■ Quel est le thème du synode et qui y participe ?
La famille, mais du point de vue de sa vocation et de sa mission. Deux cent soixante-dix Pères synodaux sont présents : des évêques et cardinaux élus par les conférences épiscopales (183) ou bien nommés d’office (42) du fait de leur mission, notamment à la Curie romaine ou dans les Églises orientales catholiques, ou bien nommés par le Pape (45) : 54 viennent d’Afrique, 64 d’Amérique, 36 d’Asie, 107 d’Europe, 9 d’Océanie.
■ Il n’y a pas de familles ?
Primo, il y a les familles des évêques ! Ils insistent sur le fait que le synode ne concerne pas seulement le couple, mais la famille au sens large, et eux-mêmes évoquent ici ou là l’expérience d’une sœur, le fait qu’il a « cinq sœurs », que chacun a une expérience familiale, même s’ils sont célibataires. Pour les Africains, notamment, c’est impensable de réduire la famille au seul couple marié.
Secundo, 18 couples participent au synode comme auditeurs (17) ou experts (1). Le petit Davide, 4 mois, coqueluche de l’assemblée, a fait entendre sa voix au synode : c’est le douzième enfant d’un couple italien missionnaire aux Pays-Bas, les Paloni, Massimo, 45 ans, et Patrizia, 41 ans, et présents comme auditeurs. Ils ont l’occasion de donner leur témoignage en assemblée générale ou de participer aux travaux des carrefours linguistiques. Même s’ils ne « votent » pas les rapports des groupes.
Il y a un couple parmi les 24 experts et 17 couples parmi les 51 auditeurs.
■ Il n’y a que des catholiques ?
Certes, c’est un synode des évêques catholiques, comme l’a voulu Paul VI il y a 50 ans pour prolonger le travail de Vatican II par un travail des évêques de tous les continents, successeurs des 11 apôtres, avec et sous l’autorité du successeur de Pierre, pour affronter en Église les questions qui se posent à l’Église dans notre temps.
Et pour cela, comme à Vatican II, sont invités des « délégués fraternels » des autres confessions chrétiennes : ils sont 14. Ils peuvent prendre la parole en assemblée et intervenir dans les groupes, sans voter les textes finaux.
■ Comment travaillent-ils ?
Beaucoup, du 4 au 25 octobre, en assemblées, en groupes, et en dehors, pour rédiger les documents. Il y a aussi des contacts, libres, notamment entre eux, avec le Pape, et avec la presse.
Les travaux sont guidés par les trois sections du document appelé « Instrument de travail » :
1) L’écoute des défis sur la famille (c’était précisément le thème du synode de 2014), première « semaine » (5-8 octobre) ;
2) Le discernement de la vocation familiale, deuxième étape (8-9 octobre) ;
3) La mission de la famille dans le monde d’aujourd’hui, troisième étape, à partir du 9 octobre, en salle, mais en groupes, la discussion sur la seconde partie a lieu lundi 12 et mardi 13 octobre (ces deux autres parties correspondent au thème du synode de cette année).
En amont, ils ont déjà travaillé pour l’élaboration des documents (document préparatoire, instrument de travail) qui font l’objet d’un va-et-vient entre Rome et les conférences épiscopales, et les congrégations religieuses. Ils ont aussi travaillé en amont à la préparation de leurs interventions et des amendements (« modi ») à apporter à l’Instrument de travail : ils les remettent par écrit au secrétariat du synode après les avoir travaillés et votés.
Les interventions en assemblée sont de 3 minutes pour pouvoir donner la parole à 318 personnes.
Les synthèses peuvent être enrichies de communications écrites remises au synode. Les interventions ne sont pas publiées : le pape François l’a demandé pour préserver la totale liberté de parole. On pense notamment aux évêques de régions en guerre et où sévissent des persécutions. Mais les intervenants sont libres individuellement de publier ou non leurs interventions. Tel évêque canadien a vu des extraits de son intervention circuler sur Internet ; il a préféré publier lui-même l’intégralité de son texte.
Les interventions en groupes sont de 4 minutes. Mais les participants doivent ensuite travailler pour se mettre d’accord sur un rapport final à la fin du travail sur chaque section. Il y a 13 groupes. Ils ont remis et publié leurs premiers rapports vendredi 9 octobre, soit 13 rapports : 3 en français, 4 en anglais, 3 en italien, 2 en espagnol et 1 en allemand. Il y aura donc au final 39 rapports des groupes après 3 semaines de travail.
■ Que deviennent ces rapports ?
Ils ont été présentés à l’assemblée, vendredi 9 octobre. Ils donnent une photographie de l’état de la réflexion. Ils serviront à l’élaboration du texte final, et ils y tiennent. Un groupe francophone écrit : « Certains, qui ont de l’expérience expriment une certaine inquiétude que tous les « modi » que nous allons proposer, rédiger et adopter après de bons débats ne seront pas tous retenus ! Chacun est forcément sans illusion sur le devenir de ses propres opinions et se prépare généreusement à les abandonner, au moins partiellement… Mais chaque groupe aimerait certainement qu’il n’en soit pas ainsi de ses chers « modi » travaillés avec tant d’attention et de discussions, qui ont demandé non seulement beaucoup d’énergie mais aussi beaucoup d’abnégation pour les écrire en tenant compte au mieux des avis de tous. » Les rapports seront remis au Pape, avec tout le matériel du synode.
