Que l’on me permette un aveu. Je ne parle jamais d’art, je ne commente jamais les œuvres d’art. Ce n’est nullement indifférence de ma part, ce serait plutôt une sorte de crainte révérencieuse. Je ne me sens pas assez armé, assez compétent, pour émettre un jugement et le justifier. Et pourtant, je suis bien conscient de me priver ainsi de quelque chose d’essentiel. Mais en suis-je réellement privé ? En réalité dans ce domaine, je fais confiance à d’autres, je me nourris des autres, m’instruis auprès d’eux, qui disent infiniment mieux que je ne saurais le faire ce qu’il faut apprendre et recueillir de l’immense trésor d’humanité qui s’offre à nous.
Cependant, aujourd’hui, j’ai tout de même envie d’aborder un peu la question, sous le biais de l’actualité qui nous sollicite. Car il est beaucoup question d’art moderne ces jours-ci, avec des controverses, des inaugurations, et même une déclaration du président de la République. François Hollande, inaugurant la réouverture du musée Picasso à Paris, a, en effet, déclaré : « Les artistes, ce sont eux qui affrontent l’intolérance, la bêtise, qui conduit à agresser un artiste ou à détruire son œuvre. » Ce n’était pas la peine d’être plus explicite. Tous ont saisi à quoi il était fait allusion et que je ne me donnerai même pas la peine d’évoquer ou de commenter.
Par contre, que de tels propos aient été prononcés au musée Picasso, voilà qui me parle, qui m’interpelle, qui me provoque. Pardonnez-moi. Mais Picasso c’est du sérieux, c’est du très sérieux. L’incompétent que je suis ne peut que protester de toute son âme contre une mise à égalité du sérieux et de l’insignifiant, fût-ce sous prétexte de magnifier l’art moderne. Mais pour traduire ma protestation, c’est mon éminent ami le père Bernard Bro que j’ai envie de prendre à témoin, à cause de son savoir exceptionnel puisé dans la rencontre des plus grandes œuvres dans tous les musées du monde. L’art moderne, nous dit-il, peut paraître éclaté, il nous désoriente, il nous pose des questions qui ont le mérite de nous ouvrir le cœur et l’esprit à l’ampleur du plus profond secret. Alors, par pitié, ne mélangeons pas le n’importe quoi et la vraie provocation artistique. Picasso, tragique, amer, douloureux, c’est trop sérieux pour être galvaudé.