POURQUOI VIEILLIT-ON ? - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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POURQUOI VIEILLIT-ON ?

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Le 6 février 1721 naquit à Lübeck un garçon du nom de Heinrich Heineckein. A dix mois, il parlait à peu près couramment sa langue natale (l’allemand). A quinze mois, il commençait ses études. A deux ans, il apprenait le latin et le français. A trois ans et quelques mois, il fut présenté à la cour de Danemark. Outre l’Allemand, il parlait le latin et le français et montrait une étonnante connaissance de l’histoire, en particulier celle des dynasties royales. Il mourut à quatre ans et demi (a).

On connaît de nombreux cas historiques de telles existences apparemment accélérées, attribuables à diverses maladies. La progérie, par exemple, est une sorte de nanisme donnant à l’enfant l’apparence d’un petit vieillard. Ses processus vitaux se déroulent à une vitesse effrayante et il meurt prématurément (b).

La progérie (de deux mots grecs signifiant « vieillesse prématurément ») est une maladie dégénérative congénitale. Dans le cas du syndrome de Werner, le vieillissement galopant peut frapper brutalement l’adulte les dents tombent, les cheveux blanchissent, la peau se ride, les yeux, les muscles, le cœur, l’organisme entier parcourent à une vitesse effrayante les saisons de la vie1.

Il s’agit d’une maladie héréditaire rare sauf en Sardaigne et au Japon où elle peut atteindre un individu sur 3000 naissances en raison de la fréquence des mariages consanguins. Dans 90% des cas, elle résulte de mutations d’un gène spécifique (appelé WRN) découvert par des chercheurs japonais (Yu et al., Science, 272: 258-262, 1996). Les enfants d’un patient atteint sont porteurs du gène muté mais ne déclarent généralement pas la maladie, car il est peu probable qu’ils se marient à un autre porteur. Ce gène WRN code une enzyme de la famille des hélicases impliquée dans la réplication de l’ADN, dans la réparation de certains dommages subis par l’ADN et dans la transcription de certains gènes. Les hélicases sont capables d’écarter les deux brins de la double hélice d’ADN en rompant les liaisons hydrogènes entre les bases nucléiques ; le dysfonctionnement de ces enzymes provoquent une instabilité du génome..

Le temps ne peut suspendre son vol

Devant ces étranges distorsions du temps de la vie, le biologiste ne peut échapper à des questions qui dépassent la biologie : si le vieillissement accéléré est une maladie, le vieillissement tout court, qui nous parait chose inéluctable et naturelle, n’en serait-il pas une lui aussi ? Pourquoi un même phénomène serait-il pathologique ou normal selon la vitesse à laquelle il se déroule ? Si certains facteurs biologiques accidentels peuvent l’accélérer, pourquoi des facteurs différents ne le ralentiraient pas ? Pourquoi même ne pourrait-on pas supprimer purement et simplement les effets de l’âge ?

Questions à première vue exorbitantes, toute la sagesse humaine étant une méditation sur les effets inexorables du temps : « Un matin en s’éveillant, il trouva le ciel moins bleu, les fleurs moins odorantes et les femmes moins belles, et il comprit qu’il était vieux », lit-on déjà dans la plus vieille épopée du monde, composée il y a quatre mille ans, par Gilgamesh. L’idée que le temps puisse suspendre son vol nous parait aberrante, contraire à une observation universelle.

Et cependant, la nature elle-même nous donne des exemples patents d’immortalité. Les êtres les plus primitifs, ceux qui se multiplient en se divisant, ne meurent que d’accident. Certains arbres, certains poissons grandissent jusqu’à leur mort. Il est vrai qu’ils meurent probablement de gigantisme, comme les séquoias ou les grands eucalyptus australiens.

Nous-mêmes, si tourmentés par notre condition mortelle, nous ne pensons jamais que nous portons en nous une vie presque aussi ancienne que la terre, et qu’entre notre corps menacé et l’origine de la vie, le fil ne fut jamais rompu ! A telle seconde précise, il y a un milliard d’années, vivait un être, et un seul, qui fut mon ancêtre en lignée paternelle (ou maternelle). S’il n’avait pas eu l’obstination et l’habileté de survivre jusqu’après s’être reproduit, je ne serais pas là.

