PSYCHOLOGIE ET PSYCHANALYSE - France Catholique
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PSYCHOLOGIE ET PSYCHANALYSE

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En rapportant ici, et sans prendre de gants, ce que les psychologues pensent de la psychanalyse, je m’attendais à des réactions. Je savais d’avance, et je l’ai dit (a), que la discussion avec ses adeptes ne peut pas être scientifique, mais seulement passionnelle. Comme l’ont montré Ellenberger (b), Sargant (c) et d’autres, l’adoption de la doctrine psychanalytique est une conversion de type politique ou religieux1. Ces réactions, je les ai eues. Avant d’en dire un mot, je voudrais préciser plusieurs points.

D’abord, qu’il soit bien entendu que dans cette affaire je ne suis le porte-parole de personne : ni de notre journal, ni de ses collaborateurs, ni bien entendu de l’Église. Je me borne à faire état de ce qu’écrivent les psychologues et les spécialistes de la méthodologie scientifique.

La place de Freud

Quant au reste, sur la question de fond, je décline toute responsabilité : citant toujours mes sources, je prie le contestataire de s’en prendre aux auteurs que je cite. Il est vrai que j’ai choisi de les citer. Mais le travail était facile : sur le point précis que j’ai abordé, à savoir le caractère scientifique ou non de la psychanalyse, l’unanimité existe chez les psychologues professionnels. Si quelqu’un connaît un psychologue professionnel ayant montré quelque part que la psychanalyse est une science, ou publié des travaux scientifiques en psychanalyse, je serais bien aise que l’on me l’indiquât.

Quand on veut connaître les points de vue rassemblant la majorité ou l’unanimité des savants dans une discipline, il suffit de consulter les Manuels et les Précis destinés à l’enseignement de cette discipline. Les auteurs de ces Manuels sont très prudents. Ils savent que, pour être retenu pour leur cours par leurs collègues spécialistes, leur ouvrage doit rassembler une majorité de suffrages. Quand il existe une minorité, on signale que l’unanimité n’existe pas et on expose les divers points de vue, en mesurant l’importance des textes à celle des diverses écoles2.

Cela dit, voici ce que l’on trouve dans les trois plus récents manuels de psychologie en ma possession.

Introducing Psychology, ouvrage collectif (D. S. Wright, A. Taylor, D. R. Davis, W. Sluckin, S. G. M. Lee, J. T. Reason, du département de psychologie de l’Université de Leicester), édité par Penguin Books en 1971. J’ai la 2e édition (1971). C’est un livre de 736 pages que la revue scientifique anglaise New Scientist qualifie de « bien conçu, écrit avec clarté, bien documenté… plus que compétitif par rapport aux ouvrages américains correspondants ».

Dans ces 736 pages, une page et demie est consacrée à l’exposé des fondements de la psychanalyse (p. 521-2) ; c’est-à-dire, en fait, à la typologie des trois stades (oral, anal, phallique), exposé dont voici la conclusion : « On peut dire que le contrôle expérimental de cette typologie est ambigu. » Les auteurs renvoient ici à un travail de R.R. Sears datant de 1944 (d) et dont les conclusions sont en effet très incertaines.

Outre cette page et demie, le nom de Freud est mentionné à neuf reprises dans le livre, mais pas une seule fois pour lui attribuer une découverte, ou un fait admis. A la page 31, on explique en deux lignes que les « données cliniques » du cabinet de psychanalyse sont inévitables, puisque le psychanalyste a été endoctriné dans ces « données » pendant son apprentissage (e). Page 288, à propos des trois stades mentionnés plus haut, il est dit : « Pour être confirmées ou réfutées, de pareilles suggestions devraient pouvoir être testées par des observations rigoureuses. Rien de cette veine n’a été fait jusqu’ici. »

Passons : toutes les autres mentions de Freud sont de même inspiration. En tout, la psychanalyse n’occupe pas cinq pages sur 736, et ces cinq pages sont essentiellement consacrées à dire qu’il n’y a là rien de scientifique.

Panorama of Psychology (par N.H. Pronko, professeur à la Wichita State University), Brooks et Co. Editeurs, Belmont, Calif. 1969. C’est aussi un manuel d’étudiant. L’auteur déclare dès les premières lignes de la préface qu’il a voulu « introduire le lecteur dans le large panorama de la psychologie contemporaine en dressant la carte de ses champs de recherche significatif, de ses grandes controverses et de ses divisions traditionnelles ». Dans ce panorama de 531 pages grand format, le mot « psychanalyse » n’est pas mentionné une seule fois. Freud est cité une fois, et encore est-ce dans une incise à propos d’Ernest Jones : « … Ernest Jones, le fameux disciple de Freud… » (p. 217). C’est tout.

