Le mercredi des Cendres est cette année, le Mercredi du feu, le feu de Pâques, le feu de l’amour, qui « vient » à la rencontre de celui qui prie, fait l’aumône, jeûne, et il permet de « recommencer à aimer ». Le pape François le dit d’emblée dans son message de carême 2018, dès sa première phrase : « La Pâque du Seigneur vient une fois encore jusqu’à nous ! »
Pendant ce carême, dès ce mercredi des Cendres, 14 février 2018, le Pape invite les baptisés à accueillir cette « Pâque du Seigneur » qui « vient » à eux. Si ce n’était pas le Christ qui venait, ce mercredi-là, au secours de chacun, qui serait en mesure de prier, d’être généreux, de jeûner, de se convertir ?
Certains préfèrent cette année les Cendres à la Saint-Valentin. Mais est-ce incompatible ? Justement, le pape François diagnostique le danger que le mal et son « ampleur » ne « refroidisse » la charité. Il a choisi ce verset de saint Matthieu comme fil directeur : « À cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira » (Mt 24, 12).
Et si cette « Pâque qui vient » était une invitation à donner un sens plus pur à la Saint-Valentin ? Ni l’escamoter, ni l’opposer aux Cendres, qui viennent bien d’un feu ! Et qui fécondent la terre pour que la vie reprenne, plus forte : plus belle, la vie, après les Cendres !
Reconnaître qu’un amour plus fort, fort comme la mort, dit le Cantique des Cantiques, est source de tout amour, si humble soit-il.
Et c’est aussi un message que le Pape adresse à ceux qui dans leur solitude ressentent chaque année le malaise de la Saint-Valentin. Parce que le conjoint bien-aimé n’est plus. Ou parce qu’il y a eu séparation. Ou parce qu’on est en attente d’un amour qui ne vient pas. Cendres de douleurs brûlantes.
Alors Dieu dans tout cela ? Il vient. Sa Pâque c’est son amour qui vient, dit le Pape. Sur nos cendres. Et pour nourrir le feu, cette année encore il faut donner un sens plus pur, parce que plus humble, aussi à la prière, à l’aumône, au jeûne.
Le carême, dit le Pape en citant la liturgie du premier dimanche de carême c’est le « signe sacramentel de notre conversion qui annonce et nous offre la possibilité de revenir au Seigneur de tout notre cœur et par toute notre vie ».
Pour le Pape le carême, c’est « un temps de grâce dans la joie et en vérité ».
Pour commenter saint Matthieu il rappelle le contexte du verset qui l’inspire : « Jésus, dans sa réponse à l’un de ses disciples, annonce une grande tribulation et il décrit la situation dans laquelle la communauté des croyants pourrait se retrouver : face à des événements douloureux, certains faux prophètes tromperont beaucoup de personnes, presqu’au point d’éteindre dans les cœurs la charité qui est le centre de tout l’Évangile. »
Les faux prophètes, les émetteurs et propagateurs de « fake news », les « charlatans » comme le Pape les appelle encore, il dit même « escrocs », qui escroquent l’opinion publique de la vérité.
Il brosse le portrait robot de ces « charmeurs de serpents » – qui « utilisent les émotions humaines pour réduire les personnes en esclavage et les mener à leur gré » : « L’attraction des plaisirs fugaces confondus avec le bonheur ! (…) L’illusion de l’argent, qui en réalité les rend esclaves du profit ou d’intérêts mesquins ! » ou l’autosuffisance qui creuse « la solitude ».
Ils « offrent des solutions simples et immédiates aux souffrances », mais « inefficaces » : « la drogue, des relations « use et jette, des gains faciles mais malhonnêtes ! (…) Une vie complètement virtuelle où les relations » se révèlent « tragiquement privées de sens ».