Quelque chose donc, à travers nos corps éphémères, et même au regard du plus matérialiste, postule inlassablement à l’immortalité. Entre parenthèses, ce quelque chose détient maintenant pour la première fois le pouvoir de se suicider : c’est en quoi la condition humaine depuis vingt-cinq ans, a ajouté à la vie une liberté totalement nouvelle.

Revenons au vieillissement, que ces remarques dépouillent quelque peu de son caractère métaphysique, ou plutôt à quoi elles ajoutent une dimension purement physique. La pathologie du vieillissement montre qu’il est gouverné par des mécanismes matériels.

Le Congrès de gérontologie qui s’est tenu à Paris en décembre dernier sous l’égide de l’INSERM permet de proposer un premier bilan théorique et expérimental. Expérimental : en 1961, Léonard Hayflick montrait que les cellules en culture ne se divisent qu’un nombre limité de fois ; des cellules apparemment identiques (puisqu’elles se perpétuent en reproduisant leur image par scissiparité) peuvent donc être « jeunes » ou « vieilles » ; et ce qui est remarquable, c’est que le nombre des reproductions baisse d’autant plus que l’âge de l’individu sur lequel ces cellules sont prélevées est plus avancé. Il existerait donc un potentiel de division cellulaire qui décroîtrait avec l’âge2.

Particulièrement frappantes sont sur ce point les expériences du Suédois J. Ponten, d’Uppsala, sur des cellules provenant de 80 cerveaux humains d’accidentés de la route et montrant de façon semble-t-il définitive que la baisse du potentiel de division est bien fonction de l’âge. Les propriétés de la cellule vivante changent à mesure que le temps passe, bien que nous ne puissions encore dire précisément en quoi.

Plusieurs théories sont cependant avancées, qui suscitent à leur tour d’innombrables tentatives de vérification. En gros, on peut ramener ces théories à deux modèles.

La première est celle d’une programmation génétique : le vieillissement serait programmé dans le code génétique exactement comme les métamorphoses subies par le corps au cours de la croissance. Cette théorie se prête mal à l’expérimentation. De plus, comment cette programmation serait-elle transmise puisque le vieillissement intervient essentiellement après la reproduction ?3

La deuxième théorie suppose que, lors de leur reproduction, les cellules accumulent les erreurs à chaque division et s’éloignent ainsi peu à peu du modèle viable transmis dans le germe, de même qu’un message transmis mille fois de bouche à oreille finit par ne plus rien vouloir dire et donc par cesser d’être transmis.

Du « pourquoi » aux « comment »

Des expériences très frappantes ont été rapportées au cours du colloque de décembre dernier, notamment par l’Anglais Colin Hughes et le Français Yves Courtois. Tous deux montrent que la membrane de la cellule subit en vieillissant des altérations qui gênent de plus en plus l’activité normale de celle-ci.

Il est difficile d’en dire plus sans entrer dans la technicité du sujet, où seuls les spécialistes savent de quoi ils parlent (c)4.

Aimé MICHEL

(a) Robert Tocquet : les Hommes phénomènes (Productions de Paris, Paris 1961).

(b) Daniel Bergsrma : Birth Defects, Atlas and Compendium (Williams and Wilkins, Baltimore) ; cf. la Recherche, N° 42, février 1974, p. 180, qui publie [un article sur la] progérie5.

(c) Se reporter à l’article de la Recherche cité en note (b). Le colloque de décembre dernier publiera en outre ses comptes rendus.

