De prime abord, celui qui ne connaît pas l’Algérie pourrait imaginer Oran, souvent appelée la « radieuse », comme une ville baignée de soleil et balayée par les vents méditerranéens. Et la baie qui l’abrite comme un amphithéâtre majestueux enchâssant une scène bleu indigo. De fait, de nombreux peintres orientalistes, émerveillés par les couleurs locales, y ont bien souvent déployé leurs chevalets. Mais il est un aspect de la ville que l’on ignore souvent : naguère, à la moindre averse, elle pouvait vite se transformer en cloaque malsain où pullulaient les miasmes porteurs d’épidémies. « S’il y pleut, c’est le déluge et une mer de boue », écrivait Camus dans L’Été. Et ce n’est sans doute pas un hasard si ce dernier l’a choisie pour en faire le théâtre où se déroule La Peste.
Rien ne semble contenir le bacille
Loin du roman, c’est un mal bien réel qui frappe Oran au XIXe siècle. Une terrible épidémie de choléra survenue en septembre 1849. En un peu plus d’un mois, elle emporte près de 2 000 victimes sur une population estimée à moins de 30 000 habitants, et rien ne semble pouvoir la juguler. « Le choléra a fondu sur notre pauvre ville comme un vautour qui la couvre de ses ailes noires. Il est presque impossible de sortir de chez soi ni d’ouvrir sa croisée, sans entendre le râle de la dernière heure », écrit dans une lettre Pauline de Noirefontaine, une Française présente sur les lieux pendant le drame. Les hôpitaux sont débordés, des médecins militaires et des infirmières sont dépêchés de Paris, la population locale fuit les lieux et propage la maladie aux localités avoisinantes. Rien ne semble pouvoir contenir le bacille.
C’est du ciel, dans toutes les acceptions du terme, que viendra finalement le salut. Le général Pélissier, qui commande l’état-major local, prend acte de l’impuissance des moyens temporels et décide de s’en remettre à Dieu et à la Sainte Vierge. L’homme n’a rien d’un premier communiant, comme en témoigne la façon dont il intime à l’abbé Suchet, vicaire général, d’organiser les choses : « Je ne suis pas curé, et pourtant, c’est moi, Pélissier, qui vous le dis : faites des processions ! Foutez-moi donc une vierge là-haut, sur cette montagne ! Elle se chargera de jeter le choléra à la mer. » L’injonction ne se discute guère. En chantant des cantiques, les fidèles se réunissent dans le quartier de la Marine qui borde la mer et entreprennent de gravir les pentes de l’Aïdour, un contrefort du mont Murdjajo sur lequel les Espagnols, longtemps présents dans la région, avaient bâti le fort de Santa Cruz au XVIe siècle. Une statue de la Vierge les accompagne.
Cet élan de dévotion et de prière connaît un effet immédiat. Un rideau de pluie s’abat sur Oran, lavant le sol, les toits et les murs. La masse d’eau s’engouffre dans les égouts putrides et chasse vers la mer le liquide infect qui s’y était accumulé. La ville est sauvée.
Une chapelle en l’honneur de Marie
C’est de cet épisode que date l’affection toute particulière des Français d’Algérie pour Notre-Dame de Santa Cruz en l’honneur de laquelle une chapelle est bâtie deux ans plus tard, appelée à devenir ensuite un magnifique sanctuaire dominant la baie. En 1965, trois ans après l’indépendance de l’Algérie, l’évêque d’Oran, Mgr Bertrand Lacaste, fait don de la statue de la Vierge aux pieds-noirs qui s’étaient installés dans la région de Nîmes et voulaient y perpétuer un culte vieux déjà de plus d’un siècle. Aujourd’hui encore, des milliers de rapatriés et leurs descendants s’y rendent chaque année, emplis de nostalgie et d’espérance.