Notre réflexion sur la communion spirituelle nous a permis de comprendre que l’eucharistie est beaucoup plus que la seule célébration de la messe, même si elle conduit à cette célébration (cf. FC nos 3674 à 3676). Il en va de même de tous les sacrements, et d’abord du premier d’entre eux : on n’est pas baptisé pour avoir la foi, mais parce qu’on a la foi. Certes, les sacrements produisent la grâce de Dieu, nous diraient les théologiens, mais ce n’est pas pour autant leur célébration qui la produit.
Poser un acte de foi
C’est au moment où nous nous donnons à Jésus, c’est-à-dire au moment où nous posons un acte de foi, que cette grâce est libérée : « Amen, je vous le dis : celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, reçoit la vie éternelle et il est passé de la mort à la vie » (Jn 5, 24). Oublier cela serait oublier que seule la foi sauve, et conférer un pouvoir magique aux gestes liturgiques. J’ai le souvenir d’un catéchiste, par ailleurs excellent mais à la formation chrétienne un peu défaillante, qui n’avait pas été confirmé dans sa jeunesse ; lui proposant de l’être à l’âge adulte, il m’a répondu : « Ça ne servirait à rien, puisque vous voyez bien que je n’en suis pas moins chrétien, que je fais le catéchisme, j’aide la paroisse, etc. ! » Bref, il portait tous les fruits du sacrement !
Ce brave homme oubliait simplement que la liturgie de la confirmation ne « déclenche » pas la grâce de la confirmation, mais que la grâce de la confirmation conduit à sa liturgie. Au-delà de cette subordination de la liturgie à la foi, c’est le mystère chrétien le plus fondamental qui est en jeu, le mystère de l’Incarnation : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire » (Jn 1, 14) ; si bien que le sacrement doit aller jusqu’à cette visibilité. Appliquons cela au sacrement de pénitence.
Se confesser est l’aboutissement de tout un itinéraire, dont la partie liturgique est aujourd’hui réduite à sa plus simple expression : un aveu rapide suivi d’un signe de croix du prêtre sur le fidèle. Mais dans l’Antiquité, tout comme pour le baptême, il y avait plusieurs étapes, réparties sur des mois ou des années, chacune accompagnée de sa célébration propre, jusqu’à ce que soit pleinement formé l’acte de foi en la miséricorde de Dieu que l’absolution venait authentifier et sceller.
De la grâce au sacrement
Aujourd’hui, même si les procédures pénitentielles se sont énormément simplifiées, le même itinéraire suppose la grâce du sacrement pour aboutir : c’est elle qui a éveillé chez le pénitent le désir de vivre ce qu’il finira par célébrer, elle qui a provoqué son repentir, qui l’a mis sur le chemin de la conversion, puis de l’aveu, et enfin de l’absolution.
Pensons au retour de l’enfant prodigue : « Ton frère est revenu à la vie, alors nous pouvons enfin tuer le veau gras ! »
Avant de savoir comment la confession sera possible en temps de confinement, l’important est donc de bien comprendre que l’on ne se confesse pas pour être pardonné, mais parce que l’on est pardonné, et que l’on vit déjà la grâce du pardon, dès que le repentir est là.
Inversement, dix absolutions sans ce repentir et sans l’intention réelle de se convertir n’auraient aucun effet surnaturel, tout comme la communion à la messe sans la communion spirituelle ne porterait aucun fruit.
Pas de dispense pour se convertir
Voilà pourquoi la discipline de l’Église ne dit pas : « En cas de virus, vous êtes dispensés de vous confesser », mais « Convertissez-vous, et quand la liturgie de pénitence sera de nouveau possible, célébrez cette conversion. » Une grave erreur serait de dire : « Du fait de l’épidémie, je suis obligé de rester séparé de Jésus. » Non, seuls sont séparés de Jésus ceux qui le veulent.
Pas besoin du sacrement ?
Une autre grave erreur serait de dire : « Il n’y a pas besoin du sacrement de pénitence, puisque de toute façon on est pardonné quand même ! » Non, le sacrement est déjà vivant en celui qui le désire, et il finira de prendre toute sa place dans sa vie quand finalement il le célébrera ; mais encore faut-il avoir réellement l’intention de le célébrer pour que le désir soit sincère.
En attendant, ce n’est pas renoncer au sacrement que d’en différer la célébration quand elle n’est pas raisonnablement possible immédiatement, c’est respecter les conditions humaines de l’accueil de Dieu, respecter l’Incarnation, résumé de toute notre foi.
Ajoutons que ce temps de privation liturgique nous donne l’opportunité de dépasser les débats classiques mais bien peu spirituels sur « le droit de communier » pour les uns, « l’absolution collective » pour les autres, « le droit de distribuer la communion » pour d’autres encore : autant de fausses questions qui s’évanouissent quand on comprend que seule la foi nous sauve, mais que la foi est un acte humain et divin tout à la fois, qui suppose la grâce de Dieu et l’adhésion de l’homme. Alors s’opère l’Incarnation de Dieu en l’homme à travers les paroles et les gestes du Christ perpétués dans son Église.
Et si l’on veut bien lire d’un peu près ce que l’Église nous dit sur la façon de vivre et célébrer les sacrements, on verra qu’elle reste fidèle sans la moindre distorsion à ce que Jésus a institué et qui traverse les siècles.