Quand le Catholicisme influençait la Culture - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Quand le Catholicisme influençait la Culture

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La plupart des catholiques américains ne se doutent pas de la richesse et de l’importance du catholicisme dans la culture américaine avant les grands bouleversements des années 60. L’imprimerie de l’université Notre-Dame vient de publier un livre qui relate seulement un brin de cette riche tapisserie : les lettres de Robert Giroux et de Thomas Merton, avec des annotations de Robert Samway, S.J.

La correspondance entre ces deux camarades de classe de l’université Columbia fait connaître beaucoup de choses sur la carrière publique et la personnalité privée de Merton, depuis la mort de sa mère quand il avait sept ans, jusqu’à sa première éducation en Europe et son chemin spirituel – qui l’a conduit à embrasser la vie d’un moine cistercien à l’Abbaye de Gethsemani dans le Kentucky.

Merton reçut son diplôme de l’université Columbia en 1938 et s’inscrivit immédiatement dans le programme de la maîtrise avec l’intention de faire un doctorat avec une thèse sur la poésie de Gerard Manley Hopkins. En tant qu’étudiant licencié, il allait aux conférences de Daniel Walsh qui lui a fait connaître Thomas d’Aquin et les œuvres d’Etienne Gilson et de Jacques Maritain. History of Christian Philosophy in the Middle Ages (L’Histoire de la philosophie chrétienne au Moyen Age ) de Gilson et Art and Scholasticism (Art et scolastique) de Maritain émurent Merton : « J’ai à la fois acquis un immense respect pour la philosophie catholique et pour la foi catholique. »

Au mois d’août de cette année-là, il commença à aller à la messe et en novembre il fut baptisé et reçut sa Première Communion. Merton enseigna la composition anglaise à Columbia pendant un semestre et peu après l’anglais à l’université St-Bonaventure. A 26 ans, il entra à l’Abbaye Notre-Dame de Gethsémani et prit le nom de Frère Maria Louis en religion.

Quelques années avant d’entrer au monastère, Merton feuilletait des livres dans une librairie de la Cinquième Avenue à New York et tomba sur son camarade de classe Robert Giroux. Merton avait écrit plusieurs romans et un livre de poésie, mais n’avait pas trouvé d’éditeur. Giroux était déjà dans l’édition et travaillait pour Harcourt and Brace où il éditait les œuvres d’écrivains tels que T.S. Eliot, Flannery O’Connor et des douzaines d’autres. De fil en aiguille Giroux devait éventuellement publier plus de vingt-cinq livres de Merton.

La vaste correspondance de Merton va bien au-delà de ce livre, mais il y en a des aperçus dans ses lettres et celles de Giroux. Jacques Maritain devint son correspondant permanent, Evelyn Waugh lui écrit pour le féliciter de The Seven Stories Mountain (La nuit privée d’étoiles ), Clare Booth Luce lui donne des conseils sur les dédales de l’édition.

De son côté, Merton fait des remontrances à Aleksei Surkov, le président de l’Association des Ecrivains Soviétiques (Soviet Writers Guild) parce qu’il ne soutient pas Boris Pasternak, l’auteur de Docteur Jivago qui n’avait pas l’autorisation d’être publié en Russie.

Waugh ne tarit pas d’éloges pour La nuit privée d’étoiles de Merton : « Je considère ce livre comme celui qui pourrait bien s’avérer être d’un intérêt permanent dans l’histoire de l’expérience religieuse. Personne ne peut se permettre de laisser de côté ce récit clair d’une expérience religieuse. »
Les Américains, affamés de sens et de but après les horreurs dela deuxième guerre mondiale, semblent déjà savoir cela instinctivement. Le premier tirage de 600.000 exemplaires fut rapidement épuisé et suivi d’autres tirages. Cependant, le New York Times refusa de l’inclure dans la liste des livres à succès parce que c’était un livre « religieux ».

Ses autres correspondants comprenaient Mark Van Doren et Daniel Walsh, Les deux professeurs préférés de Merton à Columbia ; Frère Martin d’Arcy, Aldous Huxley, Gregory Zilbourg, et la Baronne Catherine de Hueck Doherty. La correspondance de Merton avec Dom Jean Leclercq, OSB, de l’Abbaye de Clairvaux a été publiée séparément sous le nom de Survival or Prophecy (Survie ou Prophétie).

Note personnelle : peut-être à la suite d’une telle correspondance, alors que j’enseignais à Louisville, je devins chauffeur officieux de quelques-uns des invités de marque de Merton. C’est ainsi que je connus Merton et plus tard, quand j’organisais des retraites annuelles pour les enseignants de l’Ecole Bellarmine, j’en fis deux à Gethsemani dont Merton était le maître de la retraite et le guide des discussions.

Grâce à sa correspondance presque mondiale, Merton était bien informé des événements courants. Il suivait de près les débats de Vatican II, par exemple, en partie en lisant les rapports de « Xavier Rynne » dont il m’a demandé de lui donner des extraits pris dans le New Yorker (l’abbaye n’y était pas abonnée).

Pendant les retraites des enseignants, il devint évident que Merton et moi étions fréquemment à l’opposé de la gamme intellectuelle sur des sujets théologiques et sociaux. Et comme nous l’avons appris depuis, c’était un moine moins que parfait. Mais c’était un adversaire sympathique, et j’ai publié une de ses présentations dans un livre que j’ai édité : The Impact of Vatican II (La force d’impact de Vatican II).

Une fois, j’ai eu l’occasion de conduire à Gethsemani Mark van Doren, le grand savant et poète de Columbia, qui avait fait des conférences à Louisville. Merton, qui était à ce moment-là, le maître des novices, nous a invités à une conférence qu’il allait leur donner, merveilleuse présentation de « la conception de la nuit sombre de l’âme de Jean de la Croix ». Van Doren a ensuite donné une conférence sur la valeur d’une éducation libérale.

Ceci s’est passé à peu près une semaine après que l’on eut découvert, dans un épisode notoire, que Charles, le fils de Mark, était comédien – et non le jeune professeur extrêmement érudit de l’université Columbia pour lequel on le faisait passer dans le programme de télévision frauduleux, « La question qui vaut soixante-quatre mille dollars ». La première question que Merton posa à Van Doren fut : « Comment va Charles ? » Van Doren répondit simplement : « Charles a appris très tôt dans la vie à ne pas rechercher la gloire ni la fortune. »

Pourtant, c’étaient des jours magnifiques pour le catholicisme américain. A peu près en même temps que Merton donnait La Nuit privé d’étoiles par exemple, un diplômé récent de Harvard, Avery Dulles, publiait A Testimonial to Grace (Un témoignage pour la grâce). Sa conversion a suivi le même chemin que celle de Merton et de beaucoup d’autres, « Je me suis surpris à lire avidement les aristotéliciens modernes – auteurs catholiques comme Etienne Gilson et Jacques Maritain – et à adhérer à la logique de leur doctrine avec une ferveur que je ne pourrais pas retrouver aujourd’hui. »
Dulles, naturellement, devint un des plus grands théologiens et savants bibliques américains de sa génération, et fut nommé cardinal par Jean Paul II en 2001.


Jude P. Dougherty, Doyen emérite de l’école de philosophie de l’Université Catholique d’Amérique, est l’auteur de Briefly Considered (Presse St Augustin, Novembre 2015) son ouvrage le plus récent.