Le « black friday » fait référence aux pratiques comptables d’autrefois. Les commerçants qui ne vendaient pas de denrées périssables achetaient leur stock pour l’année et l’écoulaient petit à petit. Chaque vendredi, ils mettaient leur comptabilité à jour à l’encre dans leur cahier de comptes. Arrivait un vendredi où ils étaient enfin bénéficiaires et où ils n’écrivaient plus les chiffres à l’encre rouge mais à l’encre noire. C’était le « vendredi noir ». Jour béni qui rendait le commerçant plus susceptible d’accorder une ristourne ou des facilités de paiement à ses fidèles clients qui permettaient à son commerce de prospérer. La dénaturation de cette journée interpelle Robert Royal.
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Nous venons de faire l’expérience d’un « Black Friday », avec majuscules, selon l’appellation que lui donnent la plupart des Américains. Et en ce premier week-end de l’année liturgique, je me suis trouvé vouloir marquer ce moment, prendre des résolutions catholiques de Nouvelle Année puisque l’Avent, comme le Carême, est censé être un temps de préparation. Parce qu’un « Esprit de Black Friday » hédoniste est partout maintenant et va continuer ses ravages dans les semaines qui mènent à Noël si nous ne nous reprenons pas et si nous n’injectons pas quelques contre-mesures dans la préparation.
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Le « black friday » se présentait autrefois comme parfaitement innocent – c’était le jour où de nombreuses entreprises faisaient enfin du profit. Ne jugez pas pour n’être pas jugé, vous voyez le topo. Cependant, d’un point de vue humain normal, il paraît maintenant avoir (tout particulièrement par ses publicités) toutes les caractéristiques de la tentation diabolique.
Les années passant, je suis de moins en moins enclin à faire le genre de généralisation globale que nous voyons souvent dans la politique et les médias : « Nous Américains sommes… matérialistes/altruistes, racistes/accueillants, inhabituellement religieux/ de plus en plus sécularisés ». Vous pouvez argumenter pour l’un ou l’autre, vous aurez raison – d’une certaine façon.
Alors, je ne suis pas simplement contrarié parce que, lors du Black Friday, des tas de gens achètent et vendent des tas de trucs, bien que le « Vendredi » en question commence maintenant une semaine avant et dure pas mal de jours après. Je remarque que même des sites de médias libéraux critiquant le « consumérisme » (grave vice quand il tient une âme), comme celui du Washington Post mais également des sites chrétiens et conservateurs offrent volontiers des abonnements à prix réduit et des promotions pour le Black Friday.
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Il est difficile, même pour des catholiques, de se rappeler qu’il y a une façon spécifiquement chrétienne de considérer ces problématiques. On avait l’habitude de trouver suffisant de se rappeler que nous devrions vivre simplement. Mais dans les nations développées, nous sommes tous riches maintenant. Et à moins d’être appelés à la vie monastique, nous avons à penser de manière plus créative comment la vie chrétienne doit se mener au sein de l’abondance.
Saint Augustin, par exemple, nous rappelle que être riches ou pauvres, possédant peu ou beaucoup, puissants ou influents, faibles ou inconnus, ce n’est pas vraiment important. Et ce n’est pas bien ou mal en soi. Ce qui est important, c’est si nous soumettons nos vies – tout ce que nous avons et faisons – à Dieu. Ou si nous ne le faisons pas.
La façon classique de l’exprimer, aussi étrange que cela puisse paraître à première vue, est que nous devons « user » des biens créés et non en « jouir ». Mais attendez, pourriez-vous objecter, ne devons-nous pas simplement jouir de ce que Dieu fait et en user ne serait-il pas froid et calculateur ?
Oui, si c’était ce que la Tradition enseignait. Mais c’est tout le contraire. « Jouir », dans la perspective chrétienne, signifie chercher le plaisir dans les choses comme but final, chercher à les accumuler et s’y accrocher contre vents et marées, ce qui nous empêche de regarder plus loin. Par contraste, « user » signifie reconnaître ces choses comme étant bonnes. Et elles ne sont véritablement bonnes pour nous que lorsque nous les voyons non comme une fin en soi mais comme une aide pour atteindre notre plein épanouissement.
Dans « De Doctrina Christiana » (La doctrine chrétienne), Saint Augustin l’exprime ainsi : « car jouir (frui) d’une chose est s’arrêter à la satisfaction qu’elle apporte, tandis que user (uti) est utiliser les moyens qu’on a à disposition pour obtenir ce que l’on désire, à condition que l’objet de désir soit bon ; car un usage illégitime devrait plutôt être appelé abus ».
Exprimé différemment, nous ne sommes pas marxistes, de quelque tendance que ce soit : nous ne partons pas du principe que riche signifie mauvais et que pauvre signifie bon. Nous ne sommes pas non plus de l’espèce des capitalistes ou des libertaires qui affirment juste le contraire.
Joseph d’Arimathie était un homme riche, mais il a utilisé sa richesse pour procurer un linceul à Jésus et pour le placer dans un sépulcre taillé dans le roc, ce qui à l’époque, devait coûter son prix. Ce sont les gens ordinaires qui ont été manipulés pour demander la crucifixion de Jésus.
Comme l’a répété Alexandre Soljenitsyne : le bien et le mal n’imprègnent pas des classes sociales mais chaque cœur humain.
La situation dans le monde développé appelle les chrétiens à considérer notre richesse sans précédent et à répondre aux pauvretés matérielles et non matérielles des autres avec toujours plus d’imagination que jamais.
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Autant de raisons pour qu’en ce temps nous résistions à l’esprit du Black Friday et trouvions de nouvelles manières de suivre l’Esprit Saint. En étant rusés comme des serpents et doux comme des colombes.