« On doit juger les gens, non selon leurs opinions mais selon ce que leurs opinions ont fait d’eux. »
Ceci, selon Georg Christoph Lichtenberg, est une règle d’or. Comme telle, elle a une mystérieuse faculté à être instantanément oubliée. C’est plus facile de juger les gens selon leurs opinions et de les classer selon la concordance avec nos propres opinions. Faire autrement demande de la pénétration spirituelle.
Le culte des saints catholique (et orthodoxe) brave cet oubli. Nous ne respectons pas les saints pour leurs opinions chrétiennes. Nous pouvons espérer tenir pour acquis qu’ils en ont ; mais pas mal partagent ces idées qui ne sont cependant pas saints. Nous apprécions plutôt la façon dont les saints ont amené à la vie ces choses mortes. Car l’amour sans les œuvres qu’il signifie n’est qu’une opinion.
En écrivant cela, je n’ai pas l’intention de diminuer l’importance du Catéchisme. C’est le manuel d’instruction sur ce que nous croyons, et il explique comment ces croyances tiennent ensemble. Sans lui, nous nous perdons facilement, comme nous pouvons le voir par comparaison avec les pauvres âmes qui se sont persuadées qu’elles pouvaient se faire leur propre christianisme, en passant. Leur sincérité, à la supposer authentique, est rapidement submergée par leur confusion.
« Je ressens ceci, je pense cela » sont des poncifs dans la religion contemporaine à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise. Souvent, je n’entends même pas une référence pour faire joli à l’autorité du magistère. L’orateur se prétend en effet prophète, possédant une ligne directe avec Dieu. Pourtant il ne parle pas en langues, mais s’exprime par clichés.
Pourtant, le Catéchisme, les Evangiles (non modernisées), toute l’Ecriture, sont le commencement de la compréhension de quelque chose qui va finalement bien au-delà. Le Christ n’est pas réductible à un manuel d’instruction, et n’est pas venu sur terre pour nous en procurer un. L’Eglise elle-même rassemble ces choses – y compris le canon des Ecritures – pour nous diriger vers Son chemin.
Nous avons dans ces choses, et dans la théologie catholique qui s’appuie sur elles, un point de départ sûr vers une finalité qui n’est pas imaginable en ce monde. Les saints et les martyrs nous entraînent de l’avant au-delà d’horizons que nous pouvons raisonnablement garder à l’esprit.
C’est la dimension humaine de Jésus qui le rendait accessible à tous les hommes. Ce sont leurs qualités humaines sensationnelles qui ont fait des saints Ses compagnons féconds – car nous savons qu’ils font des choses dans les limites des possibilités humaines.
Ou encore, nous devrions savoir que la foi déplace les montagnes, que la foi peut, dans le cours d’une vie normale, nous élever vers le point de vue où nous pouvons voir, par la grâce de Dieu, que la sainteté est possible. (Comme un prêtre anglican me l’a dit un jour ; « le premier pas élémentaire vers la sainteté est de prendre conscience que les saints sont envisageables. »)
S’élever. S’élever de la mort. C’est tout ce qui nous est demandé. Et l’assistance divine est garantie. Mais nous ne serons pas entraînés par nos propres opinions. S’élever d’une mort qui n’est vie qu’en apparence, c’est commencer avec les instructions suivantes, avec tous les désagréments que cela implique. Nous commençons avec le squelette de la foi chrétienne, mais pour nous élever, nous devons y mettre la chair.
C’est étrange à dire, mais mon intention d’aujourd’hui est de toucher à la politique chrétienne, un domaine où nous sommes fort encombrés par nos opinions. J’ai été déconcerté, cependant, en découvrant qu’un prédicateur évangélique m’avait grillé. Je veux parler du conférencier Erasmus de cette année, là-bas à First Things : Russell D. Moore. Selon moi, cela vaut tout à fait la peine d’être lu ou écouté pendant une heure ou deux.
Tout cela parce qu’il expose une idée comme celle de Lichtenberg plus haut. Il note, dans son exposé, et ensuite dans ses réponses aux questions, un merveilleux paradoxe, digne d’être saisi : Hillary Clinton, vue comme un ennemi juré par les membres de The Evangelical Right, pourrait difficilement leur nuire. Son pouvoir lui permettrait peut-être de nommer l’Antéchrist à la Cour Suprême, ou d’embarquer le pays dans des aventures militaires à l’étranger qui pourraient précipiter Armageddon, mais elle ne peut cependant pas nuire à une seule âme évangélique (ou d’une autre confession chrétienne).
Pour cela, elle n’a aucun pouvoir. Elle ne pourrait en avoir que si elle était suffisamment attirante pour qu’ils aient l’envie de défendre les biens qu’elle vend. C’est seulement dans ce cas qu’elle serait en position de les corrompre. Pas quand ils ne voudraient même pas rêver de voter pour elle.
Cependant Moore suggère qu’en donnant la priorité à leur politique devant leur religion, en soutien à l’incorrigible Donald Trump, les champions des Droits Religieux mettent vraiment en danger les âmes chrétiennes. Car ils veulent renoncer à tout soutien qu’ils aient jamais donné aux « valeurs familiales » et à ce qui est maintenant nommé « conservatisme social » dans le but de faire élire leur homme. Ils se sont révélés comme adeptes délirants des conséquences, ce qui équivaut à cynique de premier ordre.
Bien que se limitant à critiquer certains des aînés de sa propre dénomination religieuse – et cela, ils pouvaient le remarquer, devant un auditoire principalement catholique – il a fait une remarque qui recoupe toutes les dénominations. En vue d’avoir quelque valeur en politique, d’être utile à notre pays, nous devons d’abord être chrétiens. Du moment où nous acceptons des compromis – surtout les compromis moraux – pour réussir, nous sommes damnés, et d’aucune utilité pour personne.
« Richard, pourquoi n’est-il d’aucun profit pour l’homme d’échanger son âme contre le monde entier. A part contre le pays de Galles ? » comme nous nous rappelons avoir entendu Thomas More le dire dans le film.
Il est le saint patron des hommes politiques, parce que soumis à une pression incroyable, il a mis la fidélité dans le Christ et dans l’Eglise du Christ, non seulement au-dessus de son intérêt personnel, mais au-dessus de tout objectif politique concevable. Quoi que ses opinions aient pu être, nous nous souvenons de ce qu’elles ont fait de lui : un flambeau qui rayonne à travers les âges.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître à première vue, c’est la seule norme chrétienne possible. La question de caractère va tout droit à l’essentiel. Nous ne devrions jamais devenir si désenchanté que nous nous dispensions de la foi pour approcher le pouvoir.
David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur de Ottawa Citizen.
Illustration : Sir Thomas More par Hans Holbein le Jeune, 1527
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/10/28/who-wins-is-not-important/