Dans un esprit de gratitude pour le bien et d’admiration pour l’admirable, grâces soient rendues à James Matthew Wilson pour son récent article sur ce site concernant Hans Urs von Balthasar et « la forme ». Le sujet mérite d’être constamment repris, et son importance est souvent ignorée de nos jours.
La forme pourrait être pensée (que les purs thomistes et les philosophes professionnels me pardonnent) comme ce que nous sommes supposés être. Les philosophes athéniens creusaient cette notion, apparemment sans l’aide de la révélation.
Un menuisier façonne de la matière – du bois – en forme de table, un objet dont la forme lui permet de supporter à notre usage des assiettes ou des livres. La table a la forme qu’elle est supposée avoir, telle que le menuisier l’a conçue.
Comme nous avançons dans la vie, nous humains développons plus pleinement la forme de la personne humaine, ou nous échouons à le faire. Ce « ou » marque la différence entre une vie réussie et une vie ratée.
L’Église nous dit dans quel but nous avons été créés, pour être finalement heureux avec Dieu dans la vie future. C’est « ce pour quoi nous sommes », tout comme la table est prévue pour supporter des assiettes ou des livres.
Mais alors que nous pouvons regarder une table et savoir que c’est une table – une des traductions du mot grec eidos, ou forme, est « regarder » – c’est plus difficile à discerner pour une personne. La forme que doit avoir une personne nous est difficile à connaître. Monseigneur Robert Sokolowski a écrit que « nous devons garder une certaine modestie quand nous débattons de la personne humaine. Nous resterons toujours mystérieux à nous-mêmes ».
Pourtant, comme l’a observé le Dr David Walsh, « être une personne, c’est savoir ce que signifie être une personne ». Nous avons une certaine idée de ce nous devons être. Mais tant Sokolowski que Walsh pourraient convenir que, alors qu’on peut dire beaucoup sur la personne, essayer de parler de la forme de ce que nous sommes, de ce que nous sommes supposés être, atteint les limites de notre compréhension et de notre langage. Ce n’est pas comme décrire une table.
Saint Paul se débat pour trouver la façon de communiquer la compréhension chrétienne de la personne et de ce que nous sommes censés être. « Revêtez l’homme nouveau ». « Revêtez notre Seigneur Jésus Christ ». Nous aurons des corps spirituels incorruptibles. Nous devons mourir à nous-mêmes et vivre dans le Christ, vivre – non pas nous mais le Christ en nous. Que signifient ces points d’instruction ? A quoi ressemble un corps spirituel ? Quelle sera notre forme quand nous serons heureux avec Dieu ?
Peut-être que l’image la plus utile, même si toujours mystérieuse, que Saint Paul nous donne est le Corps du Christ. Nous devrions maintenant, métaphoriquement, avoir la forme des pieds et des mains du Corps du Christ. Cela commence dans cette vie et se perfectionne dans la vie future.
L’image de Saint Paul procure autre chose. Elle nous dit ce que nous sommes supposés être, comme individus et comme communauté. Aucun de ces aspects ne peut exister sans l’autre.
Aristote, qui a beaucoup à dire sur la forme, a proposé l’axiome selon lequel l’homme est un animal politique ou social. Nous avons, fait unique parmi les animaux, un discours rationnel ou logos. Nous utilisons ce discours pour communiquer avec les autres à propos de la réalité, à propos de « ce qui est » et pour coopérer à accomplir le bien.
Cette nature relationnelle signifie d’une part que nous ne pouvons être que ce que nous sommes censés être et d’autre part que nous pouvons seulement réaliser en communauté, avec les autres, la forme que Dieu a créée pour nous. Nous devons nous donner aux autres pour être ce que nous sommes censés être.
Alasdair MacIntyre, dans son livre « Dependent Rational Animals » (Animaux dépendants et rationnels), décrit la vertu de « générosité équitable », remboursant l’immense dette que nous devons parce que les autres ont pris soin de nous ou le ferons quand nous serons désemparés à certains moments de notre vie. Nous ne pouvons pas être pleinement humains, nous ne pouvons pas réaliser pleinement notre forme sans faire preuve de cette vertu en relation avec les autres.
Et nous ne pouvons pas être ce que nous sommes censés être sans souffrir.
Ce qui est souvent oublié de nos jours, ainsi que von Balthasar l’a noté, est que notre forme n’est pas quelque chose que nous choisissons. Dieu a créé cette forme et l’a intégrée dans notre nature. Il ne nous est pas donné d’en choisir une autre, et quand nous essayons, nous perdons la beauté de la forme qui nous a été donnée.
Reconnaître ce don de Dieu, reconnaître que nous ne sommes pas un protoplasme informe laissé libre de choisir sa propre forme requiert également une autre sorte de don de soi ou d’abandon. Cela demande que nous abandonnions l’égoïste prétention à une autonomie vaine pour créer notre propre réalité et forme et que nous embrassions la liberté d’être ce pour quoi nous avons été créés.
Quand le bois est façonné en forme de table, rien d’autre ne vient simultanément acquérir sa forme. Dans le cas des gens, c’est différent d’au moins deux manières.
Premièrement, en nous donnant aux autres et en recevant d’eux, nous les aidons à réaliser leur forme.
Au-delà de cela, l’Église comme un tout est conduite vers sa forme propre. A mesure que nous devenons membres du Corps du Christ, l’Église devient le tout final qu’elle est supposée être.
Nous voulons tous être sauvés, et cela nous est nécessaire. Mais être sauvés de la damnation n’est pas suffisant pour achever notre forme. Nous devons être intégrés au Corps du Christ pour avoir notre forme.
Ce qui nous ramène au mystère de la forme humaine. Le mieux que nous puissions faire pour le décrire, ainsi que Saint Paul a bousculé le discours pour le faire, est d’accepter que la forme de l’être humain est le Christ Lui-même.Il est le seul à pouvoir combiner nos formes individuelles avec notre forme collective, toutes deux nous étant nécessaires, ainsi que le dit l’Église, pour être finalement heureux avec Dieu.
Je m’interroge sur ce que les maîtres originels de la philosophie de la forme, Socrate, Platon et Aristote, auraient pu faire avec cette révélation.