Lorsque dans sa première homélie, prononcée le lendemain de son élection devant les cardinaux, le pape François a cité Léon Bloy, j’avoue que j’en ai été un peu estomaqué. Léon Bloy, le mendiant ingrat, l’auteur de si beaux livres, d’un journal incroyable, je l’ai au complet dans ma bibliothèque ! Mais voilà, cela se comprend par ma culture hexagonale ! Comment notre nouveau pape, venu d’un autre monde, avait-il fait connaissance avec un écrivain sulfureux, mais malheureusement presque oublié, même chez nous ? J’ai peut-être eu une explication grâce à Bernanos, qui a écrit à la fin de sa vie un merveilleux texte intitulé « Dans l’amitié de Léon Bloy ». Il y raconte son étonnement d’avoir trouvé, dans une humble maison de Pirapora au Brésil, une étagère où il avait reconnu aussitôt Le désespéré, La femme pauvre et Le Salut par les juifs. Explication : « L’Amérique du Sud tout entière a un culte pour Léon Bloy. »
Je connaissais ce texte mais j’avais complètement oublié cette mention : « Oui, écrivait Bernanos, pour des milliers d’hommes à travers le monde, ce vieil homme est un ami. » J’ai relu avec une sorte de fièvre cette évocation, et au fur et à mesure, je me suis rendu compte qu’entre le mendiant ingrat et le pape François il y avait une profonde connivence : « Léon Bloy a été le prophète des Pauvres, des vrais Pauvres, des derniers survivants de l’ancienne Chrétienté des Pauvres. (…) Je me demande si Léon Bloy n’a pas été le dernier prophète du peuple des Pauvres. » Tout serait à reprendre de ces pages brûlantes. J’en retiens encore cette remarque que Bernanos tire de la parole évangélique : « Lorsque je reviendrai, trouverai-je encore des amis chez vous ? » « Mais précisément, les vrais amis du Christ sont les pauvres. Trouvera-t-il encore des pauvres, de vrais pauvres ? »
Je sais bien qu’il faudrait opérer une herméneutique serrée de tels propos, pour discerner en quoi ils peuvent se rapporter au pape François. On sait que son amour des pauvres est tout à fait concret, qu’il se rapporte a ses amis des favelas qu’il a toujours voulu accompagner. Mais n’est-ce pas aussi parce que les pauvres sont proches du Christ, qu’ils obligent à un dépouillement personnel, intérieur, dont François d’Assise a été le modèle, parce qu’il voulait ressembler au Christ ? Certains ont trouvé qu’il y avait du progressisme dans cet amour privilégié du pape François. En ce cas, je comprends très bien ce progressisme, parce qu’il est le contraire d’une dérive idéologique, parce qu’il est purement évangélique et qu’il n’a d’intérêt pour le progrès que s’il nous rapproche graduellement de Dieu. L’Église ne doit pas être une ONG, a dit le pape François, elle doit nous conformer au Christ.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 19 mars 2013.
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