Les lettres de Condren témoignent d’une vitalité spirituelle d’une rare intensité : Condren voit toute chose des yeux de Jésus-Christ, et de Jésus-Christ s’offrant éternellement à son Père. Nous sommes là au cœur de l’intuition de Bérulle et de ses disciples : la raison d’être de l’Incarnation, du sacerdoce et de la vie chrétienne en général, est la volonté de Jésus d’amplifier sans cesse ce sacrifice commencé au cœur de la Trinité, et qui se consomme aujourd’hui dans l’humanité qu’il s’est associée pour cela. La pensée de Condren, ici et ailleurs, se développe comme une démonstration cartésienne, sans concession aux sentiments, avec toute la rigueur du Grand Siècle, celle du droit et de la force du Roi, plus que de la miséricorde et de la tendresse. Mais cet aspect un peu froid n’est en réalité que la calme transparence d’une âme parfaitement reposée dans sa totale union au Christ.
Communier n’est pas un droit
La radicalité propre à l’École française ne doit pas nous effrayer. En tout cas, c’est toujours directement l’union au Christ qui nous transforme en lui, que vise Condren ; et pour cela, il nous invite à transférer continuellement en lui notre volonté, afin de ne plus être que ce qu’il veut être en nous.
Condren nous aide aujourd’hui à remettre dans une juste perspective notre vie sacramentelle : elle doit être mesurée par le désir du Christ, non par le nôtre. Communier n’est pas l’exercice d’un droit que nous aurions sur Dieu, mais une satisfaction du désir de Jésus d’envahir notre humanité par sa divinité, condition de l’expansion continuelle de son offrande éternelle au Père : Jésus veut « nous avoir pour membres, dans lesquels il puisse vivre pour son Père ». Affleure ici un thème dominant de l’École française : la vie chrétienne est foncièrement sacerdotale, elle nous « donne à Jésus-Christ » pour qu’en nous se consomme son sacrifice, c’est-à-dire pour que s’épuise en nous la totalité de son amour du Père.
Le siècle de Condren est celui des grandes missions françaises, en Extrême-Orient et en Amérique du Nord, notamment. Le ressort en est ce besoin d’expansion de l’amour et du sacrifice de Jésus : il ne suffit pas à Jésus-Christ d’être le Fils éternel du Père, il lui faut l’être comme « aîné d’une multitude de frères » (Ro 8, 29), afin que son amour filial soit continuellement renaissant dans l’abaissement de son Incarnation. Telle est la logique de la communion eucharistique : donner au Christ de s’anéantir en nous devant son Père, et en cela même nous donner de nous anéantir en Lui, afin que le Père règne éternellement en nous comme en Lui. Et lorsqu’on demandait aux missionnaires martyrs du Canada pourquoi aller dire la messe au milieu des tribus indiennes qui n’y comprenaient rien, ils répondaient : pour que même là soit célébré le sacrifice de Jésus s’offrant à son Père.
Nous devons aller à la communion par obéissance au désir qu’a Jésus-Christ de nous recevoir en lui dans son être et dans sa vie, de détruire l’être et la vie que nous avons présentement, et de nous faire devenir ce qu’il est, c’est-à-dire vie, vérité, amour et vertu pour Dieu. Nous devons encore y aller par obéissance à la volonté qu’il a de nous avoir pour membres, dans lesquels il puisse vivre pour son Père, et par lesquels il continue sa vie divine sur la terre.
Charles de Condren
Pour aller plus loin :
- Communion sur la langue et sur la main - Dispositions requises, notion de choix - Hygiène.
- Le rite et l’homme, Religion naturelle et liturgie chrétienne
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- CE QUE DIT LE FER À REPASSER
- La France et le cœur de Jésus et Marie