Prêcher à ceux qui n'ont pas de mots. - France Catholique
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La justice de Dieu
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Prêcher à ceux qui n’ont pas de mots.

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La semaine dernière, le Président Obama, prononçant le discours d’ouverture d’une remise de diplômes, invita les lauréats à ignorer ces voix qui clament que « le gouvernement est la cause de tous nos problèmes. Ce qui signifierait — dit-il — l’échec de notre grande expérience à nous gouverner nous-mêmes,» conclusion à éviter à tout prix. Laissons de côté nos seize mille milliards de dollars de dette plutôt qu’accepter cette terrible conclusion.

J’ai eu l’occasion de jouer le rôle de l’affreux Parolles dans une production théatrale à la fac de « Tout est bien qui finit bien », et ces mots résonnent encore dans ma mémoire. Quand on demande à Parolles, un vaurien vaniteux, lâche, en quoi il sert son jeune maître inexpérimenté Lord Bertram, il répond: « je corromps les mots pour lui.»

Il ne s’agit pas pour Parolles d’enseigner à Bertram l’art du mensonge. Un simple menteur se sert des mots en tant que tels; quand il déclare « je n’ai pas eu connaissance d’une tentative pour couvrir l’effraction à l’hôtel Watergate,» il s’attend à ce que vous saisissiez un fait parfaitement défini. Les mots veulent dire ce qu’ils signifient.

Mais corrompre les mots, c’est, littéralement, les pourrir à cœur. Pensez à une buchette de bois d’érable pourri; elle ne vaut plus rien, vous pouvez la réduire en miettes en l’écrasant dans la main. Les mots corrompus sont pires que des mensonges. Non seulement ils n’ont pas la signification qu’on en attend, ils ont perdu tout pouvoir de signification.

La plupart des mots dans les discours politiques sont comme la sciure après le passage des termites. Ils ont l’apparence d’une bûche ou d’une planche, mais il n’y a plus rien de consistant. On ne traite pas une poutre pourrie en la peignant en blanc. On ne trouvera aucun traitement, il faut la remplacer par une poutre toute neuve.

Prenons « nous gouverner nous-mêmes », par exemple. Qu’est-ce que çà peut bien vouloir dire? Soljenitsyne disait que la ligne de front dans la bataille entre le bien et le mal passe par le cœur de tous les hommes. Ainsi du combat entre « nous gouverner nous-mêmes » et l’anarchie, cet ennemi rouge combattant au côté de la tyrannie, autre ennemi rouge. Si « nous gouverner nous-mêmes » signifie quelque chose, c’est que les gens se gouvernent seuls, attachés à la loi morale dans leur comportement personnel et unis avec les autres pour le bien commun.

Gestion autonome implique gestion par les autochtones. Pensez à une petite école dans l’État du Vermont, dernier bastion résistant à la main-mise de l’État sur sa gestion. Cette école a connu la réussite durant plus d’un siècle. Elle est supervisée par des donateurs locaux, fréquentée par leurs enfants, tous y sont viscéralement attachés. Ils aiment leur école, comme on peut s’y attendre.

Une supposition: les commissaires d’État à l’enseignement se mettent à harceler cette école, exigeant sa fermeture pour rattacher le secteur à un ensemble plus important. Imaginez alors que les politiciens décideurs de cette fermeture se mettent à pousser des cris, « comment osez-vous rejeter notre aide et notre compétence! N’avez-vous pas confiance dans le système de « nous gouverner nous-mêmes » ? Comment réagir? Ce serait tenter de ramener un fou à la raison. Les mots ont perdu leur sens.

La politique moderne est peut-être l’art de corrompre les mots afin de toucher ce nouvel élément dans le monde, les masses, qui, du simple fait du nombre, est sensible à un discours volant aussi bas qu’une campagne publicitaire. Mais passé un certain seuil, ces fous oublient qu’ils ont corrompu les mots, et ils ne sont même plus capables de s’en servir intelligemment eux-mêmes.
Les publicitaires sont les premières victimes de leurs publicités. Je reste persuadé que les politiciens de la « droite ambidextre » comme ceux de la « gauche ambidextre » [NDT: j’ai failli écrire: « ambisenestre ».] croient vraiment exprimer quelque chose en employant des mots tels que « défense », « égalité », « droits », « enseignement », « sécurité sociale ». Ils sont à la fois meilleurs et pires que des menteurs. Ils ne peuvent être soupçonnés d’induire consciemment en erreur pour la simple raison qu’ion ne peut nullement les accuser d’agir consciemment.

Que faire alors si nous voulons porter la Bonne Nouvelle aux gens dont la langue se délite, attaquée par les termites? Oserai-je? Je suis conscient d’une suggestion attribuée à St. François, que j’admirai en la découvrant, mais dont je suis déçu maintenant : « prêcher tout le temps, employer les mots si besoin ».

Oui, nous devons toujours prêcher, par des actions de foi, d’espérance et de charité. Nous devons être ouverts à notre prochain dans un monde empli de dureté. Nous devons offrir notre amitié aux autres, en un monde d’isolement moral. Par-dessus tout, nous devons prier pour les autres, s’ils ne savent pas prier.
L’homme est, paraît-il, un animal doué de raison et, finalement, au bout d’une dizaine de minutes, nous lui porterons la Parole à l’aide de la parole, des mots. La foi vient en écoutant, nous dit St. Paul. Il y a un os: porter la Parole à des gens devenus aphasiques.

Si pour commencer nous disons: « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné Son Fils unique afin que ceux qui croient en Lui ne périssent pas, mais aient la vie éternelle,» quels mots de cette phrase leur seront compréhensibles? Et lesquels comprenons-nous ?

Peut-être devrions-nous commencer en toute humilité. St. Boniface parcourant les forêts pour évangéliser les Germains devait travailler face à une culture considérable. Il y avait des bases solides pour des fondations et une construction. Quand St. Augustin de Canterbury demanda au pape Grégoire le grand ce qu’il fallait faire des sanctuaires païens, Grégoire lui écrivit aussitôt de ne pas les détruire, mais de les nettoyer, puis de les dédier au Christ. Il y avait plus que des fondations sur lesquelles bâtir, il y avait un bâtiment à rénover.

Je ne crois pas que nous aurons la chance de trouver une solide culture païenne à qui nous adresser, ni de solides bâtisses païennes à restaurer. Nous devrons commencer par le commencement, avec patience. Les mots ont une signification. La vérité existe. Le bien et le mal existent aussi.
Si quelqu’un a une meilleure idée, merci d’avance de me la faire connaître.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/preaching-to-the-wordless.html


NDT: le président Obama est actuellement l’objet de soupçons graves sur divers sujets (mauvaise réaction à l’attentat de Benghazi le 11 septembre 2012, saisie illégale d’enregistrements téléphoniques de l’agence de presse AP par le ministère de la Justice, constitution de fichiers illégaux sur des associations de droite par le Service des impôts). Sa défense est comparée, en pire, à la réaction mensongère de Nixon dans l’affaire du Watergate, affaire conclue par la démission de ce président.

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gravure : La confusion des langues – Gustave Doré, 1865.