Une des facettes du génie de sainte Catherine de Sienne est dans cette façon libre, parce que d’inspiration divine, d’assumer d’apparents paradoxes tel celui de l’exhortation à la virilité de la part d’une vierge dominicaine, éminemment femme, épouse et mère ! […]
Dans ses lettres surtout, Catherine de Sienne revient sans cesse, sur la virilité à montrer dans la façon de penser comme dans la façon d’agir. Elle exhorte avec force ses correspondants à délibérer et à agir « virilement » ou avec « un cœur viril ». […]
La virilité n’est pas connotée sexuellement
La signification du terme viril chez Catherine renvoie surtout à une anthropologie biblique, car c’est la crainte de Dieu qui rend l’âme virile, indépendamment donc de la féminité ou de la masculinité de la personne. Hommes ou femmes parmi les correspondants de la vierge de Sienne, tous sont invités à se faire un « cœur viril » ou à délibérer « virilement ». Il apparaît nettement que l’emploi du mot « viril », comme de son contraire « féminin », n’est pas connoté sexuellement et ne renvoie aucunement à des catégories liées au genre. […]
Cela explique que la sainte de Sienne exhorte indifféremment les hommes ou les femmes à la virilité. Une fois de plus l’étymologie se révèle éclairante, car si viril dérive de vir et se rapporte à l’homme dans sa masculinité, vir se trouve aussi à l’origine de virtus ; ici virtus est à entendre, non seulement dans son acception de force et de courage déjà soulignés, mais plus encore dans le sens de vertu, autrement dit, dans le sens de ce qui accomplit la nature d’un être dans son excellence. […]
Rendre les âmes plus fortes
Une virilité destinée à « fortifier » l’homme intérieur, dans la droite lignée de l’injonction de saint Paul aux Éphésiens (3, 16). La force de l’« homme intérieur » définie par saint Paul et reprise par la vierge dominicaine, est une noble vertu qui, sans exclure l’enthousiasme, se caractérisera le plus souvent par le calme et le sang-froid, la simplicité dans l’audace, un pur désintéressement dans le sacrifice ; ce qui, somme toute, suppose des âmes très spiritualisées. […] Ainsi, la volonté de Catherine au fil de ses exhortations est d’affermir. Elle propose un mode d’être, une fermeté d’âme et d’action ; de cette façon, elle cherche à rendre les âmes plus fortes en renouvelant leurs énergies. […]
Modèle du Christ dans l’épreuve
La force d’âme proprement spirituelle, à laquelle Catherine exhorte, a des conséquences sur la fermeté du caractère. Elle permet la constance dans les résolutions et une détermination sans cesse renouvelée pour avancer à la suite du Christ. Car le modèle suprême de la vertu et de la virilité est en effet le Christ, le doux et tendre Verbe, « qui a couru virilement à la mort ignominieuse de la très sainte Croix pour accomplir la volonté du Père et notre salut ». Se montrer viril sera donc être docile à la grâce, laquelle donne constance et persévérance à l’heure de l’épreuve ou du choix en exerçant les vertus de sagesse, de force ou de courage, de tempérance et de justice. Dès lors que les martyrs, hommes et femmes, furent de fidèles imitateurs de la virilité du Verbe, ils ont une place de choix dans la vénération de Catherine comme en témoigne ce passage de l’Oraison XIX : « Ô inestimable et très douce charité, c’est ton jardin, fondé dans ton sang et arrosé avec le sang de tes martyrs, qui virilement ont couru après l’odeur de ce sang ». […]
Dès lors, vivre virilement dans l’esprit de Catherine de Sienne, c’est faire preuve de pugnacité dans la vie ascétique et morale pour libérer en soi la soif de Dieu dans une tension constante vers l’imitation du Christ. Le lien est alors manifeste chez Catherine entre la virilité et la maturité spirituelle, ce qui fait l’objet de notre troisième et dernier point. […]
Propre de la maturité chrétienne
En définitive, la virilité chez Catherine, qui suit en cela saint Thomas d’Aquin, est une propriété de la maturité chrétienne, ressort de la vertu de force, laquelle se présente comme une capacité de réflexion et d’action en parfaite cohérence avec le mode d’être dans le Christ, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Elle conduit à une certaine « science des valeurs », c’est-à-dire une science de ce qui est digne ou injuste d’entreprendre, sagesse morale ou science de ce qui vaut la peine de risquer sa vie. Autrement dit, la virilité porte à une conduite raisonnée sous la motion de l’Esprit pour tendre à la perfection. […]
La virilité, dont Catherine fait preuve, et qu’elle recommande avec tant d’insistance dans ses lettres, consiste dans l’exercice de la vertu et des dons de l’Esprit Saint, et qui dit quelque chose de la dimension proprement pastorale de ce concept cathérinien proposé comme ressort de la vertu de force. Et, vous l’aurez compris, il n’est aucunement réservée à la gent masculine !
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Extraits d’une conférence de Mère Marie des Anges Cayeux, « La virilité, ressort de la vertu de force chez Catherine de Sienne ? », in Académie catholique de France, Le Temps de la femme, Paris, éd. Parole et silence, (à paraître).