Premiers gestes et premières paroles du pape François - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Premiers gestes et premières paroles du pape François

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Étonnante sollicitude de la Providence, singularité de l’institution catholique romaine ? Le conclave a déjoué tous les pronostics des meilleurs « vaticanistes » et toutes les supputations sur les qualités supposées d’un successeur de Benoît XVI. Le cardinal Jorge Mario Bergoglio n’est pas un homme jeune, il n’est pas à proprement parler un homme de gouvernement, c’était largement un inconnu aux yeux des médias et de l’opinion. Et depuis qu’il est apparu au balcon de la basilique Saint-Pierre, on pourrait dire que c’est une énigme vivante, qui à chaque geste, à chaque parole prononcée nous ouvre à des dimensions insoupçonnées. On a tout de suite relevé sa simplicité, son humilité, mais on aurait pu aussi insister sur sa délicatesse à l’égard de son prédécesseur, pour qui il a fait prier la foule en l’invitant à réciter le Notre-Père et le Je vous salue Marie. Au même instant où il s’inclinait devant Dieu pour qu’on prie pour lui, il marquait sa piété profonde. D’évidence, ce nouveau pape est un grand priant, d’une extrême délicatesse à l’égard de la Vierge Marie. Dans cette causerie familière inaugurale, n’avait-il pas annoncé qu’il irait dès le lendemain prier la Madone ? On sait que ce fut à Sainte-Marie Majeure, où le pape François s’est rendu un bouquet de fleurs à la main.

Autre étonnement : le choix de ce prénom, François ! D’évidence, il s’agissait de François d’Assise, le poverello, l’amant de Dame pauvreté : c’était plus qu’un symbole. La figure de François est une des plus populaire du monde chrétien. Il ne faut pas oublier que c’est le patron de l’Italie. On peut se demander si le pape François ne se rendra pas très vite en Ombrie pour retrouver les traces de son patron céleste. On aura sûrement l’occasion de mieux comprendre le sens de cette référence, qui ne renvoie pas seulement à quelques images bien connues. Certes, François est bien le saint de l’écologie, il est aussi l’ascète du dépouillement, il est encore l’homme de la rencontre avec l’islam, ce qui a permis à Jean-Paul II de faire d’Assise le lieu de la réconciliation des religions. Mais le pape François se chargera aussi de nous dire qu’à l’origine de tout cela il y a l’engagement total du fils du riche marchand d’Assise par rapport à l’absolu de Dieu. Pour comprendre son secret, il faut aller jusqu’à l’identification au crucifié lorsque le poverello aveugle reçoit les stigmates de la Passion.

De ce pape, nous avons encore tout à ap­prendre. Nous ne savons pas comment il gouvernera l’Église, comment il prendra en charge l’instrument de la Curie, quel sera son mode d’enseignement, s’il se lancera, comme ses prédécesseurs dans la rédaction de grandes encycliques, quel sera son style de relation avec les pouvoirs publics. C’est vrai qu’il y a un paradoxe considérable dans cette notion de gouvernement sous un mode franciscain. On pourrait même parler d’oxymore. Mais n’était-ce pas déjà la gageure de François d’Assise face au pape de son temps, Innocent III ? On ne pouvait imaginer si grand contraste entre un pape éminemment politique, renforçant de toutes les manières l’autorité pontificale et ce petit pauvre fuyant toutes les tentations et tous les prestiges du pouvoir. Et c’est pourtant Innocent, qui dans un rêve prémonitoire a vu François soutenant la basilique Saint-Jean de Latran en ruine. C’est donc lui qui validera la première règle de la fraternité franciscaine. On n’imagine pas saint François en pape, c’est pourquoi il est difficile d’imaginer son disciple Jorge Mario Bergoglio assumant la succession de Pierre. On observe les premiers signes d’un comportement franciscain : simplicité de la vêture, refus des voitures trop somptueuses, proximité fraternelle avec les cardinaux dont il refuse de se distinguer. Reste la question d’un gouvernement effectif, qui par-delà les signes, intégrera la spiritualité de la kénose et du dépouillement dans l’indispensable processus de la décision.

