Peut-on parler du génocide vendéen ? - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Peut-on parler du génocide vendéen ?

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Alors que les parlementaires français sont en train de voter une loi pour punir ceux qui, sur notre sol, nient outrancièrement les génocides, qu’ils soient juif ou arménien1, le nouveau livre de l’historien Reynald Sécher sur les guerres de Vendée2, veut nous rappeler que la leçon pourrait bien valoir pour nous-mêmes.

De mars à décembre 1793, une région (nord de la Ven­dée d’aujourd’hui, nord des Deux-Sèvres, sud du Maine-et-Loire et de la Loire-Atlantique) s’est révoltée lorsque le nouveau pouvoir, exonérant ses propres enfants, envoie à la conscription les fils de paysans, interdit la liberté de culte, n’apporte dans les faits ni la liberté ni l’égalité auxquelles aspirent les Vendéens comme les autres Français. Les premiers chefs de la révolte ne sont pas des aristocrates (qui ne se rallieront que sous la menace), mais un paysan (Bazin), un marchand de bœufs (Pajot), un facteur (Stoffet), un boulier-pêcheur (Cathelineau).

La conception d’une extermination de masse va alors se mettre en place par les lois des 1er août et 1er octobre 1793 du Comité de salut public de Maximilien Robespierre et Lazare Carnot. Il ne s’agit pas d’une simple guerre civile avec quelques déra­pages. Les documents des archives militaires françaises l’attestent. Un plan précis est transmis par « petits bouts de papiers », comme le révèle Reynald Secher. « La Vendée devrait être anéantie… La terreur panique a tout frappé, tout effrayé, tout dissipé comme une vapeur… Détruisez la Vendée. C’est là qu’il faut frapper. Il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés », écrit Barère de Vieuzac dans son texte imprimé sur ordre du Comité. Comme pour toute pensée totalitaire, le bien et le mal ne passent plus au cœur de chaque homme, mais un procès d’intention est fait à des gens pour leur appartenance à un groupe et non pour ce qu’ils disent ou pour ce qu’ils font.

Louis-Marie Turreau, fidèle aux ordres qu’il reçoit et rendant compte régulièrement de ce qui se passe, ap­plique ce qu’on lui demande. Il obéit à l’injonction de Carnot : « Extermine les brigands jusqu’au dernier, voilà ton devoir. » De la conception du génocide, on passe à sa réalisation. Des tentatives de gazage à grande échelle ont été expérimentées aux Ponts-de-Cé, « malheureusement » la technique n’est pas au point. Jean-Baptiste Carrier pro­pose : « Faites empoisonner les sources d’eau. Empoisonnez du pain. Tuez-les à coups d’arsenic. » Mais là encore cette proposition scientifico-industrielle, comme celle des mines antipersonnel est un échec. Il faudra en rester à des moyens plus artisanaux : guillotine, sabrage, exécution par balles, noyades…

Le général Westermann se félicite : « Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes, qui, au moins, pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. Les routes sont semées de cadavre. Il y en a tant que, sur plusieurs endroits, ils font pyramide. »

Les « mariages républicains », une femme et un homme nus, parfois un prêtre et une religieuse, ficelés ensemble avant d’être noyés, impressionnent durablement les témoins. De nombreux lieux de­viennent des camps de concentration avant extermination systématique. Les bijoux, les vêtements, les cheveux sont gardés pour être revendus. La graisse des victimes peut être conservée pour les hôpitaux. à Nantes ou à Angers les tanneries de peau humaine prétendent apprécier la qualité du nouveau produit. Au sud de la Loire les « colonnes infernales » de Turreau réalisent la conception du génocide.

Louis Grignon, général de la première colonne ordonne à ses soldats : « Je vous donne l’ordre de livrer aux flammes tout ce qui sera susceptible d’être brûlé et de passer au fil de la baïonnette tout ce que vous rencontrerez d’habitants sur votre passage. »

Comme symbole d’extermination de la race impure, les pénis sont coupés pour en faire des boucles d’oreilles et des cartouches explosent dans les vagins des femmes. Le maire de Fontenay–le-Comte. Mariteau, constate : « Le général Amey part avec sa colonne et incendie toutes les métairies depuis La Rochelle jusqu’aux Herbiers. Sur une distance de trois lieues, rien n’est épargné. Les hommes, les femmes, même les enfants à la mamelle, les femmes enceintes, tout périt par les mains de sa colonne. »
Les Vendéens ne sont plus des êtres humains, mais des loups, des serpents, des poulets que l’on égorge, selon le vocabulaire des exterminateurs. Finalement, selon les décomptes de Reynald Secher, en douze mois (août 1793-juillet 1794) 117 000 Vendéens sont morts sur une population de 812 000. Tout s’est arrêté avec la mort de Robespierre. Le plan génocidaire n’a pas pu aller jusqu’au bout de sa réalisation — faute des moyens industriels adéquats ?

