Malgré la forte mobilisation des syndicats, les élections prud’homales ont été caractérisées par un taux record d’abstention. Ce qui renforce les partisans de la suppression de ce type de scrutin.
Mauvaise surprise : le 3 décembre, 19 millions d’électeurs étaient invités à voter dans différents collèges et seuls 4,7 millions ont participé au scrutin. Soit 74,5% d’abstentionnistes, ce qui ne s’était jamais vu ! Pourtant, toutes les confédérations syndicales avaient fait campagne et les militants n’avaient pas ménagé leurs efforts.
Du coup, les principaux dirigeants syndicaux ont dénoncé la manière dont ces élections ont été présentées et organisées : beaucoup de chômeurs et de travailleurs immigrés ne savaient pas qu’ils avaient le droit de voter, beaucoup de salariés ne savaient pas qu’ils pouvaient quitter le travail pour aller déposer un bulletin dans l’urne…
Certes, il faut bien masquer sa déception en privilégiant des causes secondaires… Les électeurs pouvaient voter par Internet ou par correspondance et les dirigeants syndicaux ne semblent pas s’être interrogés sur leur propre crédibilité : trop de flou dans les stratégies, trop de rivalités à l’intérieur même des organisations, trop d’échecs face aux initiatives du gouvernement. Mais comment faire la part entre le désaveu des syndicats et l’indifférence à l’égard des prud’homales ?
Le faible taux de participation limite la signification des choix exprimés. En gardant à l’esprit le taux d’abstention, il est cependant possible de faire trois observations :
Le classement des organisations syndicales ne change pas. La CGT reste la première organisation française avec 33,8% des suffrages exprimés. La CFDT vient en deuxième position (22,1%) puis la CGT-FO (15,9%) la CFTC (8,9 %), la CFE-CGC (8,2 %), l’Unsa (6,2 %) et enfin Solidaires (3,8 %).
Les organisations les plus dures remportent de réels succès. La CGT progresse de 1,6% par rapport à 2002, Solidaires (qui recrute à l’extrême gauche) gagne 2,5%. En revanche, parmi les organisations modérées, la CFDT perd trois points, Force ouvrière perd 2,3 points et la CFTC connaît un léger recul (0,7%). Cependant, la confédération des cadres (CFE-CGC) est en progression (+ 1,2%) de même que l’UNSA (1,2%) ce que devrait favoriser la fusion de ces deux organisations.
Les électeurs se sont prononcés, par la diversité de leurs choix, en faveur du pluralisme syndical – alors que le gouvernement, le Medef et les deux principales confédérations voudraient réduire au maximum le nombre des confédérations ouvrières.
Ainsi caractérisées, les élections du 3 décembre amènent à deux interrogations :
– le succès électoral des organisations les plus dures annonce-t-il un développement et une radicalisation des conflits sociaux ? Conseiller de Nicolas Sarkozy pour les questions sociales, Raymond Soubie dit à qui veut l’entendre qu’il n’a jamais annoncé au cours de sa longue carrière un printemps chaud ou une rentrée chaude mais que, désormais, « tout est chaud ». Des ouvriers de l’automobile qui sont aujourd’hui en chômage technique mais qui sont payés grâce à leurs heures de RTT pourraient se mettre en colère lorsque cette soupape cessera de fonctionner. Et certaines directions syndicales craignent de voir réapparaître des « coordinations » de grévistes incontrôlables. La crise économique répand partout de l’explosif social.
– quel est l’avenir des élections prud’homales ? Au gouvernement et dans les milieux proches de la majorité, beaucoup pensent que ces élections sont inutiles et préféreraient que les juges aux prud’hommes soient désignés et non plus élus. Privés de ce droit de vote qu’ils n’utilisent guère, les salariés voteraient dans le cadre de leur entreprise. Le problème, c’est que tous les syndicats ne sont pas présents dans toutes les entreprises – et que souvent tous en sont absents ! Les petites organisations seraient exclues d’un jeu dans lequel elles ne pèsent guère : vont-elles se durcir pour élargir leur recrutement ?
Si la tempête sociale se lève, de rapides changements de cap sont possibles.
Paul CHASSARD