En mars dernier, j’ai emmené un groupe d’étudiants de mon université de Seton Hall visiter le Monastère de la Mère de Dieu de Grottaferrata. Il a été fondé par Saint Nil (Neilos en grec), ou selon l’appellation italienne, Saint Nil le Jeune de Rossano (Calabre). Saint Nil est mort en 1004, l’année de fondation du monastère, exactement 50 ans avant le schisme entre l’Orient et l’Occident.
Grottaferrata est une communauté monastique composée à l’origine de moines grecs issus de la Magna Graecia (la Grande Grèce) de l’Ouest – la Calabre et la Sicile. En plus des moines italo-albanais – des Albanais de souche ayant fui l’Albanie et la Grèce au quinzième siècle sous la persécution ottomane, des Ukrainiens et des Italiens catholiques romains. Grottaferrata, à la périphérie de Rome, était parfaitement située pour des moines byzantins en fuite, idéalement proche de la Cité Eternelle. Quand Saint Nil est arrivé à Rome, sa Calabre natale, comme les autres parties de l’Italie et la Sicile, était sous la juridiction du patriarche de Constantinople. La tradition liturgique que ses moines et lui ont apporté à Rome était gréco-byzantine.
C’était probablement la première fois que mes étudiants mettaient le pied dans une église significativement différente de celles qu’ils connaissaient : la vénération accordée aux icônes, la mystérieuse iconostase, qui cache le sanctuaire à la vue des fidèles, le prêtre qui célèbre face au Seigneur – « ad orientem » , l’italien et le grec comme langues liturgiques, l’abondance de l’encens, la révérence en recevant la communion et en chantant.
C’était l’aventure d’une vie pour les jeunes, qui s’émerveillaient et étaient fascinés par un sens de l’histoire et de la tradition liturgique, une célébration dans une langue qu’ils ne comprenaient pas mais qu’ils étaient néanmoins capables de suivre et un sens de la vénération pour le Seigneur expérimenté dans la Liturgie Divine. « Leitourgia » est une fonction publique impliquant toute la communauté. Pour les Byzantins, la liturgie est la piété populaire, la véritable vie de l’église locale. Par conséquent, les changements dans la liturgie doivent se faire naturellement, organiquement, lentement. Si possible, ils doivent passer inaperçus.
Durant Vatican II, Orientalium Ecclesiarum, promulgué par Paul VI, exhortait les Églises de rite oriental unies à Rome à préserver et restaurer leurs traditions liturgiques pluricentenaires. Ces églises étaient encouragées à « toujours préserver leurs rites liturgiques légitimes et leurs façons de vivre établies… qui ne doivent pas être altérés excepté pour obtenir une amélioration structurelle… si à leur avis elles ont failli en raison de contingences de temps et de personnes, elles devraient prendre des mesures pour revenir à leurs traditions ancestrales. »
Cette requête a été renouvelée en 1996, avec une instruction pour appliquer les prescriptions liturgiques au code canonique des Églises orientales. Dans ce document, saint Jean-Paul II demandait que les Eglises catholiques orientales reprennent leurs traditions authentiques, perdues en raison de leur propre indifférence ou d’autres influences alors dominantes au sein de l’Eglise.
Il vaut la peine de comparer avec ce que Sacrosanctum Concilium, la Constitution sur la Sainte Liturgie, recommandait pour la réforme liturgique. Vatican II ordonnait que « les rites soient soigneusement révisés à la lumière d’une tradition solide, et qu’ils reçoivent une nouvelle vigueur afin de rejoindre les conditions et besoins de l’époque moderne. » Le Concile ratifiait le développement logique de la liturgie et la nécessité de réexaminer la tradition. Une herméneutique de continuité avec l’antique tradition était en place. Le Concile n’appelait pas à une rupture d’avec la tradition.
Les mêmes Pères conciliaires qui conseillaient à l’Orient de revenir à ses racines ne pouvaient pas parler différemment à l’Occident. Bien plus, en accord avec l’herméneutique de la continuité, Sacrosanctum Concilium spécifie que toute nouvelle forme liturgique adoptée en Occident devrait se développer organiquement à partir des formes déjà existantes. En d’autres mots, l’ancien et le nouveau devraient se mêler naturellement, perpétuant la tradition.
Le Concile mettait en garde contre un emballement pour « la nouveauté » et un mépris pour le patrimoine liturgique. Plus important encore, le Concile distinguait entre les éléments modifiables de la liturgie, et « les éléments immuables divinement institués », c’est-à-dire les éléments qui ne doivent être ni réformés ni changés mais peuvent seulement être transmis intacts aux nouvelles générations. Le Concile avertissait également que « nul, fut-il prêtre, ne pouvait ajouter, ôter ou changer quoi que ce soit dans la liturgie de sa propre autorité ».
Le Concile n’a jamais dit que la liturgie face au Seigneur, autrement appelée « ad orientem », comme dans les Eglises d’Orient, était erronée et devait être abolie en Occident. Comment l’aurait-il pu ? Jusque Vatican II, prier tourner vers l’est était un facteur d’unité entre l’Orient et l’Occident, vu que tous deux cherchent « l’ancienne patrie, le paradis que Dieu a planté en Eden, à l’est », comme le dit Saint Basile. En général, jusqu’au seizième siècle, toutes les églises étaient bâties avec l’abside tournée vers l’est.
Alors, y a-t-il une solution aux divisions liturgiques actuelles ? Récemment, le pape François a fait la remarque que cela prendrait un siècle pour que Sacrosanctum Concilium soit assimilé et qu’on était seulement à mi-chemin.
Tout comme dans les Eglises catholiques orientales, l’Occident a besoin de discerner les racines anciennes de la liturgie. Il n’y a pas de mal à proposer à la fois des célébrations « ad orientem » et d’autres « versus populus ». Ce n’est pas manière de tourner le dos au renouveau apporté par le Concile, c’est au contraire l’appliquer de façon créative.
Comme catholique de rite byzantin et historienne de l’Eglise, je trouve que la séparation entre l’Orient et l’Occident a contribué à faire abandonner la célébration « ad orientem » en Occident. Se tourner vers l’est, une marque d’identification pour les chrétiens durant le premier millénaire, pourrait aider à combler le fossé.
L’option de se tourner « ad orientem » donnerait aux jeunes du millénaire, comme mes étudiants, le bénéfice d’une plus grande plénitude de notre tradition eucharistique. Le Saint-Père a dit que « pour être crédibles auprès des jeunes et en harmonie avec eux, il est nécessaire de favoriser l’écoute, d’être capables de « perdre du temps » en acceptant leurs questions et leurs attentes. »
Après Grottaferrata, mes étudiants étaient des témoins vivants de l’ampleur de la façon dont des jeunes peuvent être conduits à apprécier et à être influencés par l’ancienne tradition de faire face à l’est – « ad orientem ».
Ines Angeli Murzaku est professeur de l’histoire de l’Eglise à l’université de Seton Hall. Ses recherches exhaustives sur l’histoire de la chrétienté, le catholicisme, les ordres religieux et l’œcuménisme ont fait l’objet de multiples articles érudits et de cinq livres.
Illustration : vue aérienne de Sainte-Marie de Grottaferrata
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/01/13/light-from-the-east-for-millennials-and-everyone/