« Mais toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, car de toi sortira un chef qui paîtra Israël, mon peuple ». (Matthieu 2, 6)
« Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations ». (Matthieu 24, 14)
C’est un bien long chemin, au sens tant propre que figuré, qu’a parcouru le christianisme pour aller de Bethléem, un minuscule village au fin fond de l’Empire romain, jusqu’à Rome, et de Rome, jusqu’aux extrémités de la terre. Voilà une question qu’on peut se poser à juste titre. Comment cela s’est-il produit ? Comment un mouvement religieux qui prit naissance dans une localité relativement anonyme et dans des conditions apparemment fort peu favorables a-t-il pu devenir une Eglise mondiale ?
La première réponse pourrait être de cet ordre : « Le christianisme a été adopté comme « religion officielle » de l’Empire romain par Constantin. Cette réponse ne convient pas pour plusieurs raisons. Elle n’explique pas comment le christianisme a survécu et prospéré pendant les trois premiers siècles de notre ère malgré parfois d’horribles épisodes de persécution. Ou bien pourquoi à l’époque de Constantin, une religion encore illégale peu de temps auparavant était devenue assez attirante pour susciter l’intérêt d’un empereur ? Ou alors pourquoi elle l’emporta sur des dieux païens bien mieux implantés dans l’empire et au culte desquels de nombreux Romains attribuaient leur grandeur ? Et finalement pourquoi est-ce tout particulièrement l’orthodoxie catholique qui survécut, alors que Constantin et d’autres empereurs après lui embrassèrent l’arianisme ?
Une autre réponse, bien meilleure pourrait être : « grâce à l’inspiration et la protection de l’Esprit Saint ».Et pourtant, comme l’action de l’Esprit Saint que nous cherchons à mettre en lumière s’est exprimée dans des événements historiques concrets – et pas seulement dans le mouvement de l’âme d’une personne –, nous pouvons nous demander comment et par quels moyens le Saint Esprit a guidé l’Eglise.
Dans la même veine, si quelqu’un demandait : « comment cet enfant a-t-il été guéri de la malaria ? », on pourrait répondre : « Par l’action du Saint Esprit ». Mais cette réponse n’empêcherait pas d’ajouter : « Et l’action du Saint Esprit a produit son effet par l’intermédiaire du docteur Jones et des propriétés curatives de la quinine ».
Dans l’histoire, Dieu agit en se servant de causes naturelles, et notamment d’intermédiaires humains. Il semble donc parfaitement approprié de se demander : « Comment (c’est-à-dire « par quels moyens concrets ») le Saint Esprit a-t-il guidé et protégé l’Eglise des premiers siècles et assuré son succès tandis que tant d’autres anciennes religions disparaissaient ? »
D’estimables historiens soulignent souvent deux éléments favorables dont disposait l’Eglise primitive et qui la distinguaient des religions païennes qu’elle allait supplanter.
Tout d’abord, à la différence de la plupart des religions païennes du monde romain antique, où le « culte » se pratiquait soit pour apaiser les dieux soit pour obtenir leur faveur, le christianisme imposait de graves obligations morales et spirituelles à ses adhérents. Les Romains de l’Antiquité, comme Cicéron, Virgile et Sénèque, demandait des conseils et des principes moraux à la philosophie plutôt qu’à la religion. Mais, fait regrettable, la philosophie se décomposait en de nombreuses « écoles » – stoïcisme, épicurisme, platonisme, aristotélisme – et elles n’avaient pas toutes la même définition des propriétés de la vertu. Le christianisme, lui, avait une vision unifiée. En outre, la philosophie des « écoles » grecques demandait un niveau élevé d’instruction, à l’inverse du christianisme. Les religions à mystères, elles, étaient coûteuses et élitistes. Le christianisme était gratuit et ouvert à tous.
Deuxièmement, l’Eglise disposait d’une structure administrative relativement bien organisée et stable : les églises locales étaient rassemblées en groupements régionaux sous l’autorité d’évêques et de leurs assistants, les diacres, et, à l’échelon supérieur, sous l’autorité de « primats », et finalement – au moins selon la doctrine catholique – tous ces éléments d’une admirable diversité étant fédérés dans une unité fondée sur Rome. L’Eglise, comme la sainte Trinité, comprenait une multiplicité d’églises locales qui ne sapaient pas son unité fondamentale, son « catholicisme », et une unité qui ne détruisait pas sa diversité.
Ce qui a fait tenir l’Eglise, en d’autres termes, c’est qu’elle possédait précisément les caractéristiques qui déplaisent tant à de nombreuses personnes aujourd’hui. L’Eglise prêche une « religion », pas seulement une « spiritualité ». Elle impose des obligations morales et n’est pas simplement un autre type de déisme thérapeutique et moralisateur selon lequel Dieu est censé rendre les gens « gentils » et nous aider à nous « sentir mieux » quand les choses ne vont pas comme nous le voulons.
L’Eglise a donc une structure administrative qui : (A) ne permet pas aux fidèles de faire ou de croire ce que bon leur semble ; (B) l’empêche de devenir une « secte à mystères » élitiste ; et (C) la place sous l’autorité des successeurs des apôtres, des évêques et du pape, ce qui (D) évite à l’Eglise de n’être qu’une Eglise « régionale » ou « nationale ».
Toutes ces contraintes peuvent être parfois gênantes et imparfaites dans la pratique – comme elles l’étaient très certainement dans l’Eglise primitive. Et pourtant l’histoire nous apprend que, si nous voulons que le christianisme survive pendant les années à venir, nous devrons justement renforcer les éléments qui ont traditionnellement rendu l’Eglise assez forte pour surmonter les tourmentes de l’histoire. Nous mettons notre foi dans l’Esprit Saint. Mais c’est au moyen de ces « vases d’argile» imparfaits que l’Esprit a répandu sa grâce sur nous.
Il a choisi l’eau pour le baptême plutôt que le feu ; le pain et le vin pour l’Eucharistie plutôt que le thé et le riz ; et a constitué une Eglise apostolique ayant pour tâche de prêcher l’Evangile et d’accomplir Sa mission plutôt que de charger un groupe de moines illuminés sur une colline de Judée d’émettre de mystérieuses vaticinations à intervalles irréguliers.
Beaucoup de gens au cours de l’histoire ont imaginé pouvoir se débarrasser de l’Eglise institutionnelle tout en gardant l’Esprit dans sa parfaite et totale pureté. Où sont-ils maintenant ?
Si nous rejetons les moyens pour obtenir Sa grâce qu’Il a établis, croyons-nous vraiment que nous serons capables d’affronter les tempêtes à venir?
Photographie : Vierge à l’Enfant, 4e siècle (Catacombes, Rome)
Mercredi 24 février 2016
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https://www.thecatholicthing.org/2016/02/24/why-a-church/
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Fresque : Vierge à l’enfant du IVe siècle (Catacombes à Rome).
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Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’Université Saint Thomas de Houston (Texas)