Quand sommes-nous humains ? - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Quand sommes-nous humains ?

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« Portait d'une jeune femme » par Jean-Etienne Liotard, fin du XVIIIe siècle

« Portait d'une jeune femme » par Jean-Etienne Liotard, fin du XVIIIe siècle

[Musée d'Art de Saint-Louis, Missouri]

Le « droit à la liberté reproductrice », ainsi qu’on le nomme est un « droit » intéressant. On aurait pu penser que ce serait un « droit » qui aurait empêché le gouvernement chinois de stériliser des femmes ou d’imposer la politique de l’enfant unique. Mais étrangement ce n’est pas cela. En pratique, c’est le droit d’abréger la vie d’un autre être humain.

Il est vrai qu’il y a ceux qui prétendent qu’un bébé, même dix minutes avant qu’il naisse, n’est pas un « être humain ». Le bébé ne devient humain qu’après la naissance – et peut-être pas encore tout de suite. Des « éthiciens » tels que Peter Singer de Princeton soutiennent que le nouveau-né ne devrait pas être considéré comme une personne avant ses trente jours. De même, le philosophe Michael Tooley prétend qu’un humain ne possède un droit à vivre « qu’autant qu’il possède le concept de soi en tant que sujet permanent d’expériences et d’autres états mentaux et croit qu’il est lui-même une entité permanente ».

Comment pourrions-nous jauger « scientifiquement » la présence ou l’absence d’un adéquat « concept de soi », particulièrement, disons, chez les adolescents fumeurs de marijuana ou chez les sans-abris dans les rues, c’est difficile à dire. On aurait tendance à penser que c’est une pente glissante.

Ces hommes, et d’autres partisans de l’avortement, tiennent souvent des postes influents dans de grandes universités. Pourtant, l’histoire procure souvent des leçons et des perspectives précieuses dans de tels domaines. Je suggère la lecture des comptes-rendus des arguments de philosophes et scientifiques de haut niveau du dix-neuvième siècle utilisés pour « démontrer scientifiquement » que les noirs étaient une forme « inférieure » d’être humain et n’étaient donc pas des personnes au sens de la Déclaration d’Indépendance.

Plusieurs philosophes majeurs des Lumières tels que Kant, Voltaire et Hume étaient adeptes de l’inégalité des races et exprimaient des jugements négatifs sur les Africains comme race « primitive ». Le botaniste suédois Charles Linné et le physiologiste allemand Johann Blumenbach plaidaient en faveur d’espèces distinctes d’Homo sapiens. Les scientifiques les ont rapidement classées, particulièrement les biologistes évolutionnistes qui tenaient pour le polygénisme, la genèse multiple de différentes espèces plutôt que pour le monogénisme prôné par le récit biblique de la création. Beaucoup ont prétendu que les noirs étaient moins « évolués ».

En 1799, Charles White, un médecin de Manchester, a publié la première étude « scientifique » des races humaines. Il avait scrupuleusement mesuré les parties du corps d’un groupe de blancs et de noirs, prêtant l’apparence d’une science poussée à ses conclusions qui statuaient que les Noirs, les Amérindiens, certaines tribus asiatiques et les Européens étaient différentes espèces, et que ces espèces n’avaient pas le même rang.

Thomas Jefferson, dans ses « Notes sur l’état de Virginie » rapportait son « analyse » des noirs : « leur existence apparaît participer davantage de la sensation que de la réflexion », ce qui justifiait leur état d’esclaves. On se demande s’il les aurait jugé posséder suffisamment « le concept de soi en tant que sujet permanent d’expériences et d’autres états mentaux ».

En 1851, l’illustre médecin William Cartwright, professeur en « maladies des nègres » à l’université de Tulane, rapportait à ses collègues médecins de l’Association Médicale de Louisiane que les « nègres » avaient des cerveaux et des vaisseaux sanguins plus petits, ce qui expliquait leur tendance à l’indolence. La véritable cause de leur « dégradation d’esprit », concluait-il des résultats de ses études, était « l’hématose, ou oxygénation du sang, défectueuse, jointe à un manque de matière cérébrale… qui a rendu les peuples d’Afriques incapables de prendre soin d’eux-mêmes. » Cela sonne très scientifique mais c’est pure foutaise. Aussi éminents qu’aient été ces hommes, on les considère maintenant avec mépris.

Pourtant de telles théories persistent. J’ai lu récemment un article se lamentant sur la persistance du racisme blanc « en dépit de l’arrivée de la science moderne de l’ADN, qui a montré que la race était une construction foncièrement sociale. Il s’avère que les humains partagent 99,9% de leur ADN et que les caractéristiques physiques extérieures… n’occupent qu’une minuscule portion du génome humain. Absolument. Alors stipulons une fois pour toutes que tout être possédant l’ADN humain est pleinement humain, et non un « humain » de seconde classe dont les droits peuvent être niés.

Mais en 1857, toutes les philosophies et sciences très sophistiquées de l’époque ont conduit la Cour Suprême à décider pour la nation entière, dans le cas Dred Scott, que les esclaves noirs n’étaient pas et ne pouvaient pas être des citoyens des Etats-Unis. Il était largement admis, même parmi certains opposés à l’esclavage, que tenter d’annuler ce « droit à l’esclavage » aurait été trop révolutionnaire. Mieux valait laisser les choses en l’état.

A un rassemblement de l’Association Sudiste des Droits en 1851 (et par « droits », on entend ici le droit de posséder des esclaves et non le droit des esclaves), Josiah C. Nott, un médecin de Caroline du Sud, anthropologue et futur directeur médical dans l’armée confédérée, a dit aux défenseurs des « droits » rassemblés là que l’institution de l’esclavage devait être protégée parce que « elle a grandi avec nous depuis notre enfance, elle est devenue une part de notre être ; notre prospérité nationale et notre bonheur domestique en sont inséparables ».

Mais c’est presque comme s’il soutenait que l’institution « ne pouvait pas être rejetée sans entraîner une sérieuse injustice envers les gens qui, durant deux décennies de développement social et économique ont… fait des choix qui définissent leur vision d’eux-mêmes et leur place dans la société en relation avec » l’institution de l’esclavage. Ah mais non, ça c’est ce que le juge Kennedy a écrit en 1992 sur l’avortement dans l’arrêt Planning Familial contre Casey.

Non seulement nier la pleine humanité de tous les êtres humains biologiques a toujours été une erreur, mais cela s’est montré de façon répétée une des pires erreurs que nous ayons jamais faites. Et pourtant nous continuons de la commettre et avons horreur de l’abandonner une fois que nous la commettons.