Une question : « Quel est l’événement le plus important de la vie de l’Église au cours des soixante dernières années ? » Si vous répondez : « le Concile Vatican II » (1962 – 1965), St. Jean-Paul II pourrait bien s’inscrire en faux. Il aurait sans doute déclaré que c’est le passage au Troisième Millénaire.
Parmi les nombreux événements marquants concernant Jean-Paul II, le plus notable était sa vision prophétique de sa papauté. Élu en 1978, il publie aussitôt sa première Encyclique (Redemptor hominis), et y parle de sa mission de guide de l’Église pour son entrée au nouveau millénaire. Il était relativement jeune, sportif, en bonne santé. Cependant, à son sens, être pape au passage de l’an 2000 aurait impliqué une des plus longues papautés des temps modernes. Ce qui, en termes humains, pouvait sembler intempestif. Et pourtant, il avait dit vrai.
Premiers mots de cette Encyclique : « LE RÉDEMPTEUR DE L’HOMME, Jésus-Christ, est le centre du cosmos et de l’histoire. ….. En effet, le moment où, après mon très cher prédécesseur Jean-Paul Ier, Dieu m’a confié, dans son dessein mystérieux, le service universel lié au Siège de Pierre à Rome, est déjà bien proche de l’an 2000. » Vingt-deux ans, ”bien proche” ? Apparemment, selon une Église qui pense en siècles et vit en millénaires.
Mais le changement de millénaire aurait-il donc tant d’importance ? On pourrait tout aussi bien demander si votre anniversaire a une grande importance, ou pourquoi se soucier de célébrer des fêtes telle celle de Noël ?
Un millénaire, ce n’est qu’un ”jour” pour le Seigneur, comme l’enseigne le psalmiste : « Car mille ans sont à tes yeux comme le jour d’hier qui passe. » (Ps, 90-4). Le premier pape était encore plus emphatique : « Mais voici un point, très chers, que vous ne devez pas ignorer : c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme certains l’accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que nul ne périsse, mais que tous arrivent eu repentir. » (2P, 3:8-9).
En raison de l’Incarnation, selon l’enseignement de Jean-Paul II, les Chrétiens n’ont pas le droit de considérer le temps comme une simple convention insignifiante. « L’éternité a pénétré le temps : y a-t-il plus grand événement ? » ( Tertio millenio adveniente) Puis : « Le temps a dans la Chrétienté une importance fondamentale . . . . De ce rapport du temps à Dieu se dégage le devoir de sanctifier le temps. » En fait, il nous faut “offrir le temps en sacrifice“ à Dieu. Il en appelle à l’année liturgique, et à l’observation du repos dominical, et il souligne que, lors de la veillée pascale, le célébrant inscrit l’année sur le cierge pascal en disant : « Christ hier comme aujourd’hui . . . tout le temps Lui appartient. »
Selon Jean-Paul II son pontificat proposait à l’Église une interprétation raisonnée et apaisée la soulageant du devoir de sanctification du temps à l’échelle du millénaire. Les Conciles se tiennent, puis passent. Vatican II était le dixième concile du deuxième millénaire, et il y en eut près d’une dizaine au cours du premier millénaire. Un millénaire a plus d’importance, bien sûr, non par un enseignement (il n’en dispense aucun) mais par les étapes qu’il marque dans la vie de l’Église.
Alors, notons un point remarquable au sujet de Jean-Paul II. Son pontificat a proposé à lÉglise une interprétation autorisée et apaisante du Deuxième Concile du Vatican. Tout d’abord, il a choisi son nom “Jean-Paul“ de ceux des deux papes de ce Concile. Pratiquement toutes les annotations aux documents de son magistère font référence aux documents du Concile. Nul n’a mieux que lui exprimé son amour, ni sa compréhension, du Concile. Ses nombreux écrits magistraux exploraient tous les domaines traités par le Concile ainsi que d’autres sujets (par exemple Veritas Splendor, sur la théologie morale).
Et pourtant il tente de voir ce grand Concile comme un prologue au nouveau millénaire. En 1994, à l’approche du millénaire suivant, il écrivait : « À ce point de vue, on peut affirmer que le Concile Vatican II fut un événement providentiel grâce auquel l’Église a pu entamer la préparation du Jubilé du Deuxième Millénaire. »
« Un scribe du royaume des cieux sort des nouveautés de son magasin comme des choses anciennes. » Jean-Paul II n’avait nulle intention de minimiser la nouveauté issue du Concile. Mais alors qu’il situait le Concile dans le contexte du millénaire, il considérait son pontificat comme promoteur de 2000 années de pieuse tradition et de doctrine.
L’expression “herméneutique de continuité“ désigne typiquement le point de vue du Concile sur les évènements les plus récents. C’était presque instinctif chez Jean-Paul II : « On regarde souvent le Concile Vatican II comme le début d’une nouvelle ére de la vie de l’Église. C’est vrai, mais en même temps il est difficile de ne pas remarquer que l’Assemblée conciliaire a eu largement recours aux expériences et aux réflexions de la période antérieure, spécialement du patrimoine de pensée de Pie XII. Dans l’histoire de l’Église, le “vieux“ et le “neuf“ sont toujours étroitement mêlés. (Lettre apostolique TERTIO MILLENIO ADVENIENTE, §18).
Mais le plus remarquable chez lui était sa piété envers l’héritage des deux mille ans de l’Église, que révèle d’abord le choix de son nom: « par ces deux noms et ces deux pontificats je suis attaché à l’entière tradition du Saint Siège et à tous mes prédécesseurs du vingtième siècle et de tous les siècles précédents. Je suis relié par tous, l’un après l’autre, de tous temps, au plus ancien, selon les termes de la mission et du ministère transmettant au Siège de Pierre un rôle particulier au sein de l’Église.
Jean-Paul II a légué à l’Église un guide éclairé en vue “d’un renouveau de l’évangélisation“ pour le nouveau millénaire. (Tertio millenio ineunte). On reste perplexe : comment un tel événement aussi significatif pourrait-il perdre sa signification ?
6 février 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/02/06/what-ever-happened-to-the-third-millennium/
Photo : 1979 – S.S. Jean-Paul II à Washington.
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