Le risque, dans les périodes d’affrontement idéologique intense, est de tomber dans la caricature et l’outrance. Tel est d’ailleurs l’argument majeur des adversaires de La Manif pour tous, qui accusent les adversaires de la loi Taubira et du système intellectuel qui lui correspond, de sombrer dans l’hystérie, la sur-interprétation, l’exagération… Il est vrai que la passion du moment peut conduire à aller un peu vite dans l’argumentation et l’interprétation. Il faut faire attention aux rumeurs, surtout lorsqu’elles viennent trop bien à votre aide pour établir la noirceur du camp adverse. Il y a toujours avantage à creuser un dossier, à réunir les pièces d’une question disputée, à vérifier un parcours historique. Surtout ne pas jeter l’enfant avec l’eau du bain. Ce n’est pas parce que les études de genre ont été à l’origine d’une problématisation très intéressée qu’il faut les rejeter sans examen, d’autant qu’un coup d’œil sur l’affaire ménage bien des surprises.
Le fait d’avoir déjà pas mal vécu me vaut une collection de souvenirs qu’il m’arrive de solliciter ces temps-ci. Exemple : il se trouve que j’ai rencontré, il y a longtemps déjà, deux personnalités emblématiques de la recherche intellectuelle et qui sont en rapport direct avec les débats d’aujourd’hui. Je veux parler de Philippe Ariès, l’historien, et de Michel Foucault, le philosophe. Deux personnalités bien différentes, et même aux antipodes l’une de l’autre par leurs convictions. Ariès, catholique déterminé et traditionaliste dans une désinence bien particulière. Foucault, athée, représentant d’une certaine pensée critique. Eh bien, les deux hommes s’étaient retrouvés sur une nouvelle façon de considérer l’histoire, du point de vue des pratiques quotidiennes et de la stylisation des modes de vie. Foucault avait beaucoup appris d’Ariès, et notamment la démarxisation de l’histoire, qui lui avait permis d’inventer lui-même une autre façon de philosopher. La sexualité en tant que telle avait été définie comme un domaine de plein droit de la recherche. En ce sens, Philippe Ariès peut être considéré comme un des précurseurs des études de genre. Mais j’imagine sa colère, s’il assistait aujourd’hui à la manipulation dont elles sont l’objet.