Le 29 octobre 2018, l’Union Astronomique Internationale a annoncé sa recommandation que la loi autrefois dénommée « loi de Hubble » soit dénommée « loi de Hubble-Lemaître ». Cette loi relie la distance des galaxies à leur mouvement d’éloignement de la Terre. Parmi d’autres éléments de preuve, extrapoler à partir de la loi suggère que tout le cosmos matériel a surgi d’un seul point en un passé lointain, point qui s’est dilaté pour produire le cosmos que nous connaissons à l’heure actuelle, une théorie connue maintenant sous le nom de « Big Bang ».
L’astronome américain Edwin Hubble, qui a fait les mesures du décalage vers le rouge des galaxies lointaines – qui est lié à leur distance et à leur vitesse d’éloignement de la Terre – a depuis longtemps eu son nom associé à cette découverte. Mais en fait, c’est le prêtre belge Georges Lemaître qui le premier a dégagé les lois relatives à l’expansion du cosmos et qui a émis l’hypothèse que l’origine de l’univers soit un point unique par le passé ; sa contribution a reçu davantage de reconnaissance ces dernières années, incluant des gestes tels que cette toute récente recommandation de l’Union Astronomique Internationale.
Parce qu’on prétend si souvent que la science moderne et la foi sont opposées, il est bon de voir qu’un prêtre, et tout spécialement un prêtre moderne, est reconnu comme un éminent contributeur de la science. Mais plus que simplement illustrer que les catholiques peuvent trouver une place dans les travaux de science, s’y ajoute quelque chose de significatif spécialement ironique avec l’association d’un prêtre catholique avec la théorie du Big Bang.
La cosmologie du Big-Bang procure un cadre global à notre compréhension contemporaine du cosmos comme une entité historique en évolution. Si l’on peut dire que la cosmologie classique, avec ses sphères ordonnées et son ordre géométrique entrait en résonance avec l’esprit catholique par son insistance sur l’ordre hiérarchique, alors la résonance de la cosmologie moderne se fait avec l’instinct catholique de l’histoire.
Dans la science moderne, tout comme dans la vision catholique, nous ne trouvons pas un cosmos d’homogénéité éternelle et immuable (comme dans la théorie de « l’état stable » qui était la rivale de la théorie du Big Bang dans la cosmologie du début du 20e siècle) ; nous ne trouvons pas non plus un chaos confus, avec des êtres compliqués semblant arriver de nulle part, comme dans les cosmologies païennes. Au contraire, la science moderne présente une image dans laquelle la riche complexité de l’univers moderne surgit d’une singularité causale de laquelle émergent des forces physiques basiques qui inter-agissent pour s’épanouir dans le Cosmos tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Lemaître lui-même faisait référence à cette ancienne singularité comme à un « Œuf Cosmique ». Pour reprendre une analogie utilisée originellement dans un but plus élevé, nous pourrions évoquer l’image d’une graine minuscule qui grandit jusqu’à produire de grandes branches dans lesquelles les oiseaux du ciel font leurs nids.
Au niveau matériel, la science actuelle affirme que de la grande graine cosmique est issu un univers de galaxies, d’étoiles et de planètes. Dans la formation et l’extinction explosive des cycles de vie d’étoiles innombrables, l’univers s’est enrichi des éléments qui produisent toute la matière du monde qui nous entoure – y compris la vie. Carl Sagan, le charismatique mais religieusement sceptique vulgarisateur de la science moderne aimait à dire que « nous sommes de la poussière d’étoile ». Ce que Sagan, malgré tout son imaginaire poétique, n’avait jamais franchement imaginé cependant, c’est qu’un jour, sur un petit monde précaire orbitant autour d’un de ces points de lumière, l’Auteur de l’entière histoire cosmique assumerait cette poussière d’étoile Lui-même et entrerait corporellement dans Sa Création.
De nos jours, l’opposition au Big Bang vient souvent d’une tendance religieuse : comment ce récit peut-il concorder avec la présentation biblique de la Création ? Mais le soupçon originel à l’égard u Big-Bang venait de la direction opposée : cela collait trop avec la religion. L’Eglise proclamait une Création ex nihilo – un moment avant lequel n’existait ni le temps ni la matière – et la science semble maintenant se diriger vers la même chose.
En 1978, Arno Penzias et Robert Wilson ont reçu le Prix Nobel de Physique pour leur observation du « fond ambiant de micro-ondes cosmiques » (NDT : appelé également fond diffus cosmologique ou rayonnement fossile), la première preuve d’envergure du Big Bang. Penzias devait écrire plus tard du Big Bang et de l’origine de l’univers : « les meilleures données que nous ayons sont exactement celles que j’aurais prédites, n’ayant rien d’autre pour me guider que les cinq livres de Moïse, les Psaumes, la Bible comme un tout. »
Mais soyons prudents : c’est Lemaître lui-même qui, comme chacun le sait, a averti le pape Pie XII de ne pas identifier trop étroitement le Big Bang avec la Création à proprement parler. Trouver la Création est, à proprement parler, au-delà de la portée de la science. Même Thomas d’Aquin soutenait que la raison seule ne pouvait discerner si l’univers avait un commencement ; seule la révélation pouvait le dire. De même pour la science examinant les causes matérielles, elle ne peut que les suivre aussi loin qu’elles mènent ; elle ne peut pas voir au-delà.
Le Big Bang peut avoir été le commencement. Ou pas. Néanmoins, scientifiquement parlant, le Big Bang représente l’événement historique singulier à partir duquel tout le monde matériel que nous connaissons a émergé, le seul et unique point par lequel passent toutes les histoires physiques. C’est, autant que la science moderne puisse le dire, le commencement du cosmos connu. Et à l’origine de sa découverte, nous trouvons le père Lemaître, un prêtre contribuant à la science non seulement par une profonde perspicacité scientifique mais en exposant les grandes lignes de la plus fondamentale théorie de l’histoire du cosmos physique.
La religion a toujours eu sa cosmologie, son histoire de la Création. Mais nous découvrons, dans un rebondissement passionnant, que lorsque la science utilise ses propres outils légitimes pour découvrir une histoire générale du monde, que l’histoire a été pour la première fois découverte, non par un athée raisonnable délivré des chaînes de la « superstition », mais par un prêtre qui n’a pas trouvé de conflit entre son antique foi et les découvertes révolutionnaires de la toute nouvelle science.
Michael Baruzzini est un écrivain scientifique indépendant écrivant pour des publications catholiques.
Illustration : Le père Lemaître en compagnie d’Albert Einstein
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/11/29/introducing-the-hubble-lemaitre-law/