Un théologien, qui eut son heure de célébrité au siècle dernier, avouait en privé : « Le dogme de l’Incarnation, bien sûr, mais la Rédemption, alors là je ne comprends pas ! » Sans doute une telle assertion était-elle liée à une période d’optimisme historique, à laquelle on associe souvent l’œuvre du Père Teilhard de Chardin – à tort, selon son confrère jésuite, le cardinal de Lubac.
Mais la question fondamentale réside dans la mission de Jésus, envoyé par le Père pour sauver tous les hommes. Depuis toujours dans la tradition biblique, cette dimension salvifique est au cœur même de la foi et elle est attestée par les Écritures de la façon la plus formelle.
La question du mal
L’optimisme des années soixante n’est plus de saison, avec le retour du tragique et la désuétude dans laquelle ont été reléguées les philosophies de l’histoire du type marxistes. Mais ne reposaient-elles pas elles-mêmes sur un mensonge flagrant, qui masquait les grands massacres provoqués par les idéologies totalitaires d’hier ? Qu’on le veuille ou pas, le mal, sous toutes ses formes, constitue le scandale inhérent à la condition humaine, qui ne saurait provoquer que le désespoir, si une aube d’espérance ne venait éclairer notre nuit.
La venue du Christ en notre monde est intervenue pour transformer la condition humaine, et saint Thomas d’Aquin n’est pas opposé à l’idée d’une Incarnation du Fils de Dieu, même si n’était pas intervenue la chute dans laquelle a été entraînée la postérité d’Adam et Ève.
Mais cette chute nous ayant plongés dans les tréfonds de la détresse, l’Incarnation était désormais déterminée dans une véritable « dramatique divine », dont Urs von Balthasar a exploré le mystère pour notre temps, en s’inscrivant dans le cours d’une réflexion théologique deux fois millénaire.
Pas de fatalité
La Semaine sainte qui s’annonce va pouvoir nous permettre, une nouvelle fois, de revivre ce mystère en nous associant à une geste liturgique sans laquelle il n’y a pas de vie chrétienne et de communion véritable avec le Christ sur le chemin qui conduit à la Passion du Vendredi Saint, à la descente au séjour des morts du Samedi saint et à la Résurrection de la nuit de Pâques. Nous nous trouvons associés à cette dramatique divine qui rend compte de toute notre épaisseur anthropologique.
Non, nous ne sommes pas voués à l’absurde. Non, notre trouble intérieur face aux puissances désintégratrices n’est pas une fatalité. Non, l’évidence des horreurs qui entachent le cours de notre histoire ne scelle pas définitivement notre destin. Notre propre complicité avec le mal, que l’on appelle le péché, ne trouve sa délivrance que par le pardon qui nous est offert.
Mais pour que se soulève la chape de nos malheurs, il a fallu le sacrifice du Christ qui est incontournable : « Le Christ s’est fait pour nous obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2, 8).
Pour aller plus loin :
- FIDÉLITÉ DE TEILHARD
- Le malheur d’avoir des disciples (à propos de deux ouvrages sur le Père Teilhard de Chardin)
- UNE LETTRE DU PÈRE DE LUBAC À PROPOS DE TEILHARD DE CHARDIN (*)
- La malheur d’avoir des disciples (suite 2)
- Un grand livre du R.P. de Lubac sur Teilhard : il n’y a pas à substituer une spiritualité « positive » à la spiritualité de la Croix du christianisme traditionnel