Mais nous avons eu une indication capitale quant à la pensée profonde, à la doctrine au sens fort du terme du pape François avec son étonnante homélie, prononcée à la chapelle Sixtine, le lendemain de son élection, face au collège cardinalice. Refusant tout discours en forme, que ses collaborateurs auraient pu lui proposer pour lui faciliter la tâche, le Pape a préféré improviser son homélie, mais en prononçant des mots si forts que son auditoire, pr­olongé au monde entier, prendra du temps à assimiler. La radicalité évangélique qui s’y affirme est d’une exigence absolue. Celui qu’on a déjà appelé « le pape des pauvres » met en garde contre une conception de l’Église qui la ramènerait à une dimension d’ONG caritative. Si l’Église ne s’identifie pas au Christ crucifié, elle est infidèle à elle-même : « Nous pouvons cheminer tant que nous voulons, nous pouvons édifier tant de choses, mais si nous ne confessons pas Jésus-Christ, quelque chose ne va pas. Nous deviendrions une piêtre ONG (ONG pietosa) mais pas l’Église, épouse du Christ. […]Que se passe-t-il si nous n’édifions pas sur la pierre ? Il arrive ce qui arrive aux enfants sur la plage quand ils font des châteaux de sable, tout s’écroule, sans consistance. » François a encore affirmé ceci qui résonne incroyablement dans la tête des lecteurs de l’auteur de La femme pauvre : « Quand nous ne confessons pas Jésus-Christ me vient en tête cette phrase de Léon Bloy : « Celui qui ne prie pas le Seigneur prie le diable ». Et quand nous ne confessons pas Jésus-Christ, nous confessons la mondanité du diable, la mondanité du démon. » Il ne fallait donc pas s’étonner qu’au terme de cette homélie soit évoqué le scandale de la Croix : « Quand nous cheminons, sans la croix, quand nous construisons sans la croix, quand nous confessons avec le Christ mais sans la croix, nous ne sommes pas les disciples du Seigneur. Nous sommes des mondains. Nous sommes des évêques, des prêtres, des cardinaux, des papes, tout, mais nous ne sommes pas des disciples du Seigneur. » D’où la conclusion qui renvoyait à la prochaine Semaine sainte : « Je voudrais que nous tous, après ces jours de grâce, nous ayons le courage, oui le courage, de cheminer en présence du Seigneur, avec la croix du Seigneur, et d’édifier l’Église sur le sang du Christ versé sur la croix, et de confesser l’unique gloire, le Christ crucifié. Ainsi l’Église peut avancer. »

Il faut sans doute attendre l’homélie qui sera prononcée place Saint-Pierre, lors de l’intronisation du nouveau pape, mardi 19 mars, en la fête de Saint Joseph patron de l’Église, pour avoir de nouvelles lumières sur l’orientation de ce pontificat. Mais d’une certaine façon, les paroles prononcées à la Sixtine résonnent comme celles de Jean-Paul II au tout début de son avènement : « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! À sa puissance salvatrice ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N’ayez pas peur ! Le Christ sait « ce qu’il y a dans l’homme »! Et lui seul le sait ! »

On sait d’ores et déjà que le pape François n’a pas peur et qu’il ne se laissera enfermer par aucune disposition protocolaire pour dire ce qu’il a sur le cœur, selon l’inspiration qui lui vient directement de l’Évangile. C’est une raison de plus pour faire éclater les notions convenues, telles les catégories de conservateur ou de progressiste. François les fait littéralement exploser, en s’engageant dans une autre logique, et en se plaçant dans une autre lumière. En usant d’un léger humour, on pourrait dire que son langage risque de faire perdre leur latin à beaucoup de commentateurs. Peut-être leur faudra-t-il lire Le mendiant ingrat, mais le style de Léon Bloy pourrait bien anéantir tous leurs codes imposés.