La manifestation, qui aura lieu dimanche, revêt un caractère tout à fait particulier. Car la cause qu’elle défend est au-delà de toutes les revendications catégorielles. Elle se rapporte à un défi d’ordre anthropologique d’une rare gravité. Ce n’est pas pour rien que tous les évêques de France, tous sans exception, viennent de signer un texte commun rédigé par Mgr Pierre d’Ornellas, l’archevêque de Rennes, intitulé « Pour la dignité de la procréation ». L’argumentaire est rigoureusement rationnel, même s’il est en accord total avec un éclairage théologique. Et s’il est récusé par beaucoup, c’est qu’il y a désaccord philosophique fondamental. On ne peut parler de procréation en termes purement techniques et utilitaristes. Et lorsqu’on parle du corps lui-même, on ne peut éviter de se référer aux plus hauts courants de la pensée. C’est Nietzsche qui parlait du corps humain comme « d’une pensée plus surprenante que l’âme de naguère ». Formule sans doute paradoxale, mais qui donne infiniment à méditer.
Il est vrai qu’il faut accepter la discussion sur ce terrain, alors même que le président du du Comité consultatif national d’éthique, Jean-François Delfraissy, la récuse, lorsqu’il ose affirmer : « Je ne sais pas ce que sont le bien et le mal. » Dès lors, le philosophe Olivier Rey est dans son droit d’en conclure que ce qu’on appelle bioéthique « n’a pas été inventé pour soumettre les biotechnologies à des principes éthiques mais pour faire en sorte que l’éthique ne vienne pas entraver le développement des biotechnologies ». Voilà d’ailleurs qui nous renvoie aux années Trente, si souvent invoquées pour faire peur, mais cette fois-ci c’est à bon escient qu’il s’agit de les considérer, et le spectre de l’eugénisme nazi réapparaît de la façon la plus menaçante.
Certes, les défenseurs d’un prétendu progrès opèrent un brouillage rhétorique en s’attaquant à un prétendu naturalisme. Mais lorsque le corps humain devient objet d’instrumentalisation, fut-ce au nom de la culture, nous entrons dans un ère qui ressemble terriblement à ces fameuses années Trente. Et comme le dit encore Olivier Rey dans son remarquable entretien au Figaro : « L’hubris transformatrice ne pouvant plus se tourner vers le monde, se retourne contre l’humain – comme si nous étions de la pâte à modeler, prête à épouser n’importe quelle forme. » Oui, les années Trente ont été à l’origine des pires transgressions, et c’est pour ne pas vivre d’autres transgressions que j’irai défiler dimanche.