Présomption de progressisme libéral - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Présomption de progressisme libéral

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Dans son célèbre livre de 1979 « La condition postmoderne », le philosophe français Jean-François Lyotard suggère que la « condition post-moderne » est caractérisée par « l’incrédulité envers les méta-récits ». Les « méta-récits » ou « grands récits » sont les grandes histoires que les gens se racontent à eux-mêmes pour s’aider à comprendre les affaires désordonnées de l’histoire et à leur donner du sens. « Sauver le monde pour la démocratie » est un de ces « grands récits » mais de même, l’histoire sur la montée et l’éventuelle domination du prolétariat dans l’État socialiste est un « grand récit ». Lyotard considère que tous les grands récits de ce genre ne sont tout simplement plus crédibles pour la plupart des gens.

Si seulement c’était vrai.

Le gauchisme moderne a apporté au monde beaucoup de choses positives, mais une de ses impulsions les plus intolérantes et totalitaires vient de sa présomption qu’il ne s’agit pas d’un point de vue parmi d’autres mais qu’il représente une perspective plus haute, plus « universelle » et donc plus « neutre ».

Un exemple de cette présomption de neutralité se trouve dans l’attitude de la sociologie moderne vis-à-vis de la religion. Un éminent sociologue a admis une fois, en examinant cette discipline, qu’il avait trouvé que la plupart des sociologues partaient de la supposition qu’ »aucune religion » ne constituait l’état de référence de base. Leur travail consistait alors à expliquer ce qui s’était passé (ce qui « avait mal tourné ») pour expliquer pourquoi certaine religion s’était développée (avait « infecté ») au sein d’un groupe de personnes, sur une île du Pacifique sud ou en Amérique latine.

Pour eux, il ne semble jamais s’être produit que presque toutes les cultures au long de l’histoire ont embrassé une religion d’une sorte ou d’une autre, et que ce qu’il était nécessaire d’expliquer était comment et pourquoi une société donnée (la nôtre, en l’occurrence) en arrivait à ce que « pas de religion » s’oppose à toutes les religions. Ils n’ont jamais considéré la possibilité que ce soit leur condition qui avait besoin d’être expliquée, pas celle des peuples des Îles des mers du sud. Théoricien, connais-toi toi-même.

Compte tenu de la présomption du progressisme de gauche selon laquelle il occupe une position de neutralité rationnelle impartiale, il voit le christianisme comme ayant une perspective « étroite », plus étroite que la sienne propre. Le christianisme est considéré comme une perspective parmi une foule d’autres, toutes étant finalement soumises aux standards de jugement universalistes du gauchisme – standards en général liés ou dérivés de la dévotion du gauchisme au progressisme de l’élite (c’est nous qui savons le mieux ce qui est bon pour vous), à l’autonomie individuelle (que les standards de la communauté et les siècles de traditions soient damnés), et à la licence sexuelle (mes désirs sexuels sont qui je suis).

Si le christianisme peut s’intégrer dans ou s’adapter à la vision du gauchisme, c’est « bien ». Sinon, il est considéré comme  » étroit d’esprit ». Le gauchisme juge les chrétiens selon le niveau d’enthousiasme avec lequel ils soutiennent les politiques et l’idéologie du progressisme de gauche. Les déclarations du pape sont « bonnes », par exemple, si elles soutiennent les buts du gauchisme ; si non, elles sont dégradées ou ignorées.

Contrairement à leurs ancêtres gauchistes, bien souvent, les progressistes modernes ne daignent pas formuler d’arguments contre les positions auxquelles ils s’opposent. La raison a fort à faire avec un « récit » non examiné puissant qui anime leurs vies et leurs actions, ce qui les conduit à se dire : « plus nous délivrons les gens du christianisme, plus ils seront libérés, eux et la société. »

Le résultat est une suppression au service de la libération. « C’est pour votre propre bien et celui de tous les autres. A long terme, vous nous remercierez, une fois que vous serez libérés des chaînes de l’Église, de la tradition, de vos parents, de votre communauté » – faites votre choix.

La modernité de gauche présume de sa neutralité impartiale, malgré des siècles de violence anti-chrétienne et de préjudices anti-catholiques. La modernité de gauche refuse dévotement d’admettre la possibilité qu’elle est elle-même un « récit » au sein d’une « tradition », une perspective parmi de nombreuses autres, et pas une vue de haut universelle ; qu’il s’agit d’une « foi » avec son propre ensemble de présuppositions.

Elle a certes apporté sa part de progrès, mais elle aussi été la source de sa part de misère humaine : deux guerres mondiales, l’Holocauste, la Guerre Froide, le Vietnam, la dégradation de l’environnement, et la déshumanisation dues à l’idéologie, la technologie et la bureaucratie, le crime, les cités en décomposition, les troubles sociaux, la propagande. Rien de tout cela n’a été causé par « la religion ».

Les progressistes de la gauche moderne peuvent avoir l’opinion que la religion ne constitue pas une aide, mais ils devraient au moins admettre que la modernité anti-religieuse doit prendre sa part de blâme pour la souffrance qui afflige en ce moment la société. Seul un aveuglement délibéré sur les 150 dernières années d’Histoire peut permettre à quelqu’un de considérer, ainsi que l’ont fait Voltaire et Rousseau, que « dès que nous serons débarrassés du christianisme, tout ira bien ». Le christianisme est « hors circuit » depuis un bon moment maintenant, et les choses sont loin d’aller bien.

Il serait rafraîchissant de voir la classe intellectuelle de la modernité de gauche avouer la vérité : à propos de l’histoire, à propos d’elle-même et de ses propres présuppositions et perspectives étroites, et sur la manière dont ses propres vues l’ont conduite à dénigrer les autres – pas seulement les chrétiens mais tout groupe réputé n’être plutôt pas « de gauche » ou pas assez « progressiste » ni « civilisé », que ce soit au centre de l’Afrique, sur les îles des mers du sud ou dans les forêts amazoniennes.

Les forces de la modernité de gauche ont occasionné des dommages incalculables précisément parce qu’elles étaient animées par un récit qui les aveuglait sur leurs propres présuppositions, préjudices et intolérance. Elles étaient convaincues (et continuent de l’être) que, parce que ce qu’elles font est libérateur et apporte du progrès, ceux qui s’opposent à elles sont simplement, incontestablement, évidemment oppressives et rétrogrades.
La condition post-moderne n’est caractérisée que par « l’incrédulité vis-à-vis des méta-récits », si nous entendons par là tous les méta-récits sauf ceux du progressisme de gauche.

Le monde n’est pas divisé entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l’ont pas. La grande division est entre ceux qui désirent avouer honnêtement les présuppositions qui animent leurs vies, qui permettent que ces présuppositions soient examinées, questionnées et testées, et ceux qui insistent pour vivre selon le prétexte que leur point de vue est tout simplement celui que l’histoire a conduit toutes les personnes « mûres », « intelligentes », « sensibles » à avoir.

Et pourtant, l’histoire suggère que, dans la mesure où le progressisme de gauche commence avec cette conviction, il se termine par l’oppression totalitaire des opinions non conformes à la sienne.

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Illustration : Paysage avec l’expulsion des harpies, par Paolo Flammingo, c. 1590 [National Gallery, London]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/07/05/liberal-progressivisms-presumption/


Randall B. Smith est le professeur titulaire de la chaire de théologie de l’Université St Thomas à Houston. Son plus récent ouvrage Lire les sermons de Thomas d’Aquin : guide pour les débutants est désormais disponible chez Amazon et chez Emmaüs Academic Press.