Introduction to Psychology (par J.O. Whittaker, R. Sergeant, et S.M. Luria ; Whittaker est professeur à l’Université d’Etat de Pennsylvanie, Luria et Sergeant appartiennent à l’U.S. Medical Research Laboratory (il ne faut pas confondre le Luria américain avec son homonyme russe3), édité par Saunders, Philadelphie 1970. C’est le plus volumineux des trois et le plus répandu.

Le nom de Freud est mentionné huit fois, le mot psychanalyse deux fois. La première, page 18, pour indiquer qu’il ne faut pas confondre la psychanalyse avec la psychologie : « Le psychanalyste, peut-on lire, a généralement un diplôme de docteur en médecine et souvent aussi une spécialisation en psychiatrie… Il diffère [du psychologue clinicien et du psychiatre] en ceci qu’il utilise des techniques spéciales. »

Des répondants qui ne signent pas !

Quelles sont ces techniques ? Les auteurs les exposent en moins de six pages, dont plus de la moitié d’illustrations, et encore s’excusent-ils :

– La psychanalyse, écrivent-ils, est maintenant une petite profession et ses techniques sont limitées à certains types de problèmes émotionnels. Cependant, malgré son peu d’importance et les limitations de ses méthodes, la théorie psychanalytique – et spécialement la théorie freudienne – imprègne la mentalité de beaucoup de thérapeutes non psychanalystes et, pour cette raison, elle est quand même très importante. »

Whittaker pas plus d’ailleurs que les auteurs des autres livres cités ici n’est hostile à Freud. Il a une grande admiration pour lui (moi aussi, j’admire Freud comme écrivain)4:

« Nous ne devons pas perdre de vue, écrit-il (p. 473), que la théorie freudienne sur la personnalité (c’est-à-dire, ici, les trois stades), quelles que soient ses insuffisances, représente une des étapes les plus significatives de l’histoire humaine. Sa contribution essentielle est sans doute d’avoir suscité une grande controverse et l’intérêt pour ce domaine, et donc d’avoir conduit à une grande accumulation d’informations. » Whittaker ajoute qu’il est facile de critiquer Freud quarante ans après grâce à des progrès qui, peut-être, n’auraient pas été acquis sans cette controverse. Mais, en définitive, dans son livre, il ne reste rien de l’œuvre de Freud5.

Est-il besoin de multiplier les exemples ? La place de la psychanalyse dans la science appelée psychologie est bien, comme je l’ai écrit, nulle. C’est qu’elle n’est pas une science. Les psychologues lui reconnaissent parfois la valeur d’une petite technique peut-être utilisable dans certains troubles émotionnels, mais dont les résultats cliniques sont de toute façon suspects.

Je remarque que, sur la dizaine de lettres contestataires que j’ai reçues, trois seulement étaient signées. Des lettres anonymes : voilà de la bonne argumentation scientifique.

Aimé MICHEL

(a) France Catholique-Ecclesia : n°1370, p. 7, 3e colonne.6

(b) H. F. Ellenberger : The Discovery of the Unconscious (New York, 1970, page 550).

(c) W. Sargant : Physiologie de la conversion politique et religieuse (PUF, Paris, 1967), p. 170.

(d) R. R. Sears : Experimental analyses of psychoanalytic phenomena, in J. Mc V. Hunt : Personality and Behaviour Disorders, vol. I, Ronald Press, 1944.

(e) Ellenberger remarque aussi que le malade fait des rêves freudiens en suivant une cure freudienne, jungiens quand son analyste est jungien, etc.7 L’expérience est facile à faire, et je l’ai faite.

(*) Chronique n° 138 parue initialement dans France Catholique-Ecclésia – N° 1373 – 6 avril 1973.

Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 16 juillet 2012

  1. Dans son livre aujourd’hui classique cité en note b, Histoire de la découverte de l’inconscient (traduit par J. Feisthauer, présenté par E. Roudinesco, Fayard, Paris, 1994), Henri F. Ellenberger émet « l’hypothèse que les systèmes de Freud et de Jung » sont essentiellement le fruit d’une maladie qu’il appelle « névrose créatrice » pour la distinguer d’une névrose banale. Il la décrit ainsi : « Cet état assez exceptionnel fait suite à une longue période de labeurs et de tourments intellectuels sans répit. Les symptômes sont la dépression, l’épuisement, l’irritabilité, l’insomnie, la migraine. Bref, le tableau est celui d’une névrose grave, parfois même d’une psychose. Les symptômes peuvent varier dans leur intensité au cours du temps, mais le sujet reste continuellement obsédé par une idée ou par la poursuite d’un but difficile à atteindre. Il vit dans un isolement spirituel complet, il croit que personne ne peut l’aider ; il essaie de se guérir lui-même et n’en éprouve qu’une souffrance accrue ; cet état peut durer trois ans ou plus, puis guérit spontanément, pour faire place à une merveilleuse euphorie et une métamorphose de la personnalité. Guéri de tous les symptômes précédents, le sujet est convaincu qu’il a accédé à un nouveau monde spirituel, ou qu’il a atteint une nouvelle vérité spirituelle qu’il révélera au monde. » (p. 900).

    La maladie créatrice de Freud, qui l’affecta de 1894 à 1900, nous est connue par sa correspondance avec son ami Wilhelm Fliess ; nous en avons déjà parlé en marge de la chronique n° 71, La science des rêves, parue ici le 28.03.2011. Durant cette période, il réduisit ses liens avec l’université et les associations professionnelles et s’attacha à retrouver les souvenirs perdus de sa première enfance en ayant recours à des associations spontanées. Cette période s’acheva par sa découverte de la méthode psychanalytique et d’une nouvelle théorie de l’esprit. La maladie créatrice de Jung, l’affecta de fin 1913 à 1919, période pendant laquelle, après avoir démissionné de différents postes et fonctions qu’il occupait, il ne publia que peu et ne donna pas de conférences. En décembre 1913, il commença des exercices, comme de dessiner ses rêves tous les matins, destinés à faire émerger dans le conscient des images issues de l’inconscient. L’expérience n’était pas sans danger et menaça de le submerger. Lors d’un épisode fort singulier de cette expérience, il se posa cette question : « Ce que je suis en train de faire, est-ce réellement de la science ? » Une voix de femme lui répondit : « C’est de l’art ! ». « Il comprit, poursuit Ellenberger, qu’il recelait en lui une sous-personnalité féminine autonome qu’il appela son anima. L’anima empruntait la voix d’une femme qui avait à cette époque une certaine influence sur lui. » (Etait-ce sa patiente Sabina Spielrein, dont le récent film de David Cronenberg, A Dangerous Method, narre les relations avec Jung ?) « Peu à peu, Jung eu l’impression qu’il sortait d’une longue nuit, et il fit en même temps une autre découverte importante : le processus dans lequel il s’était engagé avait une fin ; il conduisait l’individu à la découverte des éléments les plus intimes de sa personnalité, le “soi” (Selbst). (…) Au début de 1919, Jung termina son expérience et il en sortit comme un homme nouveau, avec des idées nouvelles. Désormais il consacrerait le reste de sa vie à l’application et à la propagation de ses découvertes. » (p. 690).

    Les expériences de Jung et de Freud présentent de nombreux points communs. « Mais, à la différence de Freud, [Jung] sortit de sa maladie créatrice avec une prédisposition accrue à subir des intuitions, des expériences parapsychologiques et des rêves significatifs. Les hommes qui ont vécu une telle aventure spirituelle sont portés à attribuer une valeur universelle à leur propre expérience. Ceux qui ont connu Jung se souviennent du ton de conviction absolue qu’il avait en parlant de l’anima, du soi, des archétypes et de l’inconscient collectif. C’étaient pour lui des réalités psychologiques dont l’existence était aussi certaine que celle du monde matériel environnant. » (p. 691).

    Cette maladie créatrice n’est pas propre à Freud et Jung. Ellenberger la retrouve chez Mesmer (le magnétisme animal), Fechner (le principe de plaisir), Nietzsche (l’éternel retour)… Mais la particularité de Freud et Jung, est d’avoir initié leurs disciples à suivre leurs chemins secrets. « L’un et l’autre vécurent leur maladie créatrice sous une forme spontanée et originale, l’un et l’autre en firent un modèle à suivre par leurs disciples sous la forme d’une analyse didactique. Jung, le premier, proposa cette idée ; les freudiens l’acceptèrent comme une forme d’enseignement pratique, mais l’école jungienne en vint plus tard à assimiler cette analyse didactique à la maladie initiatique des chamans. » (p. 901).

