« Abominable et insensé », tels étaient les mots du Saint-Père pour qualifier le monstrueux massacre de chrétiens célébrant le dimanche de Pâques à l’entrée d’un parc public à Lahore.
Plusieurs douzaines de personnes ont été tuées (principalement des femmes et des enfants) et plusieurs centaines ont été mutilées dans cet attentat suicide – en si grand nombre que tous les hôpitaux de la ville ont été débordés et ont fait désespérément appel à des dons de sang. C’était du niveau du massacre de la Toussaint 2013 à Peshawar ; c’était pire que les attaques contre les églises de Lahore à Pâques l’année passée.
Les talibans pakistanais ont revendiqué toutes ces attaques. Ils sont une organisation tentaculaire avec d’innombrables cellules qui se regroupent de façon changeante. La structure est bien conçue pour résister à l’infiltration par des informateurs de police.
Après chaque explosion de bombe au Pakistan, on arrête quelques centaines parmi « les suspects habituels ». Aucun juge tenant à la vie ou se souciant du devenir de sa famille ne pourrait souhaiter présider un procès. D’où la politique « arrestation libération » qui semble concerner l’ensemble du pays ; et la frustration des sources des services de renseignements occidentaux à qui il arrive de découvrir qui sont les vrais suspects et qui se demandent pourquoi ils ne sont jamais arrêtés.
Lahore m’est familière de par mon enfance, et grâce également à plusieurs séjours ultérieurs dans cette vénérable et autrefois magnifique cité, qui offre toujours des monuments impressionnants datant de l’Empire des Indes, des Moghols et des périodes intermédiaires et antérieures. Autrefois, les musulmans, les hindous, les Sikhs, les chrétiens et même les parsis et les bouddhistes vivaient ensemble en paix dans cette cité chérie.
Lors de la Partition des Indes, cette diversité a été soudainement réduite aux musulmans et à une minorité de chrétiens de souche (principalement catholique). Déjà dans les années 60, comme élève à l’école Saint-Anthony, j’étais conscient que les chrétiens se devaient d’être humbles et respectueux, surtout durant le Ramadan.
On pourrait plonger dans l’histoire – le lien entre le nationalisme et l’islamisme naissant qui ont conduit à la création du Pakistan – pour comprendre ce qui se passe maintenant. Les deux étaient d’importation, comme « idées ayant des conséquences », les deux étaient des expressions de la modernité. Les deux remontent aux origines du pays, et imaginer qu’une politique quelconque pourrait éliminer les causes « originelles », c’est postuler sur le voyage dans le temps.
Lors de ma dernière visite à Lahore, il y a plus d’une décennie, beaucoup de gens avec qui j’ai parlé étaient déjà inquiets. Ils savaient que la grande majorité des Pakistanais, du moins dans la Lahore urbaine raffinée, n’étaient pas des fanatiques, que leur attitude était toujours, en gros, « vivre et laisser vivre ». Mais ils étaient effrayés par l’explosion du nombre de diplômés des madrassas – estimés par eux à 5 pour cent – engagés dans un programme islamiste violent.
Ils établissaient une comparaison avec l’Iran de la fin de règne du Chah. C’est une toute petite majorité de chiites fanatiques qui a porté au pouvoir l’ayatollah Khomeiny.
Paradoxalement, c’est cet avertissement venu de Perse qui a préparé le terrain au Pakistan pour un terrorisme durable. Les gouvernements successif du pays ont été mis en alerte par le précédent iranien et se sont trouvés bien déterminés à empêcher « que cela se produise ici ». Ils ont donc joué de la carotte et du bâton, flattant d’un côté en introduisant de la Charia dans la loi civile, et de l’autre organisant une armée et un service de renseignements puissants, aussi bien pour l’usage intérieur que pour l’usage extérieur (comme la rivalité avec l’Inde).
Mais dans le nord-ouest montagneux, la frontière avec l’Afghanistan est toujours poreuse ; et toute administration d’importance est vulnérable à une infiltration politique organisée. Comme des générations d’hommes politiques pakistanais l’ont expliqué aux diplomates occidentaux en visite, ils n’ont pas le contrôle total des événements et ne pourront jamais l’avoir. Ils n’ont aucun désir de se soumettre aux talibans, mais il n’y a pas de méthode envisageable pour les défaire, hormis une nouvelle mêlée du niveau de la Partition des Indes.
« Abominable et insensé. »
L’analyse du Pape n’est qu’en partie vraie, selon moi. Abominable, je suis bien d’accord avec lui – tout comme, je le pense, la grande majorité des Pakistanais. Le massacre des innocents est considéré comme abominable, même par les non-chrétiens. Cependant, cela est compliqué par les « politiques identitaires », qui, avec l’aide des moyens de communication de masse, ont réintroduit le tribalisme primitif dans la vie politique moderne, avec des répercussions internationales.
En conséquence, même au Pakistan, et depuis des décennies, j’ai parfois décelé une allusion comme quoi « les chrétiens l’avaient bien cherché », parce qu’ils étaient perçus comme arrogants, malgré tous leurs efforts pour garder profil bas. De même qu’en Occident un sentiment croissant qu’au vu du terrorisme, « les musulmans l’ont bien cherché ».
Il y a un antagonisme « nous et eux » qui aide à comprendre comment des foules complaisantes s’identifient tranquillement avec des membres de leurs tribus respectives, même quand ces derniers ont manifestement tort. C’est un calcul personnalisé tout à fait moderne, bien que greffé sur des réalités d’identité qui semblent anciennes et sans appel.
Mais « insensées », ces attaques ne le sont certainement pas. Elles aussi font partie d’un calcul « démocratique » très moderne, qui a émergé pour la première fois au dix-neuvième siècle avec la violence apparemment insensée des anarchistes, socialistes et nationalistes. Ce calcul était que cette violence – que Rumsfeld se plaisait à dénommer « lutte asymétrique » pouvait changer la donne en faveur d’une cause désespérée.
Le « terrorisme » est adopté comme tactique, et même comme stratégie, parce que souvent, cela marche. Cela marche non pas parce que cela fait appel à une majorité, ou pourrait le faire. Les terroristes sont trop rationnels pour cela ; plus rationnels en fait que ceux qui les jugent « insensés ». Des carnages gratuits – qu’ils s’attaquent à des cibles vivantes ou à des cibles archéologiques en Irak et en Syrie – sont conçus pour attirer l’attention des foules, les choquer et les horrifier.
Les Lénine, Hitler, Mao, Khomeiny et consorts qui ont pris le pouvoir maîtrisaient l’usage de la « violence gratuite ». Bien que rarement dans l’enthousiasme tous furent plus ou moins complaisamment accueillis par les foules quand leurs révolutions ont triomphé. La réaction était invariablement : « au moins nous aurons un peu de paix ».
Voici donc le sens caché. A l’Est comme à l’Ouest, les radicaux emploient la violence et le chaos, non pas pour inciter quelque classe moyenne ou supérieure à une action imprévisible mais pour s’attaquer à leur aspiration à la sécurité. En définitive, ils renonceront à tout pour une vie tranquille.
David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et un chroniqueur de Ottawa Citizen. Il a une profonde expérience du Proche et de l’Extrême Orient.
Illustration : une mère pleurant son fils à Lahore
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/04/01/understanding-the-easter-massacre-in-lahore/
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