Chronique n° 175 parue dans France Catholique-Ecclésia – N° 1420 – 1 mars 1974


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 11 janvier 2014

  1. Le syndrome de Werner apparaît entre vingt et trente ans. Les patients sont normaux à la naissance et durant l’enfance, hormis l’absence de la phase de croissance accrue lors de la puberté. La mort survient généralement à la suite de pathologies cardiovasculaires comme l’infarctus du myocarde ou de tumeurs cancéreuses. On ne sait pas guérir cette maladie ; on ne peut qu’en soigner les conséquences (cataracte, tumeurs…)
  2. Le travail de Leonard Hayflick (Exp. Gerontol., 5: 291-303, 1970) montre que, contrairement à ce qu’on croyait depuis Alexis Carrel, les cellules en culture ne sont pas immortelles. Leur durée de vie dépend des espèces et des tissus. Par exemple, des cellules de peau, les fibroblastes, provenant d’embryon humain peuvent se diviser une cinquantaine de fois mais le potentiel des fibroblastes provenant d’individus adultes n’est que d’une trentaine de divisions et n’excède pas quelques divisions pour ceux de patients atteints de progérie ou du syndrome de Werner. Ayant épuisé leur potentiel de division, les cellules survivent quelque temps puis meurent.
  3. Contrairement à l’idée rapportée par Aimé Michel, la mort cellulaire génétiquement programmée est une réalité bien établie aujourd’hui. Cette découverte doit beaucoup aux travaux menés à la fin des années 60 par trois chercheurs britanniques, J.F.R. Kerr, A.H. Wyllie et A.R. Currie, qui ont appelé cette forme de mort cellulaire apoptose, du grec ptosis, chute (Apoptosis : a basic biological phenomenon with wide-ranging implications in tissue kinetics, British J. Cancer, 26: 239-257, 1972). Ils ont montré que ce phénomène joue un rôle complémentaire mais opposé à celui de la mitose dans la régulation des populations de cellules animales. L’apoptose se manifeste dans de nombreux tissus adultes sains ainsi que dans l’élimination de cellules durant le développement embryonnaire normal (par exemple, aussi surprenant que cela puisse paraître, 30% des neurones meurent durant la mise en place du cerveau). L’apoptose permet également de comprendre la mort massive de cellules exposées à des rayonnements ionisants (rayons X par exemple) ou infectées par le virus du SIDA (comme l’ont montré les travaux de l’équipe de Jean-Claude Ameisen à l’Institut Pasteur). Elle intervient aussi dans la disparition spontanée de tumeurs malignes et, inversement, la perte de la capacité à s’autodétruire par apoptose explique la prolifération de certaines cellules cancéreuses.

    L’apoptose présente plusieurs phases bien définies dont la première est le morcellement de la chromatine du noyau cellulaire. L’ensemble du processus peut ne prendre qu’une quinzaine de minutes. Dans les années 90 on a compris que l’apoptose n’était pas déclenchée par des signaux physiologiques internes à la cellule mais par des signaux externes. D’une façon générale, dans l’apoptose comme dans beaucoup d’autres cas de régulation du fonctionnement des cellules, ces signaux sont des molécules de petite taille (appelées ligands) qui sont reconnues par des protéines présentes à la surface des cellules (on les appelle des récepteurs). On a ainsi pu identifier un premier récepteur (appelée fas) qui peut être activé par un ligand spécifique et déclencher l’apoptose ; d’autres récepteurs et leurs ligands ont été découverts par la suite qui ont le même effet.

  4. Dans sa première chronique, Vieillir ce mystère parue ici le 14.06.2009, Aimé Michel évoquait déjà ce mystère du vieillissement, de « l’incarnation de notre pensée dans un corps qui naît, grandit, se dégrade et meurt (…) en conformité avec les lois de la physique ». Il ajoutait : « Mais dès lors, ce que la physique fait et défait, pourquoi la physique ne le domestiquerait-elle pas ? Pourquoi ne découvririons-nous pas en laboratoire les causes du vieillissement et, les ayant découvertes, pourquoi ne les maîtriserions-nous pas ? », questions sans cesse reprises et qui connaissent aujourd’hui un regain d’actualité avec les trans- et post-humanistes qui prédisent la disparition progressive de l’humanité et son remplacement par des machines.

