Pourquoi partir en Côte d'Ivoire ? - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Pourquoi partir en Côte d’Ivoire ?

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Neuf jours en Côte d’Ivoire, ce pays d’Afrique que je découvris en 1971, alors que Jacques Raphaël-Leygues semblait ne devoir jamais quitter son poste d’ambassadeur auprès d’Houphouët-Boigny ! 42 ans déjà ! J’y retournais en 1975 et 1978, plus jamais depuis, quoique je sois allé au Burkina Faso en 2005, apportant chez les religieux de Saint Vincent de Paul une exposition sur le Linceul de Turin. Burkina, l’ancienne Haute-Volta… pays voisin de la Côte d’Ivoire1, qui a fait de l’éléphant son animal emblématique ; voisin également du Ghana dont j’ai foulé le sol en 2010, envoyé par Yao N’Guessan afin d’y rencontrer le roi des Akans et donc des Baoulés…

Le désir ne manquait pas de revenir sur ces premières traces, mais le temps manquait, l’argent manquait tandis que ne manquaient en rien les nécessités de la vie familiale sans oublier les multiples besognes à accomplir ici même… la revue des Cahiers Bleus et les éditions rattachées, les écrits sur le Linceul et le théâtre chrétien, déjà les conférences, les éditions Andas, mes cours au Conservatoire national de Troyes… Tout cela n’était que des micro-actions, une sorte de néant au regard de ce qui aurait dû être mais je n’ai jamais été doué pour l’efficacité. Cependant « c’était à faire, point c’est tout » !

Fort rares furent dans l’histoire du Quai d’Orsay des veilles diplomatiques aussi longue que celle qu’observa Raphaël-Leygues en Côte d’Ivoire : commencée en 1962 elle ne s’acheva qu’en 1978… Je me souviens, en cette dernière année, de la meurtrissure d’âme et de cœur ressentie par l’ambassadeur quand il constata que personne du Quai ou de l’Élysée n’avait songé à faire trois tours de roues pour se rendre à Orly – où je me trouvais2 –, et le saluer pour ces seize années de bons et loyaux services en un pays qui faisait alors figure de « vitrine » de la Francophonie ! Certes, chez le Président français la sensibilité n’était pas le point dominant.

Il est vrai que Giscard d’Estaing avait cherché mille fois à passer outre au désir du Président ivoirien de n’être pas séparé de celui qui était comme son double, conseiller toujours prêt à le soutenir comme à le mettre en garde. « Houphouët père de la Côte d’Ivoire, Raphaël Leygues demi-père », disait-on dans les campagnes de là-bas… En effet, la Côte d’Ivoire est composée d’un faisceau de tribus autrefois souvent en guerre les unes contre les autres : certaines habitudes persévèrent, hélas… Nombre d’hommes politiques du temps se voyaient donc très bien succéder à Houphouët, non parce qu’ils en étaient capables mais parce qu’ils considéraient l’État comme une source de profits inépuisables… d’où de nombreux projets de complots, certain fort proches de l’exécution. Raphaël-Leygues, devenu un très fin connaisseur du microcosme ivoirien, était sans doute aussi nécessaire à la France qu’à la Côte d’Ivoire, qu’il avait appris à aimer charnellement… ce qui n’était pas une évidence pour l’Élysée : Giscard d’Estaing voyait plutôt l’ambassadeur comme une sorte de Statue de Commandeur gaulliste, ce qui n’avait rien pour lui plaire.

Pourquoi donc ce voyage ?

Depuis longtemps, treize années, j’ai noué des relations de réflexion et d’écriture avec un avocat ivoirien inscrit au Barreau de Paris, Me Yao-Barthélemy N’Guessan. C’est Pierre Cannebotin qui me le présenta : c’était en vue de rédiger un livre signé par ce futur ami, même si je participais activement à sa rédaction : Sauvez la Côte d’Ivoire, que publièrent les Cahiers Bleus. Il convenait en effet que figurât la seule signature de l’avocat ivoirien engagé dans l’action politique en son pays comme en France, où il avait fondé l’association des Ivoiriens de l’étranger (AIE) : non celle d’un petit Français de rien du tout (j’assume l’expression parce qu’elle me semble parfaitement adaptée à celui que j’étais et que je suis resté).

Nos destins se sont ainsi croisés de façon presque fortuite : avec ce livre, nous avons perçu que nous partagions les mêmes visions, les mêmes illusions, les mêmes appréhensions, les mêmes analyses. Les mêmes colères et les mêmes ambitions. Plus l’amitié.

