La mort de Pierre Mauroy ranime bien des souvenirs sur une vie très remplie et le caractère d’un homme chaleureux, dont les convictions renvoyaient à l’histoire profonde du parti socialiste et à son ancrage populaire et ouvrier. Il y eut les années intenses où le maire de Lille assumait la responsabilité du premier ministère de François Mitterrand (1981-1984). Alors que, journaliste, j’étais en reportage à Cambrai, à l’occasion des élections législatives de 1981, les responsables socialistes de la ville avaient voulu que je rende visite à la maman de Pierre Mauroy, qui habitait, si je me souviens bien, non loin de la mairie. Cette maman était une catholique fervente, et son fils lui avait sûrement fait grand plaisir, lorsqu’il lui avait rapporté d’une visite à Rome, un chapelet spécialement béni à son intention par Jean-Paul II !
C’est un point sur lequel on peut insister. Pierre Mauroy était étranger à tout anticléricalisme et ce qui pouvait s’exprimer encore en fait d’intolérance à l’égard de la religion l’exaspérait. Un de ses conseillers à Matignon m’avait expliqué que ce fut plus d’une fois le cas au moment de la difficile négociation sur l’enseignement libre, avec le projet controversé d’un grand service laïque de l’Éducation nationale. Notamment avec André Laignel et Jean Poperen, les relations étaient parfois très tendues, lorsque ces deux rationalistes entendaient durcir au maximum certaines dispositions intégratrices. Il faut dire d’ailleurs que si l’affaire échoua, c’est que le Premier ministre n’ayant pu trouver le point d’équilibre désirable, Mitterrand décida de retirer le projet Savary.
Pierre Mauroy décida de démissionner dans la foulée de son ministre de l’Éducation nationale, tous les deux s’estimant désavoués. Mais il regrettera toujours l’échec du projet pour des raisons qui échappent souvent à la plupart des mémorialistes. Il ne s’agissait pas du tout, dans son esprit, d’effacer la spécificité chrétienne des établissements catholiques. Il s’agissait, au contraire, d’ouvrir l’enseignement public à un pluralisme étranger à tout dogmatisme laïque. De là un désaccord profond à l’intérieur du parti socialiste et de toute la mouvance syndicale enseignante. Pierre Mauroy avait une sorte de sur-moi religieux, dont son amie Denise Cacheux, militante socialiste catholique, fut souvent l’interprète la plus qualifiée. C’est pourquoi ses obsèques à la cathédrale Notre-Dame de la Treille sont cohérentes avec ses convictions et ses engagements.