Ils « offrent des choses sans valeur, privent par contre de ce qui est le plus précieux : la dignité, la liberté et la capacité d’aimer » : c’est « la duperie de la vanité, qui nous conduit à faire le paon… pour finir dans le ridicule ; et du ridicule, on ne se relève pas ».
Le Pape démasque le père des mensonges : « Depuis toujours le démon, qui est « menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44), présente le mal comme bien, et le faux comme vrai, afin de troubler le cœur de l’homme. »
Alors le carême est bon parce qu’il est une école du discernement : « Chacun de nous est appelé à discerner en son cœur et à examiner s’il est menacé par les mensonges de ces faux prophètes. »
Un indice ? « Apprendre à ne pas en rester à l’immédiat, à la superficialité, mais à reconnaître ce qui laisse en nous une trace bonne et plus durable, parce que venant de Dieu et servant vraiment à notre bien. »
On pense à saint Ignace de Loyola, abattu par un boulet de canon français devant Pampelune, découvrant que certaines lectures lui procuraient un plaisir immédiat mais le laissaient triste ensuite – les romans de chevalerie -, tandis que d’autres, à la lecture plus exigeante, insufflaient en lui une paix et une joie durables – les vies de saints.
Un discernement des faux prophètes infiltrés dans la vie du chrétien, première étape du carême.
Puis le Pape, selon sa pédagogie, interroge efficacement. Aide à l’examen de conscience. Il évoque, avec Dante, le froid glacial de l’enfer : « Dans sa description de l’enfer, Dante Alighieri imagine le diable assis sur un trône de glace ; il habite dans la froidure de l’amour étouffé. Demandons-nous donc : comment la charité se refroidit-elle en nous ? Quels sont les signes qui nous avertissent que l’amour risque de s’éteindre en nous ? »
Le Pape répond : « Avant tout l’avidité de l’argent » puis le « refus de Dieu », qui est au contraire la « consolation » et le « réconfort de sa Parole et de ses Sacrements ». « Tout cela, explique le Pape, se transforme en violence à l’encontre de ceux qui sont considérés comme une menace à nos propres certitudes : l’enfant à naître, la personne âgée malade, l’hôte de passage, l’étranger, mais aussi le prochain qui ne correspond pas à nos attentes. »
Et c’est le pape de Laudato si’ qui ajoute : « La création, elle aussi, devient un témoin silencieux de ce refroidissement de la charité : la terre est empoisonnée par les déchets jetés par négligence et par intérêt ; les mers, elles aussi polluées, doivent malheureusement engloutir les restes de nombreux naufragés des migrations forcées ; les cieux – qui dans le dessein de Dieu chantent sa gloire – sont sillonnés par des machines qui font pleuvoir des instruments de mort. »
Les communautés chrétiennes également sont menacées par l’engourdissement : « Dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, j’ai tenté de donner une description des signes les plus évidents de ce manque d’amour. Les voici : l’acédie égoïste, le pessimisme stérile, la tentation de l’isolement et de l’engagement dans des guerres fratricides sans fin, la mentalité mondaine qui conduit à ne rechercher que les apparences, réduisant ainsi l’ardeur missionnaire. »
Après le diagnostic, l’action. Comme les juifs de toutes les nations le jour de la Pentecôte, après l’homélie de saint Pierre demandent : « Que devons-nous faire ? »
« L’Église, notre mère et notre éducatrice, répond le Pape, nous offre pendant ce temps du Carême, avec le remède parfois amer de la vérité, le doux remède de la prière, de l’aumône et du jeûne. »
Prière. Pas de discernement des « mensonges secrets par lesquels nous nous trompons nous-mêmes » sans la prière, qui est de « rechercher la consolation en Dieu » : « Il est notre Père et il veut nous donner la vie. »
Aumône. Elle « libère de l’avidité et aide à découvrir que l’autre est mon frère : ce que je possède n’est jamais seulement mien. » Le Pape souhaite « que l’aumône puisse devenir pour tous un style de vie authentique ! ». Il évoque la première communauté chrétienne des Actes des Apôtres : « Comme je voudrais que nous suivions comme chrétiens l’exemple des Apôtres, et reconnaissions dans la possibilité du partage de nos biens avec les autres un témoignage concret de la communion que nous vivons dans l’Église. »
Certes, le Pape cite les « collectes en faveur des Églises et des populations en difficulté », mais aussi les « relations quotidiennes », en présence de « tout frère qui nous demande une aide » : « chaque aumône est une occasion pour collaborer avec la Providence de Dieu envers ses enfants ».
