Je me suis parfois demandé ce qui arriverait si je vouais autant de mes énergies intellectuelles, émotionnelles et spirituelles à apprécier l’Eucharistie que je ne le fais pour la lecture, l’écriture et la camaraderie avec d’autres catholiques. Dans ‘Eucharistie : Mystère de la Présence, Sacrifice et Communion’, le livre récemment publié de Lawrence Feingold, professeur de théologie et philosophie au séminaire Kenrick-Glennon à Saint-Louis, je crois avoir ma réponse. Je voudrais être un catholique plus pieux, plus réfléchi, plus saint, m’abreuvant abondamment à ce que Saint Jean-Paul II appelle « le trésor de l’Eglise, le cœur du monde, la promesse de l’accomplissement auquel chaque homme et chaque femme aspire, même inconsciemment. »
Quoique l’ouvrage soit prévu comme manuel pour étudiants en théologie, Feingold a réussi une tâche semblant impossible : un pavé de 670 pages à la fois accessible et d’une grande élévation intellectuelle, tout à la fois très élaboré sur le plan théologique et spirituellement nourrissant. Ceux qui seront suffisamment audacieux pour aller jusqu’à le feuilleter ne seront pas déçus. Feingold voyage de façon experte dans une grande variété d’écrits sur l’Eucharistie, depuis les Ecritures, les Pères de l’Eglise, les théologiens médiévaux, les réformateurs protestants jusqu’aux penseurs contemporains.
Le livre repose sur trois principes fondamentaux : 1) Dieu demeurant avec ses bien-aimés, se manifestant comme la Présence Réelle dans l’Eucharistie ; 2) Dieu se donnant Lui-même pour ses bien-aimés, se manifestant dans le sacrifice que le Christ fait de Lui-même à Dieu le Père en notre nom ; 3) Dieu qui se donne Lui-même à ses bien-aimés, se manifestant dans le don de Lui-même à l’Eglise dans la Sainte Communion.
Ce travail sert plusieurs buts. Juif converti au catholicisme, Feingold fait montre d’une connaissance profonde de la théologie protestante et de sa conception de la Communion. Son analyse de Luther, Calvin et Zwingli par exemple, est minutieuse et d’une grande ressource pour discuter de l’Eucharistie avec des protestants. De même, sa manière de traiter le Concile de Trente (qui s’adressait à plusieurs compréhensions protestantes erronées de l’Eucharistie) résume succinctement les enseignements les plus importants de ce concile en ce qui concerne la Présence Réelle. De fait, le texte regorge de sommaires et de tables, mettant en évidence les compétences d’enseignant de Feingold.
Outre l’apologétique, cet ouvrage procure également un éclairage fort bienvenu sur une kyrielle de sujets de grand intérêt pour les lecteurs catholiques contemporains. Feingold aborde la communion sous les deux espèces, le rôle des ministres extraordinaires de la Sainte Communion, l’emplacement du tabernacle et, bien sûr, une partie est consacrée à l’enseignement post-conciliaire du magistère en ce qui concerne la communion pour les catholiques divorcés et civilement remariés.
Il va même jusqu’à examiner le tant débattu paragraphe 305 de ‘Amoris Laetitia’, arrivant à des conclusions concordant avec la doctrine de Saint Jean-Paul II et du pape émérite Benoît XVI, bien qu’étant équitable avec notre pontife actuel.
Il y a également un texte qui nourrit spirituellement et inspire théologiquement. Le débat de Feingold sur les quatre finalités du sacrifice de la messe, le fruit de celui-ci et ses effets, est tout particulièrement édifiant. Il cite une lettre fascinante de J.R. Tolkien à son fils Michael :
Dans la noirceur de ma vie, si déconfite, je mets devant toi l’unique grande chose à aimer sur la terre : le Saint Sacrement… là tu trouveras l’amour, la gloire, l’honneur, la fidélité et le vrai chemin pour tous tes amours terrestres, et plus que cela : la mort. Par le divin paradoxe qui achève la vie et exige la reddition de tout et pourtant par le goût – ou l’avant-goût – de ce qui seul peut être maintenu de ce que tu recherches dans tes relations terrestres (l’amour, la fidélité, la joie) ou prend en charge ce caractère de réalité, de longévité éternelle que chaque cœur humain désire.
Il y a quelques petites faiblesses ici. L’une d’entre elles est peut-être la façon dont Feingold achève sa section sur les Pères de l’Eglise – laquelle est par ailleurs un voyage fascinant dans les premiers siècles de l’Eglise, procurant une connaissance approfondie de la remarquable homogénéité de l’Eglise primitive quant à sa compréhension de l’Eucharistie.
De la Didachè (fin du premier siècle?) à Saint Jean Damascène (septième siècle), la sélection de citations de Feingold prouve un consensus universel sur la Présence Réelle, l’Eucharistie comme sacrifice et son intime connexion avec le ministère épiscopal. Il clôt finalement le chapitre en citant la remarque très souvent citée de Newman : « plonger loin dans l’histoire, c’est cesser d’être protestant ». Je suis d’accord avec Newman, et je comprends pourquoi Feingold le cite ici. Pourtant, à ce stade du livre, il n’a pas présenté la pensée protestante sur l’Eucharistie.
En outre, il y a des protestants qui affirment – à leur propre manière – les trois éléments du consensus commun. Qu’est-ce qui est fidèle à la tradition et qu’est-ce qui s’en écarte dans la pensée protestante nécessiterait d’être plus précisément argumenté, si le but est de réparer une interprétation fautive.
De même, Feingold néglige le rôle qu’Aristote a joué dans la conception catholique médiévale de l’Eucharistie comme transsubstantiation. Il mentionne les termes traditionnels tels que substance et accident mais le philosophe grec – si important dans la pensée catholique – apparaît seulement dans quelques références anecdotiques dans l’ensemble du livre.
Un catholique étudiant en théologie (ou un protestant intéressé) pourrait se demander comment il se fait que « le philosophe », ainsi que le nommait Saint Thomas d’Aquin en se référant à lui à maintes reprises, est devenu si influent dans le catholicisme.
De façon similaire, quand Feingold s’occupe de « la communion sous les deux espèces », il ne fait aucune mention de Jan Hus, le prêtre de Bohême vu par beaucoup comme un proto-réformateur, qui avait lui-même demandé que la communion soit distribuée sous les deux espèces, pain et vin. Etant donnée la controverse à propos de Hus, et son rôle dans l’imaginaire protestant, son absence est aveuglante pour l’ancien séminariste calviniste que je suis.
Si ces critiques, et particulièrement la dernière, semblent chercher la petite bête, c’est seulement parce que l’ouvrage de Feingold est si superbe qu’il mérite l’attention tout autant des protestants que des catholiques. Il y a là beaucoup à étudier pour le novice, le théologien de salon ou même l’érudit de bon niveau.
Plus important, il y a beaucoup dedans qui motivera plus d’un catholique à voir l’Eucharistie pour ce qu’elle est vraiment, et le mènera à s’y jeter avec abandon. Pour citer une nouvelle fois Jean-Paul II : « la Sainte Messe est le centre absolu de ma vie et de chaque jour de ma vie ».
Casey Chalk est un rédacteur du site internet œcuménique « Called to Communion »(appelés à la communion) et un diplômé de l’école de théologie Notre-Dame à Christendom College.
Illustration : le livre de Feingolg
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/05/17/to-appreciate-the-eucharist/