La présentation ordinaire de Soumission laisse penser à une sorte de parabole littéraire, ironique à la façon de Voltaire mais ce n’est pas tenir compte de tous les aspects du roman de Houellebecq. On y trouve des pages saisissantes, de saveur tout à fait métaphysique où les enjeux civilisationnels sont mis en évidence avec la plus grande acuité. Dans ces pages-là, l’ironie s’absente pour laisser place à des discussions serrées, ou à des explications presque didactiques.
Nous en voulons pour preuve la rencontre fondamentale qui a lieu entre le narrateur du roman et Rediger, qui dans un discours terriblement cohérent veut démontrer la vertu de l’islam à l’encontre d’un christianisme décadent, qui a lui-même provoqué la déchéance de l’Occident : « Nitzschéenne aussi était son hostilité sarcastique et blessante à l’égard du christianisme, qui reposait uniquement selon lui sur la personnalité décadente, marginale de Jésus. Le fondateur du christianisme s’était plu dans la compagnie des femmes et cela se sentait, écrivait-il. “Si l’islam méprise le christianisme”, citait-il, reprenant l’auteur de L’Antéchrist, “il a mille raisons pour cela ; l’islam a des hommes pour condition première…” L’idée de la divinité du Christ, reprenait Rediger était l’erreur fondamentale conduisant inéluctablement à l’humanisme et aux “droits de l’homme”. Cela aussi Nietzsche l’avait déjà dit, et en des termes plus durs, de même qu’il aurait sans doute adhéré à l’idée que l’islam avait pour mission de purifier le monde en le débarrassant de la doctrine délétère de l’incarnation. »
Par la suite, c’est le narrateur lui-même qui s’interroge : « Jésus avait trop aimé les hommes, voilà le problème ; se laisser crucifier pour eux témoignait au minimum d’une faute de goût comme l’aurait dit la vieille pétasse. Et le reste de ses actions ne témoignait pas non plus d’un grand discernement, comme par exemple le pardon à la femme adultère, avec des arguments du genre “que celui qui n’a pas péché”, etc. Ce n’était pourtant pas bien compliqué, il suffisait d’appeler un enfant de sept ans – il l’aurait lancé, lui, la première pierre, le putain de gosse. »
Pour Houellebecq, l’ampleur de la rupture civilisationnelle est affirmée. En choisissant un parti musulman, l’électorat français se détermine au-delà de la politique, sur l’absolu : « Parvenue à un degré de décomposition répugnant, l’Europe occidentale n’était plus en état de se sauver elle-même – pas d’avantage que ne l’avait été la Rome antique au Ve siècle de notre ère. » Soumission est bien autre chose qu’une occasion de se divertir. Il s’agit de réfléchir le plus gravement du monde.