Les athées « de facto » qui tendent à dominer la culture américaine d’aujourd’hui s’imaginent que la disparition du christianisme sera une bénédiction presque sans mélange.
Ils auront disparu tous ces maux qu’ils croient constituer un christianisme solide : étroitesse d’esprit, puritanisme sexuel, intolérance, racisme, xénophobie, antisémitisme, anti islamisme, anti darwinisme, méfiance de tout ce qui est scientifique, conservatisme politique, anti progrès, et tendance au fascisme.
Les nouveaux américains, bien meilleurs, qui vont remplacer ces chrétiens démodés, seront des individus qui pensent par eux-mêmes, sont tolérants, ouverts d’esprit, favorables à la science, libérés sexuellement et heureux ; et qui sont profondément préoccupés de « justice sociale » -c’est-à-dire du bien-être de leurs frères humains. En d’autres termes, le christianisme sera remplacé par un athéisme moralement bienveillant. Le cours de l’histoire est long mais il penche vers un athéisme bienveillant.
Eh bien je pense que c’est une attente erronée – en fait, c’est tout le contraire de ce qui risque d’arriver. Il suffit de regarder l’histoire.
Quand une religion nationale s’efface, elle n’est pas remplacée par une association géniale d’altruistes rationnels. Non, elle est remplacée par une nouvelle religion, ou une pseudo-religion qui s’avère pire que ne l’était le christianisme à son pire moment. Je propose deux exemples :
D’abord, dans le courant du XIXe siècle en Allemagne, l’athéisme fleurissait parmi de nombreux philosophes, ce qui, à son tour, avait une grande influence sur de nombreux penseurs protestants. Le protestantisme, toujours largement populaire en dehors des régions catholiques d’Allemagne, s’est trouvé de plus en plus édulcoré. Son contenu dogmatique a maigri progressivement tandis que les théologiens essayaient de mélanger le meilleur du christianisme au meilleur de l’antichristianisme. Cela s’est transformé en une sorte de protestantisme « moderne » et « libéral », synthèse d’éléments contradictoires, qui n’était pas très attrayant pour le cœur et l’esprit des allemands qui se languissaient d’une religion vigoureuse.
Une religion vide est apparue dans les cœurs et les esprits de nombreux germaniques. Les classes supérieures ont essayé de combler le vide par le nationalisme, les basses classes par le socialisme. Le traumatisme de la première guerre mondiale a aggravé tout cela. Après la guerre, les classes les plus cultivées se sont tournées vers l’expressionnisme culturel : un bien maigre gruau pour un cœur qui désire vivement de la religion. Les classes laborieuses se sont tournées vers le communisme. Et les classes moyennes se sont tournées vers le nazisme.
Deuxième exemple, dans la Russie du XIXe siècle, le christianisme orthodoxe, sûrement à cause de sa connexion trop proche avec l’aristocratie tsariste, n’a pas réussi à satisfaire l’intelligentsia. Bien au contraire. Cela a certainement dégoûté les intellectuels, qui, sauf quelques exceptions notables, (par exemple Dostoïevski) se sont tournés vers l’agnosticisme et l’athéisme. Ils ont embrassé l’idée que la Russie devait avoir une grande révolution sociale. À la fin de 1917, cette grande révolution est arrivée sous la forme du Communisme, une pseudo-religion. Le fondateur de cette nouvelle religion (par analogie à Jésus, fondateur du christianisme) fut Lénine. Le premier et le plus grand « pape » de cette religion fut Staline, le vicaire infaillible de Lénine.
Ces deux nouvelles religions ont toutes les deux promis une « justice sociale », bien qu’elles aient eu des idées quelque peu différentes de ce que représente la justice sociale. Et toutes deux ont « découvert » – peut-être indépendamment l’une de l’autre ou plus probablement influencées l’une par l’autre – une grande « vérité » morale nouvelle. Elles ont découvert qu’une quantité incommensurable de mensonges, d’emprisonnements, de tortures et de meurtres sont moralement acceptables – à condition, bien sûr, que ces choses soient faites dans le but de faire un monde meilleur. Elles ont découvert que le cours de l’histoire tend vers les meurtres de masse.
Mais ceci, nos propagandistes post chrétiens nous l’assurent, n’arrivera pas en Amérique. Nous, les américains, nous avons beaucoup trop de bons sens pour que cela nous arrive. Peut-être qu’une toute petite « frange lunatique » d’américains seront gagnés par des mouvements de folie dans le genre du communisme ou du nazisme. Mais les américains moyens sont attachés au processus concret qui consiste à gagner et à dépenser de l’argent ; ils n’ont aucun goût pour les visions abstraites du monde ou les philosophies de l’histoire.
Eh bien, je n’en suis pas si sûr. Cela me hérisse chaque fois que j’entends quelqu’un dire de X ou Y ou Z qu’il est « du bon côté de l’histoire ». Le président Obama a dit cela quand il a applaudi la décision de la Cour Suprême de 2015 selon laquelle la Constitution garantissait le droit au mariage de même sexe. Quiconque parle ainsi, qu’il soit le président des U.S. ou un étudiant de deuxième année progressiste, a dans la tête une philosophie abstraite de l’histoire.
Je reconnais que les américains postchrétiens ne se sont pas fixés sur une seule pseudo religion – pas encore. Ils en sont encore au stade exploratoire, essayant ceci, cela ou autre chose. Cela prendra peut-être des années ou même des décennies avant de choisir une seule pseudo-religion qui puisse unifier tous les postchrétiens – juste comme cela a pris aux postchrétiens allemands un long temps pour s’installer dans le nazisme et aux postchrétiens russes un long temps pour s’installer dans le communisme. Selon toutes probabilités, cette unique pseudo-religion de l’avenir sera une grande synthèse des nombreuses pseudo-religions particulières dont les gens font actuellement l’expérience.
Qui précisément ? Qui fait « l’expérience » de pseudo-religions actuellement ? Les personnes suivantes :
a) Ceux qui ont la religion de l’environnement ; b) ceux qui sont attachés aux droits des homosexuels ; c) ceux qui sont attachés à l’idée (vraiment bizarre) que les personnes d’un sexe peuvent, par la vertu de certains sentiments, devenir des personnes du sexe opposé ; d) ceux qui croient que le meurtre de masse de bébés à naître est une activité vertueuse, qui mérite le soutien des contribuables ; e) ceux qui pensent que nous devrions rendre l’euthanasie accessible à tous ceux qui le veulent, et que nous devrions l’imposer à ceux qui n’en veulent pas mais qui, s’ils étaient raisonnables, devraient le vouloir ; f) ceux qui sont convaincus que les blancs sont, presque par nature, racistes ; g) ceux qui croient que la société, agissant par l’intermédiaire d’agences publiques ou privées, devrait étouffer les opinions perverses de ceux qui sont franchement réticents à se mettre du bon côté de l’histoire.
Tous ces gens ci-dessus, qui sont tous des fanatiques purs et durs, sont entourés et encouragés par un nuage immense de croyants à pâte molle, et je crains que nous ne soyons pas loin du jour où une conception postchrétienne complète du monde triomphera sur la terre de la liberté et du courage.