Dans l’Église, toutes les grandes prières comportent deux parties. J’imagine que ce fait, pourtant important, vous avait échappé.
C’est évident dans le « Notre Père ». Deux parties, la première, centrée sur le Père et ce qui Le concerne, « Notre Père, … que… que… que… » La seconde, en contraste, est centrée sur nos demandes « pain quotidien, … pardon, … protection,… libération » La prière comporte sept demandes, telle qu’elle est traditionnellement formulée. Mais elle est bien constituée de deux parties.
De même pour le « Je Vous salue, Marie ». Une partie centrée sur Marie, avec les paroles de salutation de l’ange Gabriel et de sa parente Élisabeth. Nous sommes frappés par la leçon de ces deux personnages : nous adressant à une sainte personne, il nous faut d’abord insister sur son rôle fondamental. Marie est « pleine de grâce » et « bénie entre toutes les femmes ». Et la seconde partie de la prière débute par le titre « Mère de Dieu » (theotokos) avant la formulation de la demande.
De même, avec l’Angelus, nous reconnaissons le rôle de l’ange, gardien commis par l’amour divin, avant même de demander aide et protection.
On pourrait imaginer que par ces prières nous « invoquerions » quelque être surnaturel pour lui demander une faveur. Mais le « Notre Père » est entièrement formé de demandes, les trois premières concernent Dieu, non pas nous ! Et la demande dans le « Je vous salue Marie » est si ténue devant le rôle majeur de Marie dans la vie de tout Catholique convenable qu’elle est vraiment mineure.
J’ai commencé à distinguer les deux parties des prières en les lisant en Latin et en Grec, et en d’anciennes traductions, où chaque élément est présenté sous forme d’une simple phrase. L’exemple le plus frappant est sans doute dans le Cantique de Zacharie, que vous pouvez avoir découvert dans les Laudes. Les grammairiens donnent de la phrase la définition d’une entière pensée. S’il en est ainsi, dans sa fort longue prière Zacharie exprime deux idées. Voici la première, tirée de la bible de Douay-Rheims [XVI ème-XVII ème s.] :
Béni soit le Seigneur Dieu d’Israël, Il l’a visité et a forgé la rédemption de Son peuple, a élevé pour nous une coupe de salut, dans la maison de David Son serviteur, selon Ses paroles transmises par Ses saints prophètes, qui parlent depuis le commencement : Il nous protège de nos ennemis, de ceux qui nous haïssent, accorde Son pardon à nos anciens, se souvient de ses saintes promesses données à notre père Abraham, selon lesquelles nous serions délivrés de la menace de nos ennemis, afin que nous puissions Le servir sans crainte, en toute sainteté et toute justice tout au long de notre vie.
Ce texte étonnant exprime toute l’histoire de l’alliance de Dieu avec la nation d’Israël, d’Abraham (« notre père »), puis David (« son serviteur ») jusqu’à l’époque de Zacharie qui pouvait d’évidence la distinguer et la formuler d’un simple trait. Quel genre d’homme pouvait penser ainsi ?
Fowler et Fowler, éditeurs de la première version du Dictionnaire Anglais d’Oxford, critiquaient la transformation de phrases intégrales en Anglais courant, en phrases brèves, simples — ce qu’ils attribuaient au style journalistique « moderne » (des années 1900). Avec cette façon d’écrire, où chaque phrase devait relater un simple « fait », et chaque « fait » était supposé indépendant de tous les autres. Les traductions modernes du cantique de Zacharie, rédigées selon ce modèle, offrent une rafale de points — vraisemblablement pour les rendre plus intelligibles au lecteur actuel. Mais elles deviennent moins compréhensibles car on perd l’expression d’une simple et unique réalité.
D’évidence, Zacharie vivait aussi hors de son temps. L’histoire de l’Alliance d’Israël vivait en lui. Son cœur y battait. Ce qui lui permet d’avoir une seconde pensée. La première pour Dieu, la seconde pour l’enfant :
Et toi, mon enfant, tu seras appelé prophète du Très Haut, car tu iras à la rencontre du Seigneur pour ouvrir Son chemin, pour faire connaître le salut à Son peuple, en vue de la rémission de ses péchés, au fin fond de la miséricorde de notre Dieu, par qui, depuis l’Orient, nous avons été visités, recevant la lumière dans les ténèbres et l’obscurité de la mort, afin de prendre le chemin de la paix.
On trouve également une requête en notre faveur, notre salut, la lumière et la paix — requête subtile guère facile à saisir.
Qu’apprenons-nous de ces deux parties de prière ? Le Catéchisme dans sa quatrième partie traite de la prière ; il aborde cet immense sujet en citant Ste Thérèse de Lisieux : « pour moi, la prière est un élan du cœur, elle est un simple regard tourné vers le paradis. » Un peu plus loin, le Catéchisme ajoute : « c’est le cœur qui prie. Si notre cœur est loin de Dieu, les mots de la prière sont vains. Le cœur est ma vraie résidence. »
On peut conclure : il faut placer nos cœurs auprès de Dieu dans la première partie de la prière. On parle d’un « acte de présence divine ». Dans la douce euphorie que nous vivons fréquemment on pourrait imaginer qu’il est question d’agir comme si on invoquait le génie en frottant la lampe magique. Mais en réalité, on se situe auprès de Dieu par un « élan du cœur » afin de vivre avec Lui au paradis, dans Son histoire, avec Ses saints.
20 mars 2018.
Illustration : La prière du Seigneur (Le Pater Noster) – J.J. Tissot, vers 1890 – Musée de Brooklyn.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/03/20/prayers-in-two-parts/
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N.d.T. : n’ayant pas pu me procurer hors ma Bible de traduction de Zacharie, j’ai tenté de traduire aussi fidèlement que possible les deux citations (en Italique) de sa prière.