Dans l’ordre juridique et moral, l’idée de réparation est assez claire : le responsable d’un dommage se doit de le compenser, c’est-à-dire de rétablir autant que possible la situation antérieure. La même logique s’applique dans l’ordre spirituel, puisqu’un pécheur se doit non seulement de confesser sa faute et de s’en repentir, mais aussi de la réparer par une pénitence. Jusque-là, tout va bien.
Les choses se corsent quand on entend dire que, dans l’ordre spirituel, il est possible d’effectuer des actes de réparation pour le compte d’autrui. Voilà qui paraît curieux. Aucun tribunal n’accepterait qu’une peine de prison soit exécutée par une autre personne que le coupable. Saint Thomas d’Aquin lui-même en faisait la remarque : « Il semble qu’on ne puisse pas prendre sur soi la peine due par un autre. La satisfaction – c’est-à-dire la compensation – exige en effet une œuvre méritoire, or l’on ne peut ni mériter ni démériter pour autrui, puisqu’il est écrit : “Vous rendrez à chacun selon ses œuvres” (Ps 61,13). On ne peut donc pas réparer pour autrui. » (Somme Théologique Suppl. 13, 2)
« Le devoir de réparation »
Comment comprendre, donc, que ceux qui aiment Jésus-Christ puissent, efficacement, se livrer à toutes sortes d’actes de réparation en lieu et place des pécheurs ? Dans l’encyclique qu’il a consacrée au Sacré-Cœur – Miserentissimus Redemptor – Pie XI l’affirme pourtant avec force : « La créature doit offrir, à l’égard de l’amour incréé, une compensation pour l’indifférence, l’oubli, les offenses, les outrages, les injures qu’il subit : c’est ce qu’on appelle couramment le devoir de réparation. » Il y a là une véritable difficulté, dont l’examen nous mène au cœur du mystère de la Rédemption.
Nous le disions à l’instant, il paraîtrait absurde qu’un innocent se propose pour être puni à la place d’un coupable. Mais essayons tout de même de creuser cette idée. Admettons que l’innocent en question ne soit pas un inconnu mais un proche du coupable, son père par exemple. La justice des hommes refuserait assurément une telle démarche, mais, à bien y réfléchir, elle aurait tout de même un sens. Car s’il existait un lien affectif très fort entre le père et le fils, on pourrait estimer que le père accomplit une sorte de « procuration pénale » pour le compte du fils. On dirait quelque chose comme ceci : « Le coupable était trop faible, trop dégradé, trop indigne pour pouvoir exécuter sa peine, il valait mieux accepter que son père la prenne sur lui, c’était la seule voie pour que le fils, peut-être, soit touché et revienne dans le droit chemin. » Il faudrait supposer pour cela que le fils, attaché à son père, souffre avec lui de la peine que ce dernier subirait à sa place.
Un acte de sacrifice
Assurément, il est injuste qu’un innocent souffre une punition à la place d’un coupable. C’est ce que l’on appelle une erreur judiciaire. Mais dans le cas que nous imaginons, c’est volontairement que le père souffre la punition – ce qui change tout. Il ne la perçoit pas comme une punition personnelle le concernant – il est innocent ! –, mais plutôt comme un acte de sacrifice, par lequel il montre à son fils, auquel il est uni par la charité, ce qu’il faut subir, de quelle obéissance il faut être capable, pour remettre sa volonté dans le droit chemin. On ne devrait plus considérer alors que le père est puni à la place de son fils, mais plutôt qu’il cherche à toucher son cœur, en lui faisant comprendre la gravité de son crime. Admettons maintenant que le juge est convaincu de l’efficacité de cette procuration pénale sur le cœur du coupable. Dans ce cas, il pourrait considérer que le sacrifice du père a authentiquement réparé le crime du fils.
La Rédemption est un immense acte de réparation
Le lecteur aura compris où je veux en venir. Cette « réparation pour autrui », c’est ce qu’a fait le Christ sur la Croix. La Rédemption, en effet, est un immense acte de réparation par lequel Jésus nous a réconciliés avec Dieu. Il a fait pour nous ce que nous ne voulions, ce que nous ne pouvions pas faire. Non pas que Jésus ait été puni à notre place ; c’est impossible, il n’était pas coupable. Mais il a pris sur lui la peine. Comment cela sauve-t-il ceux qui méritaient cette peine ? Eh bien, par l’effet d’un autre mystère : celui de l’unité du genre humain en Jésus-Christ, figurée dans mon exemple imaginaire par l’unité du père et du fils : « Le Christ a reçu la grâce non seulement à titre individuel, mais aussi comme tête de l’Église, de telle façon que sa grâce rejaillisse de lui sur ses membres. Voilà pourquoi les actions du Christ ont pour ses membres, aussi bien que pour lui, les mêmes effets que les actions d’un homme en état de grâce en ont pour lui-même… La tête et les membres forment comme une seule personne mystique ; aussi la réparation du Christ s’étend-elle à tous les fidèles, comme à ses membres. » (III, 48, 1).
La solidarité des âmes
Dès lors, quand les fidèles font des prières, des aumônes, des jeunes de réparation en l’honneur du Sacré-Cœur, ils s’unissent aux souffrances du Christ, et font, par procuration, ce que les pécheurs ne font pas. « Je complète en ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1, 24). Comprenons bien : il ne peut y avoir de réparation pour autrui que par l’intermédiaire de l’action rédemptrice du Christ, à laquelle il faut s’associer, en jetant nos veilles et nos peines dans le grand brasier de son sacrifice. En quoi cela peut-il être efficace sur les pécheurs ? Par la solidarité qui existe entre toutes les âmes, de telle sorte que l’intensification des prières des uns fait pleuvoir les grâces sur les autres. Voilà sans doute ce que voulait dire l’Apôtre quand il écrivait aux Galates (6,2) : « Alter alterius onera portate », ce qui signifie : « Portez les charges les uns des autres. »
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