Jeûne. Il « réduit la force de notre violence », « désarme » et devient « une grande occasion de croissance », en faisant l’expérience de « ce qu’éprouvent tous ceux qui manquent même du strict nécessaire », et de reconnaître au fond de soi-même une âme « affamée de bonté et assoiffée de la vie de Dieu ». Le jeûne, insiste le Pape « nous réveille, nous rend plus attentifs à Dieu et au prochain, il réveille la volonté d’obéir à Dieu, qui seul rassasie notre faim ».
Plus encore, le Pape invite à s’unir à ces exercices de carême les « hommes et femmes de bonne volonté, ouverts à l’écoute de Dieu » : « Si vous êtes, comme nous, affligés par la propagation de l’iniquité dans le monde, si vous êtes préoccupés par le froid qui paralyse les cœurs et les actions, si vous constatez la diminution du sens d’humanité commune, unissez-vous à nous pour qu’ensemble nous invoquions Dieu, pour qu’ensemble nous jeûnions et qu’avec nous vous donniez ce que vous pouvez pour aider nos frères ! »
Alors oui, le feu se répand, le feu de Pâques, un feu inépuisable, qui jamais ne perd en intensité, celui de l’amour de Dieu, dit le Pape : « S’il nous semble parfois que la charité s’éteint dans de nombreux cœurs, cela ne peut arriver dans le cœur de Dieu ! Il nous offre toujours de nouvelles occasions pour que nous puissions recommencer à aimer. »
Et pendant le carême, le Pape a trois rendez-vous pour rallumer le feu.
Une retraite de carême annuelle avec la Curie romaine, du dimanche 18 au vendredi 23 février, à une trentaine de kilomètres de Rome, à Ariccia. Aucune audience. Tout est suspendu au travail intérieur de l’amour. Il en a confié la prédication – sur le thème de « l’éloge de la soif » – à un prêtre portugais, poète reconnu et exégète, José Tolentino de Mendonça. Son Le temps et la promesse. Pour une spiritualité de l’instant présent, est publié en français aux éditions des Béatitudes.
Et, à l’issue de cette semaine de prière, le 23 février, vendredi de carême, un jour de prière et de jeûne pour la paix dans le monde, spécialement en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud.
Troisième rendez-vous, dans tous les diocèses, les « 24 heures pour le Seigneur », pour « célébrer le sacrement de Réconciliation pendant l’adoration eucharistique », les vendredi 9 et samedi 10 mars, sur le thème : « Près de toi se trouve le pardon » (Ps 130, 4).
Et voilà que le feu de Pâques prend, au cœur des ténèbres : « Au cours de la nuit de Pâques, nous vivrons à nouveau le rite suggestif du cierge pascal : irradiant du feu nouveau, la lumière chassera peu à peu les ténèbres et illuminera l’assemblée liturgique. « Que la lumière du Christ, ressuscitant dans la gloire, dissipe les ténèbres de notre cœur et de notre esprit » afin que tous nous puissions revivre l’expérience des disciples d’Emmaüs : écouter la parole du Seigneur et nous nourrir du Pain eucharistique permettra à notre cœur de redevenir brûlant de foi, d’espérance et de charité. »
Le Pape achève son message en bénissant ceux qui l’ont lu… Il promet sa prière et demande la prière de chacun aussi pour lui-même.