A présent, la plupart des lecteurs de TCT auront entendu parler du professeur canadien et psychologue clinicien Jordan Peterson, qui s’est attiré la colère de tous les gens qui pensent correctement, en disant qu’il ne reconnaît pas au gouvernement canadien le droit de lui dicter les mots dont il doit faire usage.
Les mots en question sont les pronoms qu’on a inventés pour faire référence aux membres de soi-disant catégories sexuelles, catégories qui défient l’évidence devant nos yeux.
Prenons note tout d’abord de ce à quoi servent les pronoms. Ils nous soulagent du poids de devoir répéter le nom de quelqu’un toutes les dix secondes. On ne dit pas, à moins d’être dans une crise de sarcasme ou de folie, « Jean a oublié les livres de classe de Jean aujourd’hui, ce qui fait que quand jean a pris le bus, jean a dû demander aux amis de jean si l’un d’eux pourrait en prêter à Jean. » Nous ne disons pas, à moins d’être dans un accès de folie politiquement correcte, « Dieu pourvoit pour le peuple de Dieu, principalement en envoyant le fils de Dieu. »
En fait, si je dis « Jean a oublié les livres de Jean aujourd’hui », la personne à qui je parle se demandera aussitôt s’il y a deux personnes du nom de Jean, ou seulement une. De même, quand nous disons « Dieu pourvoit pour le peuple de Dieu », puisque la possibilité qu’il y ait deux dieux est exclue, nous suggérons que Dieu n’est peut-être pas du tout une personne divine, mais une chose, une force.
Les pronoms personnels sont propres aux personnes ; le fait maladroit d’éviter les pronoms personnels dans le cas de Dieu suggère qu’on ne se réfère pas à une personne. La chaleur du pronom personnel est remplacée par la répétition désagréable d’un nom qui n’est pas un nom, ou par des locutions qui évitent aussi bien le pronom que le nom. Nous utilisons également les pronoms pour faire référence rapidement à des personnes dont nous ignorons le nom. Pour autant que je sache, dans toutes les langues européennes les pronoms nous aident à resserrer la liste de ceux à qui nous nous référons par sexe, ce qui est la première chose que l’on remarque à propos de quelqu’un, et la dernière que l’on oublie. Vous voyez un homme qui marche dans la rue. Il (remarquez le pronom) s’effondre contre un réverbère. Vous dites à votre ami, « Regarde le – je me demande s’il va bien » Et vous vous approchez de lui en disant « Monsieur, avez-vous besoin d’aide ? »
Ou bien, vous voyez une petite fille au milieu d’un espace public, toute seule, l’air perplexe. Vous dites à votre ami, « je crois qu’elle a perdu sa mère ». Et vous vous en approchez, et lui dites « Ma petite fille, as-tu besoin d’aide ? »
Quelque fois, c’est difficile de se souvenir du nom des gens. Comment au monde sommes-nous supposés nous souvenir de ce qu’ils ont rajouté à leurs noms, non pas comme titre honorifique, mais comme indices de désirs sexuels ou de mondes inventés que nous ne pouvons pas connaître par la simple observation, et qu’il nous est bien égal de savoir ?
C’est une chose d’oublier que Jean est un écuyer ou un baron. On peut toujours parler de lui juste comme on parlerait de n’importe qui d’autre du même sexe immédiatement évident que Jean. Jean est un « lui ». Mais comment peut-on se souvenir que Jean préfère qu’on l’appelle « ze » ou « zir » ou « Ils » ou quoi que ce soit d’autre ? Si l’on veut éviter de blesser celui qui est perpétuellement susceptible, on finira par ne plus parler du tout de Jean. En effet, bien qu’ici il y ait peu de situations sociales dans lesquelles le fait que Jean soit un baron nécessite d’être mentionné, les situations nécessitant un pronom sont toutes les situations ordinaires de la vie.
Ainsi, pour commencer, la multiplication des pronoms renverse les raisons mêmes pour lesquelles nous avons des pronoms. Imaginez comme le discours lui-même se transformerait en bégaiement, si nous devions faire une sorte de signe préalable à chaque phrase que nous prononcions. Et comment devrions-nous écrire à propos des gens ? Devrait-il y avoir un répertoire des pronoms que nous devrions consulter, pour trouver comment parler de John Smith ou de Jane Hill, juste comme les anglais ont des livres de référence sur la noblesse ?
Aussi Jordan Peterson a-t-il refusé de se soumettre aux réquisitions de langage venues d’en haut ; il ne saluera pas la gauche fasciste. Il a dit que son cas, de par la loi, devrait être soumis à la commission des droits de l’Homme, la chambre vedette de la gentillesse. Si on lui met une amende, il ne la payera pas. Si on le jette en prison – dans la salle des pronoms, qui jouxte la salle des utilisateurs de mauvais adjectifs, des malveillants en adverbes, et de ceux qui sont enclins aux violentes interjections – il fera une grève de la faim. Que Dieu le bénisse.
Pourquoi devrais-je écrire ici à son sujet ? Je suis troublé par une négligence curieuse. Peterson n’est pas catholique, ni chrétien d’aucune façon, bien qu’il traite les Ecritures avec respect. Pourquoi n’a-t-il pas été loué par les catholiques du Canada ? Quels catholiques éminents se sont précipités pour le soutenir ou pour le rejoindre dans sa croisade toujours solitaire pour la liberté de pensée et d’avoir un discours normal et raisonnable ? Pour autant que je sache, aucun soutien de ce genre ne s’est présenté. Il se peut que je me trompe à ce sujet. Si c’est le cas, je m’en excuse.
Cependant, imaginons, quand la première vague de folie s’est écrasée sur le rivage, si les catholiques avaient déclaré tous ensemble : « Nous ne voulons pas en entendre parler ». Mais nous avons été embrouillés. Nous n’aimons pas causer de problèmes, et c’est toujours agréable d’espérer que la folie sera une folie raisonnablement tolérante, une folie d’humeur égale, une folie douce et sans prétentions. Eh bien, la folie n’est pas comme cela.
Et on ne peut pas faire la paix avec la folie. Elle est incohérente et toujours destructrice. Elle ne s’arrêtera que lorsque tout l’ordre linguistique et sexuel se sera effondré. Je pars du principe qu’il vaut mieux être détesté et craint parce qu’on se dresse en faveur de ce qui est juste et bien, avec toute la fermeté charitable et la clarté qu’un professeur Peterson a montrées, lui qui n’est pas chrétien, plutôt que d’être complaisant, méprisable, et inconséquent en tous cas.
https://www.thecatholicthing.org/2018/02/28/profiles-in-courage/