    Au terme de cet examen, Ellenberger oppose les systèmes de Janet et d’Adler, fondés sur une recherche clinique objective, à ceux de Freud et Jung, fondés sur une expérience intérieure. Cette distinction le conduit à poser une question délicate : « La certitude d’avoir découvert une vérité universelle prouve-t-elle la validité de cette découverte ? Cette question renvoie à un problème plus général, celui de la validité des expériences éprouvées par ceux qui s’engagent dans l’exploration de l’inconscient. » (p. 901).

  2. Il s’agit là d’une description judicieuse des mœurs scientifiques lorsque des points de vue divers existent sur une question, ce qui est très fréquent. La présentation des points de vue au pro rata de leurs soutiens respectifs est commandée autant par l’objectivité que par la prudence.
  3. Saul M. Luria était psychologue dans la Marine américaine à la base sous-marine de New London, à Groton, Connecticut, alors que Alexandre Romanovich Luria, le plus célèbre des psychologues russes, était professeur à l’Université de Moscou (voir la chronique n° 64, L’« infirmité » de la mémoire, La phénoménale mémoire de Veniamin, 07.02.11). Ne pas confondre non plus ces deux psychologues avec Salvador E. Luria (1912-1991) du Massachusetts Institute of Technology (cité dans la chronique n° 2, L’eugénisme ou l’Apocalypse molle, 27.07.2009), microbiologiste d’origine italienne (Turin) qui reçut le prix Nobel de physiologie et de médecine en 1969 en compagnie de Max Delbrück et Alfred Hershey, pour leurs découvertes concernant le mécanisme de la réplication et la structure génétique des virus.
  4. Ellenberger tient également Freud pour un grand écrivain. Il fonde cette opinion sur quatre raisons :

    « On peut (…) comprendre Freud comme un homme de lettres. Il avait toutes les qualités qui font les grands écrivains : le don de la langue et des mots, l’amour de sa langue maternelle, une grande richesse de vocabulaire, le Sprachgefüll (le sens de la langue) qui lui faisait infailliblement choisir le mot juste. Même ses premiers articles sur l’histologie sont écrits dans un style magnifique. Comme le dit Wittels : “Pour ses lecteurs qui ne sont pas intéressés directement au côté professionnel, ce qu’il dit est souvent moins important que la façon captivante dont il le dit. La traduction de ses écrits sont incapables de rendre l’esprit profondément germanique dont sont imprégnés ses œuvres. La magie de son style ne saurait passer dans une autre langue. Si l’on veut vraiment comprendre la psychanalyse de Freud, il faut lire ses livres dans leur version originale…”

    D’autre part, Freud était animé de cette curiosité intellectuelle qui pousse un écrivain à observer ses semblables pour essayer de pénétrer dans leurs vies, leurs amours, leurs attitudes les plus intimes. (…)

    En troisième lieu, Freud aimait écrire ; qu’il s’agisse de lettres, de journal intime, d’essais ou de livres : Nulla dies sine linea. Pour un homme de lettres, mettre par écrit ses pensées est ses impressions est plus important que de toujours vérifier leur exactitude. (…)

    Enfin, Freud possédait une des qualités les plus rares chez un grand écrivain, celle que Paul Bourget appelait la crédibilité. Un écrivain médiocre fera apparaître artificielle une histoire vraie, tandis qu’un grand écrivain sera capable de donner l’apparence de la vérité à l’histoire la plus invraisemblable. Un historien juif commentant son essai Moïse et le monothéisme dressa une longue liste des inexactitudes et des invraisemblances qu’il contient, mais ajouta que Freud, grâce à son génie, avait réussi à rendre plausible ce tissu d’invraisemblances. Freud affirma à maintes reprises que les poètes et les grands écrivains avaient précédé les psychologues dans l’exploration de l’esprit humain. »

    Ellenberger conclut : « Freud aurait pu, sans aucun doute, devenir un des écrivains les plus célèbres de la littérature universelle, mais au lieu d’utiliser sa connaissance profonde et intuitive de l’âme humaine pour créer des œuvres littéraires, il l’utilisa pour formuler et systématiser ses intuitions. » (op. cit., pp. 491-492).

