Nous ne sommes pas prêts de sortir de la crise de conscience imposée par le drame massif des naufragés de la Méditerranée. Chaque jour apporte son lot d’informations et de déclarations à ce sujet. La pression se fait plus forte à notre frontière italienne, avec un flot de réfugiés qui ne cesse de grandir. C’est pourquoi le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur se sont rendus sur place, incités d’ailleurs par les élus de l’opposition des Alpes-Maritimes. Manuel Valls a déclaré, en gare de Menton, que la France s’opposerait à la politique des quotas proposée par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. D’évidence, la situation est tendue, avec une opinion publique massivement hostile à la pression migratoire.
Il est vrai que l’on assiste au long des années, à une crispation de plus en plus grande de populations qui estiment que leurs pays ne sont plus en mesure d’accueillir de nouvelles vagues de migrants, ne serait-ce qu’en raison du chômage et de différents facteurs, parmi lesquels il faut compter « l’insécurité culturelle », pour reprendre l’expression de Laurent Bouvet. Il suffit de suivre les discussions acharnées à propos de l’islam pour s’en convaincre. Le dernier essai d’Emmanuel Todd et la tempête qu’il a déclenchée ont ouvert la dernière séquence d’un film qui n’est pas prêt de s’arrêter.
Dans ces conditions, certains s’interrogent. Aurions-nous perdu toute générosité à l’égard des plus misérables ? Et de rappeler le grand élan de solidarité pour la sauvegarde des boat-people vietnamiens en 1979. Un Bernard Kouchner s’était distingué avec son bateau L’île de lumière qui recueillait les naufragés. Le contexte était différent. Nous étions alors en plein retournement intellectuel à l’égard du communisme qui apparaissait dans l’évidence de sa nature totalitaire et persécutrice. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un autre bouleversement mondial, avec le phénomène de la globalisation et la redistribution de ce que François Perroux appelait « les effets de domination ». Et puis il y a la menace d’un islamisme terroriste. Voilà qui impose, ne serait-ce que de la part des intellectuels, des repositionnements qui sont loin d’être évidents. Que diraient un Jean-Paul Sartre et un Raymond Aron aujourd’hui ? Et même un Michel Foucault ?