■ Qui élabore le texte final ?
Une « Commission pour l’élaboration du rapport final » a été nommée par le Pape, dans laquelle sont représentés le synode et les cinq continents : le cardinal Peter Erdö (Budapest, Hongrie, Rapporteur du synode), Mgr Bruno Forte (Chieti, Italie, secrétaire général), le cardinal Oswald Gracias (Bombay, Inde, pour l’Asie) ; le cardinal Donald William Wuerl (Washington, USA, pour l’Amérique du Nord), le cardinal John Atcherley Dew (Wellington, Nouvelle-Zélande, pour l’Océanie), Mgr Victor Manuel Fernandez (Recteur, Université catholique pontificale, Argentine, pour l’Amérique latine), Mgr Matthieu Madega Lebouakehan (Mouila, Gabon, pour l’Afrique), Mgr Marcello Semeraro (Albano, Italie, pour l’Europe ; il est aussi le secrétaire du Conseil des 9 cardinaux conseillers du pape François); et le P. Adolfo Nicolas Pachon (Espagnol, Général des jésuites, pour représenter les religieux).
La commission a pour mission de suivre chaque phase de la progression du synode et elle se réunit au terme des travaux sur chaque partie du document de travail. Au terme des trois étapes, elle supervise l’élaboration du projet de Rapport final qui est présenté en assemblée le jeudi 22 octobre pour être amendé. Ce projet résulte de la composition de trois textes qui ont déjà intégré les « modi » des travaux en carrefours.
La Commission supervise ensuite l’élaboration du Rapport final présenté le matin du samedi 24 octobre et voté dans l’après-midi. Il est ensuite remis au Pape qui le publie ou pas, qui s’appuie sur ce travail pour faire une exhortation apostolique « post-synodale » ou pas : les premiers synodes de Paul VI n’ont pas fait l’objet de document papal final.
Une première réunion des rédacteurs a eu lieu pour synthétiser les « modi » : certains groupes en ont remis 8 mais d’autres… 64.
■ De quoi parle le synode, concrètement ?
Un exemple, il y a eu 75 interventions entre vendredi 9 et samedi 10 octobre, en italien, anglais, français et espagnol. Sur la seconde partie de l’Instrument de travail (après les 72 interventions sur la première partie). Les choses concrètes arrivent cependant surtout dans la troisième partie, abordée dès samedi matin avec 12 interventions (qui continuent samedi après midi).
Les thèmes ? Ceux de l’Instrument de travail. La famille « chemin de l’Eglise », « école d’humanité », de sanctification, de la vie ecclésiale. La spiritualité familiale, le quotidien de la vie familiale, la prière, la Parole de Dieu, — une liturgie familiale — participation à l’eucharistie et au sacrement de la réconciliation, la vocation au mariage et à la vie familiale, en réponse à un appel de Dieu — pas inférieur ou de seconde classe — à l’instar du sacerdoce ou de la vie consacrée, mais « aussi digne et importante devant Dieu ».
Les Pères ont aussi évoqué « le caractère missionnaire de la famille », l’importance des « groupes de vie familiale » et des mouvements de laïcs.
Ils ont souligné « la miséricorde dans la tendresse et l’affection » rencontrée dans les situations difficiles, « miséricorde et vérité », « miséricorde et justice », l’importance de « l’accueil vis-à-vis de tous » y compris les familles en difficulté.
Ils ont évoqué l’importance à la fois « de proclamer l’Évangile et d’embrasser les personnes ».
A propos de l’indissolubilité du sacrement de mariage valide, ils soulignent « l’affirmation prophétique de l’Église », « en continuité avec l’exigence de l’expérience de l’amour de l’homme et de la femme » : stable et pour se perpétuer, avec l’invitation à présenter l’indissolubilité « de façon positive » et pas comme « un joug ».
Parmi les autres thématiques, les rapports interreligieux, illustrés notamment par le témoignage au début de la 3e partie : un couple indien, elle catholique, lui hindou. Ils ont évoqué les problèmes de l’émigration, de la pauvreté, de la famille qui éduque parfois au mal, quand les rapports sont corrompus : c’est une question de moralité sociale aussi. La solidarité ne doit pas être dans le mal.
Le cas des familles de militaires — éloignement et difficultés — a été évoqué.
Il a été aussi dit qu’il faut « encourager les jeunes » en leur montrant que « construire une famille c’est possible ».
Autres thèmes : l’engagement social et politique des familles, l’éducation des enfants, car le couple est fait pour le bien des enfants et pas pour rester enfermé sur lui-même, la signification de l’amour conjugal.
