La meilleure définition de la religion qu’il m’ait jamais été donné de rencontrer est celle donnée par le grand sociologiste français Emile Durkheim (1858 – 1917) dans son livre les formes élémentaires de la vie religieuse : « Une religion est un système unifié de croyances et de pratiques concernant des choses sacrées, c’est-à-dire, des choses mises à part et entourées d’interdictions – croyances et pratiques qui unissent ses adhérents dans une simple communauté morale appelée église. » « Des choses sacrées » (ou des « choses saintes ») sont ici la clé. Dans l’Eglise catholique d’avant Vatican II, il y avait des tas et des tas de choses sacrées. Il y avait une grande pyramide de choses sacrées. Loin là-haut, au sommet de la pyramide, bien sûr, il y avait Dieu, la chose la plus sainte de toutes les choses saintes, et la source de la sacralité qui s’égouttait sur toutes les choses moins sacrées. De ces choses moins sacrées, la plus sainte était la Vierge Marie, la mère de Dieu. En dessous, il y avait les anges et les saints, certains plus sacrés que d’autres. Il y avait neuf ordres d’anges. Dante, dans son Paradiso, met de nombreux rangs de saints.
Sur terre, il y avait des personnes sacrées, elles aussi en ordre diminuant de sacralité. Le pape était vraiment très saint ; d’ailleurs on parlait de lui comme de « sa sainteté ». Les cardinaux étaient un peu moins sacrés ; les simples évêques encore un peu moins ; les prêtres de paroisse était au dernier rang de sainteté cléricale, mais eux aussi, il fallait les traiter avec le respect dû aux personnes sacrées. Les religieuses étaient sacrées, aussi bien les gentilles et douces bonnes sœurs que les méchantes qui vous tapaient sur les doigts avec une règle. Le costume que portaient les sœurs aussi était sacré.
Des bâtiments étaient sacrés. Saint Pierre de Rome était le plus sacré de tous, même si pour certains catholiques (et j’en fais partie,) cela ressemble plus à une magnifique gare qu’à une église grandiose. Les cathédrales gothiques du moyen âge aussi étaient sacrées, surtout celles de Paris et de Chartres. Les églises paroissiales ordinaires l’étaient également, même celles, hideuses, qu’on a construites dans les années 1950, dans un style moderne.
A l’intérieur, les églises débordaient de choses sacrées : Des statues et des tableaux de saints, les stations du chemin de croix, les cierges, les fonts baptismaux, l’eau bénite. L’autel était saint, et rendu encore plus saint par la grille de communion qui le mettait à part du reste de l’église. L’Eucharistie était ce qu’il y avait de plus sacré au monde, tellement sainte qu’elle ne pouvait pas être touchée par les mains des laïcs.
Il y avait des cérémonies sacrées, la messe par-dessus tout. Mais également des cérémonies plus modestes ; La confession, les enterrements, le jeûne en carême, les vendredis sans viande, le jeûne eucharistique à partir de minuit avant de recevoir la communion, la récitation du chapelet (en groupe ou tout seul) la génuflexion en entrant dans un banc d’église, le signe de croix avant de jouer comme batteur au Base-ball.
Le latin était un langage sacré. L’eau bénite était sacrée, ainsi que les grains du chapelet et un exemplaire de la Bible (bien qu’il n’y ait pas eu beaucoup de catholiques qui aient pris la peine de lire la bible à l’époque d’avant Vatican II. Le fait de lire la bible était une caractéristique des protestants et par là même, suspect.)
D’un point de vue religieux, le grand avantage d’avoir toutes ces nombreuses sortes et degrés de choses saintes était que les catholiques étaient tout le temps environnés de personnes, lieux et objets sacrés. On pouvait aisément « sentir » le sacré. On en faisait l’expérience tous les jours de la semaine, et surtout le dimanche.
Mais il y avait aussi des désavantages. Tout cela pouvait dégénérer en superstition, et cela arrivait souvent. Au lieu de voir dans ces personnes, lieux et objets moins sacrés un reflet atténué de la sainteté infinie de Dieu, on pouvait les voir et les traiter comme s’ils étaient sacrés par et en eux-mêmes. On pouvait glisser dans l’idolâtrie. Au lieu de croire en Dieu qui a d’innombrables reflets, on pouvait éprouver qu’il y avait d’innombrables « dieux » moins importants, certains grands (la Vierge Marie) certains de taille moyenne (les évêques, les prêtres et les religieuses) et certains petits (les cierges et l’eau bénite).
La crainte de ce genre de superstition est ce qui a inspiré, il y a des siècles, l’anticatholicisme féroce des puritains. Ils n’avaientque peu, sinon aucun usage de la Vierge Marie, des saints ou du pape, des crucifix, des statues religieuses, ou des vitraux. Ils pensaient qu’il n’y avait que 2 choses saintes : Dieu et la Bible, celle-ci étant sainte non pas en elle-même, mais parce qu’elle nous montrait comment être en relation avec Celui-là.
J’estime que bien des réformes catholiques, formelle ou informelles, réalisées pendant la période qui a suivi Vatican II, ont été motivées par une sorte de puritanisme catholique. Les réformateurs avaient l’impression que beaucoup de manifestations catholiques populaires avaient dégénéré en superstition. En se débarrassant, ou au moins en affaiblissant le rôle des myriades de choses sacrées autres que Dieu, il serait plus facile pour les catholiques de se recentrer sur la seule chose essentiellement sainte, Dieu.
Cette réforme a pu être utile pour certains, mais, dans l’ensemble, cela a été un échec. Dieu seul, est difficile à connaître, à sentir, il est difficile d’en faire l’expérience. Il est incompréhensible, comme nous le rappelle saint Thomas d’Aquin ; c’est un Dieu caché comme nous le rappelle Pascal ; Il est complètement « autre » comme nous le rappelle Karl Barth.
A part pour un petit nombre de mystiques et de semi-mystiques, la plupart d’entre nous ne sera pas capable de faire directement l’expérience de Dieu. Si nous en faisons jamais l’expérience, ce sera à travers la myriade de reflets sacrés. Si on se débarrasse de ces reflets, on court le risque de se débarrasser de Dieu.
Le danger pour le catholicisme, c’est que cela peut dégénérer en superstition et idolâtrie. Le danger pour le puritanisme, c’est que cela peut dégénérer en agnosticisme et athéisme. On a plutôt intérêt, à mon avis, à courir le risque de la superstition que de courir celui, quand même pire, de l’athéisme.
Il est temps de réformer la réforme. Nous avons besoin de grille de communion, de religieuses en costume, de grains de chapelets, d’eau bénite, de latin, etc.
Il nous faut lire,- ou relire – Durkheim, et remarquer qu’il dit que la religion concerne des choses sacrées (au pluriel) et pas seulement une seule chose sacrée.
11 Août 2017
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/08/11/why-we-need-sacred-things-plural/
Tableau : Messe de José Gallegos Y Arnosa, c. 1900 [collection privée]
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