  5. On peut reprendre la méthode d’Aimé Michel pour estimer la place de la psychanalyse dans un manuel publié vingt ans plus tard, Introduction to Psychology de R.L. Atkinson et coll. (Harcourt Brace Jovanovich). Dans sa 10e édition (1990), il consacre une douzaine de pages au total sur 788 à la psychanalyse. Il signale qu’en tant que théorie scientifique la psychanalyse a été constamment critiquée pour son inadéquation. « Une des principales critiques est que plusieurs de ses concepts sont ambigus et difficile à définir ou à mesurer objectivement. Par exemple, il serait difficile de tester le principe de conservation de l’énergie [psychique, que Freud appelle libido] parce qu’il n’y a aucun moyen de mesurer la libido. » De même la théorie psychanalytique suppose que des comportements opposés peuvent être le signe du même motif sous-jacent, ce qui rend difficile de confirmer la présence ou l’absence du motif en question ou de faire des prédictions qui puissent être empiriquement vérifiées. « Quand les chercheurs sont parvenus à soumettre la théorie à des tests empiriques, elle a obtenue des résultats mitigés. Par exemple, les efforts faits pour lier les caractéristiques de la personnalité adulte à des évènements psychosexuels de l’enfance ont généralement abouti à des résultats négatifs (…). Quand des traits de caractère pertinents sont identifiés, ils apparaissent liés à des traits de caractère semblables chez les parents », si bien qu’il est plus économique de les expliquer par un simple apprentissage que par l’hypothèse psychanalytique. Au total, certains aspects de la théorie de Freud (le ça, le moi et le surmoi ; les stades psychosexuels : oral, anal, phallique etc. ; la conservation de l’énergie) ont mal vieilli mais d’autres (la théorie de l’anxiété et les mécanismes de défense) ont mieux résisté à l’épreuve du temps.

    Dans l’article « Psychanalyse » (1987) du dictionnaire encyclopédique Le cerveau cet inconnu (sous la direction de R. L. Gregory, trad. J. Doubovetzky, coll. Bouquins, Laffont, Paris, 1993), D. R. Davis, professeur à l’université de Bristol, estime que l’ « efficacité [de la psychanalyse] peut être débattue. L’objectif d’origine était de venir à bout des résistances au souvenir des expériences douloureuses que l’on pensait être à l’origine des névroses. Par la suite, une plus grande importance a été attachée au transfert de sentiments dans la relation avec le thérapeute. Les recherches systématiques destinées à évaluer les bénéfices de ces méthodes ont été très limitées. Les comparaisons faites entre les effets de la psychanalyse et les autres moyens thérapeutiques sur les symptômes et les attitudes des patients se sont montrées jusqu’ici non concluantes et matière à controverse. »

  6. Il s’agit de la chronique n° 135, Sur la « cure psychanalytique (La psychanalyse guérit-elle ? suite et fin), publiée ici la semaine dernière.
  7. Ellenberger écrit : « Les malades analysés par un freudien auront des rêves “freudiens” et deviendront conscients de leur complexe d’Œdipe, tandis que ceux qu’analyse un jungien auront des rêves archétypiques et découvriront leur anima. » (op. cit., p. 902). Il ne s’agit là, dans l’esprit d’Ellenberger, que d’un exemple d’un phénomène plus général. Poursuivant la réflexion dubitative qui termine la note 1 ci-dessus, il écrit : « Tel est le problème du caractère spécifique de la maladie créatrice : il s’agit d’une expérience strictement personnelle pour celui qui l’éprouve le premier, mais ensuite elle devient un modèle pour les imitateurs, et cette conformité au modèle tendra à se transmettre d’un initié à l’autre au sein de la même école. L’apprenti chaman ne fera jamais l’expérience du nirvana comme le moine tibétain, et le yogi n’ira jamais voyager dans le pays des esprits comme le chaman. Cette spécificité avait été signalée à propos des diverses écoles d’hypnotisme et il en va de même pour les nouvelles écoles de psychiatrie dynamique. » Ellenberger donne ici l’exemple des malades « freudiens » et « jungiens » cité ci-dessus, puis il conclut : « On se rappellera ici la définition de Tarde : “Le génie est la capacité d’engendrer sa propre progéniture” (Gabriel Tarde, La Philosophie pénale, Lyon, Storck, 1890, p. 165-166) ». Tel fut donc le génie de Freud.