas détruits. Certains suggèrent que nous commencions à déplacer les trésors d’art chrétiens vers le Nouveau Monde avant que les musulmans n’aient l’opportunité de les détruire.
Mais, bien sûr, que faire des vieilles églises et des bâtiments qui ne sont plus utilisés ? Les évêques ont été plus occupés à fermer des églises et des écoles qu’à en ouvrir de nouvelles. Quiconque a lu Samuel Johnson sait quelque chose des destructions d’églises et sanctuaires catholiques perpétrées par la Réforme en Écosse et en Angleterre. On ne compte plus les édifices publics et privés qui ont été couverts de graffitis à la bombe ces dernières décennies.
Certaines choses nécessitent d’être détruites, ou remaniées. La civilisation ne consiste pas uniquement à préserver le passé. On pourrait monter tout un dossier sur l’utilité de l’obsolescence. Les lois italiennes de protection de l’histoire sont connues pour empêcher toute construction de route ou de bâtiment dès lors que des ruines anciennes sont découvertes. De façon similaire, les lois américaines sur l’écologie interviennent quand une espèce particulière de crapaud ou d’insecte est menacée.
Une société qui détruit son propre passé détruit probablement aussi son avenir. Mais y a-t-il des « images taillées » qu’il soit nécessaire de détruire, comme les veaux d’or ? Quand nous prenons conscience que le Christ Lui-même a été considéré comme une idole, nous devrions reconnaître la nécessité d’une pensée claire sur ce sujet.
Ce n’est pas ce qui entre dans l’homme qui le souille, c’est ce qui en sort. La mort du Christ nous a garanti qu’aucun objet créé n’est un dieu. Désormais, les hommes sont libres d’être eux-mêmes, de voir les choses telles qu’elles sont. Les hommes sont libres de faire des statues, des images et des sanctuaires qui les aident à adorer Dieu. Quand les êtres humains ne sont plus considérés comme créés à l’image de Dieu, ils perdent leur signification.
Ce qui se cache derrière la destruction des bébés dans le ventre de leur mère et la destruction des croix dans les églises, c’est leur désacralisation respective. L’ultime « image taillée » est une volonté sans limite qui ne voit que soi-même comme « bien », ou pour mieux dire comme « homme ». Tout le reste peut être détruit ou permis, si le cas se présente.
James V. Shall S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant trente-cinq ans, est l’un des écrivains catholiques américains les plus prolifiques.
Illustration : Des militants de l’État Islamique se mettant en scène en train de détruire à coup de marteau des artefacts millénaires dans un musée du nord de l’Irak. Après coup, certains ont dit qu’il ne s’agissait en fait que de reproductions en plâtre ?
source : http://www.thecatholicthing.org/2015/03/31/on-destroying-graven-images/