    Ce thème est traité notamment par Laurent Alexandre dans son livre La mort de la mort (JC Lattès, Paris, 2011) et dans une conférence brillante sur l’allongement prochain de la vie humaine (voir http://www.youtube.com/embed/KGD-7M7iYzs). L. Alexandre dirige une entreprise de séquençage de l’ADN certainement promise à un bel avenir (quand le coût du séquençage du génome humain entier sera de l’ordre d’une centaine d’euros tout le monde voudra faire analyser son ADN, ce qui ne signifie pas qu’on sera capable de prévoir toutes les maladies) ; surtout, il vulgarise très bien la convergence des nanotechnologies, de la biologie et de l’informatique (NBIC en jargon américain) et ses conséquences. L’une d’elle, et non des moindres, est que, selon lui, de petits pas en petits pas, la durée de la vie humaine va être progressivement allongée dans les prochaines décennies, au point, promet-il, que certains auditeurs de sa conférence ne mourront jamais !

    Cette présentation, en dépit de son éloquence, ne m’a pas convaincu pour deux raisons principales. La première est que l’extrapolation vers l’avenir de l’allongement passé la vie humaine n’est pas justifiée. Certes, l’espérance de vie est bien passée dans nos pays de 25 ans en 1750 à plus de 80 ans aujourd’hui, mais cet accroissement est trompeur parce qu’il s’agit de l’espérance de vie à la naissance. La progression constatée résulte surtout de la disparition progressive de la mortalité infantile ; la progression est donc de moins en moins forte quand on prend l’espérance de vie à 10 ans, 20 ans etc. Les vieillards étaient jadis moins nombreux mais les plus vieux de nos jours ne meurent pas plus âgés que les plus vieux de jadis. La barrière des, disons, 110 ans environ demeure la même.

    La seconde est que les conséquences des progrès scientifiques et techniques que décrit Laurent Alexandre sur l’allongement de la vie demeurent incertains. Il ne suffit pas de savoir qu’une solution est possible en principe, il faut la mettre en œuvre en pratique. Or les causes du vieillissement sont, semblent-ils, multiples ; il n’est donc pas évident à ce jour qu’on puisse les corriger toutes dans les prochaines décennies. Il suffit d’un seul processus vital en mauvais état pour précipiter la chute de l’ensemble de l’organisme. Certes, on peut espérer maintenir plus longtemps les gens en bonne santé mais sans pour autant augmenter globalement leur durée de vie. Sera-t-on capable dans un avenir proche de briser la barrière des 100-110 ans et d’augmenter significativement la durée de vie totale ? Là est la vrai difficulté qui me paraît avoir été éludée par Laurent Alexandre. Qui vivra verra !

  5. Les mots entre crochets manquent dans l’article imprimé. L’article de la Recherche auquel se réfère Aimé Michel, intitulé « La gérontologie expérimentale sort des limbes », résume les communications d’un colloque de l’INSERM sur le vieillissement qui s’est tenu en décembre 1973. L’auteur, Monique de Meuron-Landolt, y fait le point sur l’état des recherches à l’époque. Quatre camps s’opposent alors. Les adeptes du premier réfutent les travaux de Hayflick en soutenant que les cultures cellulaires in vitro ne permettent pas de tirer des conclusions valides in vivo, ce que contestent les tenants des trois autres camps. Les seconds sont partisans de la théorie de la programmation génétique. Les troisièmes tiennent que le vieillissement résulte de l’accumulation d’erreurs génétiques. Les derniers, enfin, insistent sur la complémentarité de ces deux théories et ne voient pas pourquoi elles seraient exclusives l’une de l’autre. C’est ce dernier point de vue qui semble s’être imposé depuis lors en raison même de son pragmatisme. Reste que le sujet demeure mal compris en raison de multiples difficultés : d’une part l’extension à l’in vivo des résultats obtenus in vitro continue de soulever des interrogations, d’autre part il est bien difficile de distinguer causes et conséquences dans les multiples altérations observées. Une théorie unifiée du vieillissement ne semble donc toujours pas en vue en dépit des progrès réalisés.