Philippe Lejeune, 85 ans, frère du professeur Jérôme Lejeune, est un peintre actuel quelque peu en réaction avec le milieu officiel de l’art contemporain. Il n’apprécie pas que Daniel Buren (les colonnes de béton blanc striées de marbre noir au Palais-Royal) soit appelé sculpteur, ou que les œuvres de Pierre Soulages (les tableaux noir sur noir et les fenêtres de pierre blanche translucide de l’abbatiale de Conques) puissent être considérés comme des peintures ou des vitraux. « Je ne juge pas ce qu’ils font, mais c’est une question de vocabulaire », affirme celui qui peut s’enorgueillir de savoir un vrai métier, avec ses pratiques artisanales et ses mots précis. Il a appris ce métier, dès son plus jeune âge, auprès de maîtres dont il a partagé l’atelier (Maurice Denis, Jean Souverbie), mais aussi par son étude passionnée, en solitaire, des secrets, de « la cuisine », dit-il, des maîtres anciens comme Cennino Cennini qui enseigne, entre autres, nous rappelle Geneviève Dormann*, « la manière de peindre la barbe d’un homme mort ou fait remarquer que les poissons ont de l’ombre sur le dessus ». (1) Lejeune a d’ailleurs su transmettre sa passion et une partie de ce savoir-faire à d’autres peintres dont certains sont devenus à leur tour des artistes au plein sens du terme.
Mais sa dénonciation de l’art moderne – « Si M. Pinault confond une galerie d’art avec un sex-shop, cela le regarde » – et ses propos réactionnaires (il anime une émission sur Radio-Courtoisie http://www.radiocourtoisie.net/tempo/ ) qui, en d’autres bouches, lassent par ce qu’ils supposent d’amertumes petites ou grandes, n’est chez lui qu’une facette qui lui permet de s’affirmer avec une production tout à fait originale et reconnaissable – peinture, gravure, vitraux… -, tout en s’inscrivant dans une longue tradition où l’on peut déceler classicisme, cubisme ou surréalisme tour à tour mais, en tout cas, le moins possible d’« académisme ».
On verra, dans un entretien filmé par l’essayiste et éditeur Olivier Bardolle (2), que Philippe Lejeune n’aime rien tant qu’échapper aux idées que l’on peut se faire de lui. Ainsi à ceux qui croient que sa peinture figurative flirte parfois avec l’abstraction, il répond : « Je retournerai volontiers votre proposition, c’est-à-dire que je flirte avec la figuration, qui est l’ambition suprême ». Ce que confirme Sylvie Autef, la directrice de la galerie Mouvances – www.galeriemouvances.com -, place des Vosges, où sa peinture est régulièrement exposée : « Ce qu’il y a d’extraordinaire chez Philippe Lejeune, c’est qu’il ne sait jamais d’avance ce qu’il va faire, il prépare sa toile, étale ses couleurs et le tableau prend forme et sens petit à petit. » Le peintre, qui n’est pas avare d’aphorismes et de « pensées d’atelier » dûment éditées, traduit cela dans une belle formule : « On ne fabrique pas un tableau, on l’obtient ». Par quel miracle ? Le fait que Philippe Lejeune s’inspire essentiellement de la Bible doit avoir son rôle à jouer. Et on devine très bien, à admirer certains de ses tableaux, ce que son inspiration doit directement à la méditation des textes sacrés, à la prière.
Philippe Lejeune a trouvé sa vocation de peintre au Louvre où sa mère emmenait ses enfants « comme on va à la messe le dimanche » et où d’ailleurs, fait-il remarquer, si nos ministres ou conservateurs très laïcs « décidaient d’enlever toutes les « bondieuseries », il ne resterait pas grand-chose. » De là à affirmer qu’il n’y a de peinture que religieuse, il n’y a qu’un pas.
Pour ce qui est de la figuration plus ordinaire, il faudrait surtout parler du Philippe Lejeune portraitiste (une part de son œuvre qui n’est presque jamais exposée). Cela vaut le coup d’aller sur son site internet – http://philippelejeune.fr/ – pour assister à la leçon de peinture qu’il donne à sa fille Valérie, dont il fait le portrait sous nos yeux ébahis, tout en faisant une théorie charmante et profonde de la relation entre le peintre et son modèle, en trois phases qui deviennent « drame ou vaudeville, selon le niveau où on se place ».
Mais l’interviewer Bardolle explique lui-même, par ailleurs ( http://www.olivierbardolle.fr/ ), qu’un véritable auteur est toujours inférieur à son œuvre. Alors, sans vouloir minorer l’intérêt des propos tenus par « le solitaire d’Etampes » à qui le DVD (2) donne très largement la parole, en se fixant sur son beau masque de vieillard ascétique au lieu de montrer ses tableaux, le mieux est tout de même de regarder les savantes images que notre plus grand – certains diront le seul – peintre d’art sacré, nous offre, et de juger par soi-même.
Si l’on n’a pas l’occasion d’aller à l’exposition de la place des Vosges, qui se termine à la fin du mois, on se procurera le superbe album publié cette semaine par les éditions Charles Moreau. Une centaine de photos couleur, remarquablement imprimées sur beau papier, donnent une petite idée de ce don de la transparence qui est une des caractéristiques de ce grand artiste qui est – entre autres détails importants – un as du vernis.
Frédéric Aimard
(1) « Philippe Lejeune », album de 160 pages, avec une vingtaine de signatures différentes et une centaine de reproductions de tableaux. 22 x 28 cm, jaquette illustrée, 32 euros. Editions Charles Moreau, 1, rue du Pont de Lodi 75006 Paris – 01 40 46 82 11.
(2) Philippe Lejeune, entretien avec Olivier Bardolle, en juillet 2009 à Etampes, Talent Groupe hld Productions, 52 minutes. Hors commerce jusqu’à nouvel ordre.
* Journaliste et romancière, elle fut la femme de Philippe Lejeune et lui donna 3 filles.
Invités d’honneur du 30è salon Art Expo (du 21 novembre au 29 novembre) de Ballancourt-sur-Essonne (91610): Philippe Lejeune (peintures) et Marie-Madeleine Gautier (sculptures).
Cela se déroule au Complexe Pierre Denize.
sam 14h30 – 20h
dim 10h – 20h
semaine 17h – 20h
nocturne ven 27 avec vente aux enchères
http://www.art-ballancourt.fr