Mais alors commence, selon Rey­nald Se­cher, un mémoricide, expression dont il revendique la paternité. Le nouveau pouvoir va condamner Carrier, à huis-clos, sans aucun représentant des victimes, pour éviter de mettre en question la responsabilité de l’État et de ceux qui sont maintenant au pouvoir et se sentent complices. Mais en acquittant Turreau, qui n’aurait fait qu’obéir aux ordres, ce pouvoir se contredit en reconnaissant de fait la responsabilité du Comité de salut public… Un silence sur les véritables culpabilités s’installe, même si Napoléon et Louis XVIII vont pratiquer, fort justement, une véritable politique d’indemnisations.
Cette loi du silence ne se perpétue-t-elle pas quand on donne le nom de Robespierre à des collèges et des lycées, et à de nombreuses places et rues ceux de Carnot, Kleber ou Marceau ? Les noms des génocidaires sont inscrits sur l’Arc de Triomphe. L’État français n’opère-t-il pas avec les Vendéens comme l’État turc vis-à-vis des Arméniens ? La question nous dérange, voire nous choque.

Pourtant, avons-nous jamais pris la mesure de ce qu’écrivaient les Conventionnels en 1795 ? : « Il faut employer le fer et le feu, mais en rendant les Vendéens coupables aux yeux de la nation du mal que nous leur ferons. » Alors que les Vendéens défendent l’égalité (face à la conscription) et la liberté (de culte) face à un pouvoir qui renie dans les faits les droits de l’homme et la devise républicaine, ils se retrouvent en position d’accusés, au moment des faits, mais également aux yeux de l’histoire majoritaire.
Aujourd’hui encore, par une forme de terrorisme intellectuel, toute personne qui lève le voile sur ces massacres programmés est forcément « d’extrême droite ». Comment comprendre que les victimes deviennent des bourreaux dans le regard des autres ? Peut-être faut-il s’appuyer sur la théorie du bouc émissaire selon René Girard ? De nombreux mythes fondateurs de sociétés commencent par le meurtre d’un innocent. Mais pour que la foule unanime se dédouane de sa violence coupable, elle doit se persuader que le bouc émissaire, innocent, est en fait coupable. Il a eu ce qu’il méritait. C’est de sa faute !

Reynald Secher et la psychanalyste Hélène Piralian dans sa postface entrevoient une dimension psychique à cette loi du silence. Le mémoricide est mortifère. Comment faire son deuil lorsque la victime n’est pas reconnue comme victime ? Les descendants des survivants sont pris dans une double contrainte : d’un côté ils ne doivent pas oublier ces morts tragiques, de l’autre ils sont contraints au silence sous peine d’être « coupables aux yeux de la nation ». Le déni détruit le lien généalogique et bloque le présent. Certains subliment par une résilience active, qui pourrait expliquer le dynamisme des entreprises vendéennes. D’autres ont tellement intégré le discours culpabilisant qu’ils adoptent les propos des bourreaux par une sorte de syndrome de Stockholm, comme Clemenceau. D’autres aussi craignent le chaos ou sont en rébellion intérieure avec un sentiment d’injustice et d’oppression. D’autres encore se démènent avec des pulsions mortifères.

  1. NDLR : Quoiqu’on déplore l’impact liberticide et décervelant de telles lois « mémorielles », il n’y a pas d’autres solutions dans l’immédiat face à l’entêtement d’universitaires irresponsables ou, pire encore, face aux provocations délibérées d’un État négationniste tel que l’État turc depuis 90 ans, et qui vient publier, à grands frais, dans nos quotidiens nationaux des tribunes grossièrement négationnistes et insultantes pour la communauté arménienne accueillie en France comme rescapée des massacres de masse, comme chacun sait. F.A.
  2. Reynald Secher, Vendée, Du Génocide au Mémoricide, postfaces de Hélène Piralian et de Stéphane Courtois, Cerf, 164 pages, 22 e