Du point de vue de la méthode, quelqu’un a suggéré l’opportunité de séparer ce qui est de l’ordre de l’universel et du particulier : donner une certaine liberté aux conférences épiscopales.
Une intervention a appelé à un examen de conscience de l’Église par rapport à la crise de la famille pour voir comment elle y a d’une façon ou d’une autre contribué aussi : se demander en quoi elle a aussi échoué, voir sa responsabilité dans la crise du mariage, faire pénitence pour les carences et l’insuffisance de la formation des familles, paresse, foi faible, désir d’être populaire : des causes pas forcément externes à l’Église mais aussi des faiblesses internes de la part de l’Église qui ne sait peut-être pas présenter son message.
En résumé, deux écoles de pensée se manifestent, entre miséricorde et justice (entendue comme application de la loi).
Soit l’on souligne que, selon un proverbe oriental, « avant de juger quelqu’un il faut que tu mettes ses sandales », car la souffrance a besoin d’être écoutée, en se demandant comment Jésus se serait comporté, face à ces personnes blessées, qui sont les frères et sœurs de Jésus, et l’eucharistie est la nourriture de ceux qui sont en chemin.
Soit l’on souligne que « l’Église ne sera crédible que si elle parle avec clarté et que la vérité prophétique est dite sans complexe sur l’indissolubilité du mariage » sacramentel. Car le « regard de Jésus lui-même » n’est « pas complaisant : il s’agit de protéger le mariage et la famille contre des aventuriers ».
Un cas a été soulevé, celui d’une femme non baptisée, femme d’un catholique baptisé, mariés civilement. Elle se convertit, demande le baptême mais son époux ne veut pas se marier à l’Église. Peut-on accorder les sacrements à la femme ? Peut-on la baptiser ?
Un cas qui pose notamment la question de l’importance des 7 sacrements : sont-ils égaux pour le salut ? Ne doit-on pas différencier les sacrements de l’initiation chrétienne et les autres ?
En tout cas, les pères recommandent de ne « pas présenter l’indissolubilité » du mariage sacramentel catholique « comme un fardeau », car l’Église « propose des moyens de salut » et non pas une « charge insupportable », mais la grâce de Dieu permet de « supporter ses faiblesses ».
Un groupe francophone le signale tranquillement : le contenu de l’Instrument de travail est tellement riche que la matière ne sera pas épuisée.
Surtout la famille est un bien universel de l’humanité et malgré les cultures et les sociétés, elle est à la fois partout l’objet de forces de désagrégation (diverses mais avec des effets similaires) et elle a partout les ressources que les évêques discernent pour travailler à la fortifier, à la servir.
Enfin, les représentants de l’Orient chrétien ont lancé des appels en faveur de leurs communautés qui souffrent. Ils ont demandé aux conférences épiscopales — notamment des États-Unis — d’intervenir auprès de leurs gouvernements « pour que cessent ces guerres atroces », car le problème principal de ces familles, c’est… la survie !
■ Que fait le pape François ?
Le Pape poursuit ses activités habituelles : messe du matin à Sainte-Marthe, audience du mercredi, autres audiences, nominations, messages.
Pour le synode, il a présidé la veillée de prière avec toutes les familles des paroisses romaines, samedi 3 octobre, il a ouvert le synode par la messe à Saint-Pierre le dimanche 4 octobre, et l’angélus sur l’enfance malheureuse. Il préside les assemblées générales du synode : il écoute. Et il intervient (Benoît XVI aussi intervenait quand il le jugeait nécessaire).
Il est intervenu mardi, 7 octobre, pour dire trois choses, notamment, pas de complot (le rôle de la Commission était sujet à interrogations sur la liberté de travail des Pères), la doctrine reste intacte, et on ne réduit pas les débats à la question de l’accès à la communion sacramentelle des divorcés-remariés.
Il est intervenu avant la prière de l’office de tierce vendredi matin 9 octobre pour demander la prière du synode pour la paix au Moyen-Orient et les régions africaines en conflit et pour interpeller la communauté internationale sur la question.
Il est présent à toutes les pauses-café et tout le monde peut l’approcher. Il ne prend pas de café, mais parle avec tous, remonte en assemblée dans les derniers, prend l’escalier comme tout le monde et pas l’ascenseur.
Un prêtre africain témoigne : c’est, pour tous les pasteurs, un exemple de simplicité et de proximité.
Il a invité à invoquer l’Esprit-Saint : pour passer de Babel à la communion il faut l’Esprit de Pentecôte.
Mais d’autres interventions du Pape sont bien présentes au synode : ses catéchèses du mercredi sur la famille, et ses enseignements à la Rencontre mondiale des familles à Philadelphie en septembre. Par exemple son insistance sur le fait que le Christ est venu dans une famille : il n’a pas voulu venir dans ce monde autrement. Il a aussi invité le synode à repartir de Nazareth avec la spiritualité de Charles de Foucauld. ■