Rien ne semblait prédisposer Anne et Hubert Ploquin, couple de catholiques retraités, à partir vivre un an, finalement dix-huit mois, dans l’Atlas algérien, et plus précisément dans le monastère Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine. Ils ont rendu compte, avec simplicité, de cette expérience dans un livre1. Un témoignage d’une actualité brûlante à l’heure ou nous allons commémorer les vingt ans de l’enlèvement et de l’assassinat des sept moines de Tibhirine.
Alors que les Ploquin recherchent comment utiliser au mieux leur disponibilité de retraités, une discussion avec des amis fait naître simultanément chez eux le désir de partir à l’étranger. Tout naturellement ils prennent contact avec la DCC, la Délégation catholique à la coopération, le service du volontariat de l’Église en France, afin d’être encadrés dans leur démarche. La DCC organise notamment deux sessions avant le départ des volontaires, sur un WE et dix jours cloîtrés, durant lesquelles des intervenants spécialisés abordent tous les thèmes, des plus pratiques aux plus spirituels.
La démarche se veut ecclésiale pour ce couple de fervents catholiques engagés dans l’Église — Hubert est diacre. C’est ensuite la lecture du livre de Jean-Marie Lassausse et du journaliste Christophe Henning, Le jardinier de Tibhirine, qui les poussera à partir en Algérie. Jean-Marie Lassausse est un prêtre de la Mission de France, ingénieur agronome, qui a pris la charge du monastère de Tibhirine et de son étonnant domaine agricole à mille mètres d’altitude. Grâce à l’eau abondante que le domaine reçoit et qui a été savamment canalisée par les frères pour irriguer les arbres de l’important verger, principale ressource du monastère, et des autres plantes, le domaine est une oasis de verdure au milieu des montagnes arides de l’Atlas.
C’est là que les Ploquin iront. Pour faire vivre les lieux et accueillir les pèlerins notamment. Pour entretenir le domaine, qui est rentable aujourd’hui, le père Lassausse emploie deux musulmans du village de Tibhirine. Mais la mission du père Lassausse est également spirituelle : « entretenir l’héritage spirituel des moines enlevés et assassinés en 1996 ».
Et le couple va découvrir cet héritage, à travers de nombreuses lectures, notamment des écrits de Christian de Chergé, mais aussi par l’empreinte profonde qu’ont laissée les moines dans ce lieu, en rencontrant des gens les ayant connus. En particulier le frère Luc, « Frélou » pour les locaux, médecin, qui a soigné pendant cinquante ans des foules considérables et dont le souvenir est le plus vivace. De nombreuses personnes viennent lui rendre hommage et témoignent des soins qu’il leur a apportés. Les Ploquin se sont tant imprégnés des lieux et des traces vivantes des moines qu’ils sont des personnages à part entière de leur livre.
Le couple a également découvert l’Église locale, essentiellement composée d’étrangers, notamment de nombreux étudiants venus d’Afrique sub-saharienne. Mais c’est du monde entier que viennent les catholiques qui composent la petite Église algérienne. Du monde entier qu’affluent également les croyants qui viennent en pèlerinage à Tibhirine. Durant leur séjour, quatre mille personnes venues de soixante-dix pays différents ont été recensées par eux au monastère. Ce sont également de nombreux Algériens musulmans qui viennent à Tibhirine, qui reste un lieu de rencontre et de dialogue avec l’islam.
Le livre se conclut, en annexe, par le Testament de Christian de Chergé, rédigé alors que l’Algérie connaissait une vague d’attentats et qu’il envisageait déjà, un peu plus de deux ans avant son enlèvement avec six de ses frères, son assassinat. Il faut lire ou relire ce court texte d’une force singulière où il proclame son amour de l’Algérie et des musulmans, exprimant son souhait de retrouver son bourreau au paradis.
C’est ce message d’amour et de paix qu’Anne et Hubert Ploquin veulent diffuser, c’est ce message qui vit dans le monastère pourtant aujourd’hui vide de moines, c’est ce message qu’ils ont fait vivre par leur présence et que l’on retrouve dans leur témoignage.