Plus tard, nous avons ensemble sorti une douzaine de numéros d’un bulletin nommé Liaison, dont quelques centaines d’exemplaires étaient distribués par des amis de Yao en son pays : source d’idées, de réflexions et d’informations, ils avaient pour but de donner des arguments à des intellectuels, des médecins, des professeurs… Je ne sais si la distribution parvenait à s’effectuer facilement : c’était déjà le règne de l’insaisissable Laurent Gbagbo ! Il valait mieux tenir sa langue au chaud que la sortir, dans la relative fraîcheur du soir, pour dire la vérité à ceux qui ne craignaient qu’une chose, justement « trop entendre et trop parler »…

Ce pays n’a jamais cessé, en mon silence intérieur, de m’attirer : comme si j’avais éprouvé un motif particulier de l’aimer ! Cette raison se dévoila lorsqu’en 2000 survint le coup d’état opéré contre Charles-Konan Bédier par cet aventurier politique qu’était Gbagbo, de funeste mémoire… quoique sa femme se révéla bien plus à redouter que lui, qui semble avoir subi sa mauvaise influence. Tous les deux ont fortement déçus ceux qui pensaient que ce curieux historien parvenu au faîte de l’État sortirait leur pays du chaos et du désastre alors que ce couple indissociable réussit à l’y enfoncer davantage. Les voilà déboussolés, certains que son successeur est peut-être bien plus à craindre… ce que nous soutint un soir, avec des arguments troublants, un roi d’une ethnie du Centre…

Il y a quelques semaines, l’ami Yao me fit part d’un projet fou : il avait par deux fois passé quelques jours en Côte d’Ivoire afin de déceler lequel, de ceux auxquels il avait pu rendre visite, épluchant leur CV, parlant d’eux avec des amis qui les connaissaient, serait le plus à même de se porter ou d’être porté candidat à la présidence de la République ivoirienne, avec bien entendu quelques chances de succès. Rien que cela ! Travail de fourmi attentive : plusieurs fois il vit qu’il faisait fausse route et tout devait alors être recommencé… Mais quelle perspective de réussite pouvait-il alléguer, face à l’actuel président de la Côte d’Ivoire, le puissant et richissime Alassane Ouattara ?

Il finit par ne rester qu’un seul candidat possible sur la quinzaine envisagée au départ : un homme d’expérience, ayant dirigé des entreprises d’importance, intelligent, soucieux de son pays, aimant davantage les petites gens que les puissants, désireux d’agir au bénéfice des plus pauvres sans pour autant mettre hors jeu ceux qui tenaient entre leurs mains l’avenir économique de son pays. Et relativement jeune : environ cinquante quatre ans !

Une question se posait : serait-il décidé à sauter à pieds joints en cet inconnu au total dangereux ? Face à lui serait levée naturellement une armée de gens sans scrupules… Yao l’avait vu, interrogé et se montrait satisfait de ses réponses. Yao me fit comprendre qu’il avait besoin de moi : mais pourquoi ?

Face aux gérontes qui s’activent dans l’ombre pour présenter encore une fois leur vieille carcasse à la foule des jeunes Ivoiriens qui ne souhaitent pourtant que de voir enfin le dynamisme l’emporter sur le fauteuil roulant, il me sembla soudain que cet inconnu avait des chances : le portrait fait par Yao m’avait séduit et je compris que l’atout le plus redoutable dont disposait ce candidat possible était qu’il avait assez de qualités pour enthousiasmer ces jeunes aujourd’hui désespérés mais prêts à faire confiance à tout autre que les habitués des marches du palais… Une jeunesse qui traîne son mal de vivre à longueur de journée, tant elle compte de chômeurs parmi les siens. Yao me montra la photo de son ‘’élu’’ et je vis qu’il avait un visage franc, ouvert, souriant : je ne distinguais aucun des traits caractéristiques du fourbe ou de l’ambitieux dévoré par la passion du pouvoir pour le pouvoir ! Je supposais qu’on glisserait face à lui l’un ou l’autre des affidés des puissants aux commandes, mais le soutien des gérontes donné au nom moins ancien qu’est Ouattara jouerait en sa faveur.
Je répondis donc favorablement à sa demande : rien de plus ou de moins que l’accompagner dès le 19 novembre en son pays. Je dis oui sans réfléchir, devenu soudain aussi inconscient que mon ami. Revenu chez moi, je me mis à réfléchir : je vis fort bien que ce ne serait pas de tout repos, ni même d’un grand confort (mais de cela je me fiche), et je continuais à dire oui.

Le 19 novembre nous fûmes à Orly bien en avance : à 15 h 45 l’avion décolla et, à 21 h 45, il nous déposa à l’aéroport d’Abidjan, où un vieux briscard d’entrepreneur aventurier de 75 ans nous pris dans sa vieille Peugeot, qu’il conduisit à la façon « pilote de rallies » comme il s’est plu à s’en vanter, pour nous déposer à l’hôtel retenu par Yao, quelque part du côté de Cocody…

(À suivre)

Dominique Daguet

  1. Côte d’Ivoire : traduction française du nom portugais usité dès la fin du XVIIe siècle : Costa do Marfim, qui fut à l’initiative des commerçants en route vers les Indes.
  2. J’étais alors directeur du Centre culturel Georges Leygues à Villeneuve-sur-Lot, dont Raphaël-Leygues était alors le maire. Il avait tenu à m’avoir, certain que je n’y mènerai pas une politique culturelle gauchiste comme déjà elle s’épanouissait dans les Maisons de la Culture lancées par André Malraux aux début des années soixante et dont nous constatons qu’elle continue d’être à peu près la seule ‘’soupe’’ servie à l’esprit des Français d’aujourd’hui.