Dire ma propre gratitude à Pierre de Lagarde, je crois que c’est exprimer en même temps toute celle de nos auditeurs et de ceux qui lui vouent reconnaissance pour tout ce qu’il a fait en faveur de notre patrimoine artistique. Tout d’abord à la télévision nationale avec ses émissions « chefs-d’œuvres en périls » puis sur Kto avec sa série « Églises de France » qui est à elle-seule un chef d’œuvre. Qu’on le veuille ou pas, une part essentielle de notre identité nous vient de notre patrimoine artistique et singulièrement religieux tel qu’il s’est inscrit dans notre paysage même, et qu’il couronne la beauté de nos villes et nos villages. Le fait d’ouvrir les yeux devant tant de grâce, d’intelligence et de maîtrise esthétique constitue une sorte de don inestimable qu’une communauté reçoit de naissance et dont elle n’est que l’usufrutière, avec la tâche impérative de la transmettre, en la sauvegardant. Et ce fut l’incomparable mérite de Pierre de Lagarde d’alerter l’opinion sur les risques de perte irrémédiable de nos chefs d’œuvres disséminés sur notre territoire.
Mais à propos de sa série de Kto sur les Eglises de France, il m’a paru nécessaire de tenter un début de réflexion sur un paradoxe qui m’a souvent frappé. En effet, le théologien dominicain, Yves Congar, a diffusé aux alentours du Concile une formule qui est devenue rapidement un mot d’ordre et une sorte de règle: « L’Eglise servante et pauvre »! Oui, l’Eglise se devait d’être l’une et l’autre, à l’encontre de certaines tendances du passé où elle avait été dominatrice et arrogante. Mais, pour correspondre à cet idéal de pauvreté, quelle attitude choisir en ce qui concerne le prodigieux patrimoine artistique de l’Eglise ? Certains ne dénonçaient-ils pas violemment ce qu’ils appelaient les richesses du Vatican, jusqu’à intimer au pape l’ordre formel de les vendre pour les pauvres. J’ai toujours résisté de toutes mes forces contre cette tendance en répliquant qu’il était préférable que l’Eglise de Rome garde au service de tous ses trésors et d’abord le Vatican lui-même, plutôt que de les livrer à la spéculation financière.
Il me semble que l’Eglise a un rôle de gardienne du patrimoine spirituel, même dans le domaine de l’art ne serait-ce que pour l’offrir à tous, aux plus pauvres notamment. Certes on peut rêver à un dépouillement évangélique total ! Le paradoxe veut que les disciples de Saint François, amants de dame Pauvreté, aient tout de suite bâti des églises magnifiques, et avec Fra Angelico, offert au monde quelques unes de ses inestimables œuvres d’arts. Même les icônes, ces images sacrées absolument gratuites, représentent une valeur inestimable. Et quand saint Bernard a voulu rompre avec ce qu’il y avait de trop somptueux dans les constructions de Cluny, il a produit ces sublimes abbayes cisterciennes, qui font la gloire de l’Europe entière! Non, l’Eglise servante et pauvre ne doit pas renoncer à l’art religieux, bien au contraire, mais l’accueillir, le transmettre et l’offrir à tous, pour une formation spirituelle indispensable à la construction intérieure, à la prière, à la contemplation.
Il est vrai que l’exemple français où l’Etat possède les bâtiments, dont l’Eglise est affectataire, est un moyen intéressant d’échapper aux contraintes de la propriété d’un immense patrimoine! Mais ce patrimoine, pour rester vraiment spirituel, doit respirer grâce à la liturgie, pour laquelle il a été conçu, et sans laquelle il n’aurait plus que le « parfum des vases vides », pour parodier Renan !