Comment avez-vous vécu cette agression depuis le cortège ?
P. Stéphane Mayor : Nous étions face à un déferlement de haine gratuite, incroyable. L’attaque a été graduelle. Il y a eu d’abord, comme souvent, les paroles : des insultes, dès le départ. Puis sont venues les menaces de mort. Enfin, la parole s’est incarnée : à force de s’exciter, ils nous ont lancé des bouteilles et dérobé des bannières. La Préfecture n’ayant pas fait son travail pour sécuriser le parcours, nous nous sommes jetés dans la gueule du loup : bien que le cortège soit déclaré, nous n’avions avec nous qu’un policier. Outre les blessés que nous avons eus, ce qui m’attriste le plus, c’est que cela révèle que ces deux mondes ne se parlent pas : je ne connais pas ces militants et eux ne me connaissent pas. Si on se connaissait, peut-être cela se serait-il passé autrement… Peut-être.
Dans le quartier, votre cortège a été qualifié « d’intégriste »…
Lors de cette marche, la foule était diverse : des personnes d’origine réunionnaise, indienne, des musulmans convertis, des Blancs… En face, que des « Gaulois » ! Nous étions avec Mgr Denis Jachier, évêque auxiliaire de Paris : la procession était donc tout à fait officielle. Les militants qui nous ont attaqués ont tellement l’habitude de ne pas voir les catholiques sortir de chez eux, que dès qu’ils voient une croix dans la rue, ils pensent « intégrisme ».
Cette procession était-elle une provocation, comme une tribune l’a sous-entendu ?
Avec cette accusation, nous sommes dans cette logique étrange qui veut, par exemple, qu’une fille habillée un peu court soit responsable de son viol. Nous n’avions aucune volonté de susciter une haine pareille. La haine est née dans le cœur de ces gens, nous ne l’y avons pas mise. Pour être honnête, j’étais à des kilomètres de penser qu’une telle violence pouvait encore exister. Je suis originaire de la partie pauvre du XXe arrondissement, pas de celle, cossue, des militants politiques qui nous ont agressés.
Que vous ont dit vos paroissiens ?
J’ai eu des témoignages de foi assez étonnant : un enfant de chœur m’a expliqué que désormais, après avoir subi cette violence, il savait qu’il était chrétien. Un autre paroissien s’est décidé à franchir le pas pour s’engager dans le diaconat permanent, alors qu’il hésitait depuis plusieurs années. Des grâces sortent de cette agression. Le Seigneur fait tout pour sortir quelque chose de bon d’un malheur.
Vous avez subi, au long du cortège, les mêmes insultes que le cortège d’origine, il y a 150 ans…
Les militants qui nous ont attaqués connaissent leur histoire : chez eux, la Commune est une mémoire qui se transmet depuis 1871. Avec cette agression, nous avons vraiment vécu quelque chose qui nous a replongés 150 ans en arrière. Cela prouve surtout non seulement que la souffrance du Christ est présente à chaque moment de l’Histoire, mais qu’elle ne s’en va pas quand l’événement est terminé.
C’est la clé des martyrs de la rue Haxo : les otages sont le signe de la présence religieuse au cœur de la Commune pour toutes les personnes qui vont souffrir, y compris les Communards tués lors de la Semaine sanglante. Le Christ est aussi mort pour eux et les otages le manifestent, de la même façon que saint Maximilien Kolbe a manifesté, par sa mort, que le Christ était lui aussi venu mourir dans les camps allemands, pour tous les prisonniers.
On vous objecte aussi que la mort des religieux est à lier au « copinage structurel avec la bourgeoisie capitaliste »…
Aujourd’hui, les bourgeois sont du côté des antifascistes et de ceux qui font des tribunes dans la presse contre nous. Ils sont plus à l’aise financièrement que mes paroissiens ! Il est tout à fait juste de noter qu’il y avait, à l’époque, une pauvreté de la présence de l’Église dans ces quartiers. Mais le Père Henri Planchat, l’un des martyrs, dirigeait le patronage Sainte-Anne rue de la Roquette, dans un quartier prolétaire par excellence ! À Charonne, beaucoup de pétitions ont d’ailleurs circulé en 1871 pour sa libération. Tout le travail des historiens prouve, via les procès-verbaux, qu’ils ont été choisis non pas uniquement parce que chrétiens, mais parce que prêtres. Le fait que les Communards soient venus chercher des prêtres est incompréhensible si l’on a une lecture uniquement politique des événements. En tuant ces prêtres, on a voulu tuer le Christ. Car en enlevant le prêtre, vous obtenez une Église relativiste, sans transcendance. Ils voulaient horizontaliser l’Église, afin de mieux l’accorder au matérialisme athée… Rien de nouveau : à travers l’Histoire, toutes les grandes idéologies ont buté contre les Juifs et contre l’Église. En un mot, contre la transcendance.
Y a-t-il une compatibilité entre les idéaux de la Commune et la doctrine sociale de l’Église, comme on a pu le lire ?
On ne peut pas abstraire les valeurs chrétiennes de la figure de Jésus. La doctrine sociale de l’Église, c’est la doctrine sociale du Christ. Ce n’est pas un ensemble de convenances données entre évêques. Il y a bien sûr des rencontres possibles ; mais si la personne en face de vous exige que vous renonciez à votre foi, ça ne marche plus. Et le but des persécutions contre les prêtres, était d’attaquer la foi catholique.
Le concept d’action commune dans le monde est à prendre avec des pincettes, quand il nous demande, comme présupposé, de renier notre foi.
Pour aller plus loin :
- Conclusions provisoires du Synode sur la Parole de Dieu
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- « De cette agression surgissent des grâces »