La veille de notre départ vers Israël, il y a déjà quinze jours, nous avons, Natacha et moi, pris la route pour nous rendre chez nos amis de Bourg-la-Reine : ils nous avaient invités à venir chez eux afin de nous trouver le lendemain matin plus près de l’avion. Ils firent bien plus, et, acceptant de garder en leur jardin notre voiture, ils nous accompagnèrent, le dimanche matin, jusqu’à Roissy-en-France tout en nous assurant qu’ils seraient présents à notre retour pour nous ramener chez eux.
Je le précise ici, quoique tout un chacun le sache pertinemment, les gestes d’amitié sont les gestes même du bonheur.
Je passe sur les trois heures occupées à passer par les nombreux contrôles, surveillés par des soldats en armes… quoique ce fut d’abord l’occasion de commencer à nous tourner vers ceux qui seraient comme une famille d’amis pendant cette semaine dont je présumais raisonnablement qu’elle serait des plus marquantes pour nous deux.
Première image enregistrée avec nos bagages… La compagnie Elal prend toutes les précautions requises pour assurer la sécurité de ses vols et nous en prenons conscience avec grande satisfaction : nos valises n’inspirèrent aucune crainte à ceux qui étaient chargés de vérifier si elles ne contenaient aucun ustensiles dangereux. Comme j’avais pris grand soin de bien ranger mes vêtements afin qu’ils n’arrivent pas lamentablement froissés, je fus fort aise de cette délicate rapidité…
Notre destination, Israël, n’est certes pas un lieu touristique ordinaire, paisible, lové dans quelque recoin du monde réputé « sans histoire » : celle du pays où nous avons décidé de nous rendre correspond parfaitement à la précision donnée par le Christ en évoquant les multiples et tenaces divisions qui découleraient de son passage : « Ne pensez pas que Je suis venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive. » (Matthieu X,34) Les chrétiens d’aujourd’hui, qui fournissent, et de loin, les plus gros contingents de persécutés, le savant mieux que tous autres, mis à part leurs frères, à travers les temps, qui eurent à donner le Christ à notre monde.
De quel glaive parlait-il ? Celui dont la haine et l’incompréhension frapperaient, non seulement sa personne, le Verbe éternel, son Corps donné par Marie, son Corps que fait grandir l’incessant baptême et dont elle est la mère, mais aussi son enseignement, son mystère infini que dévoile sa Parole. Refus permanent opposé à Celui qu’Il est, à l’œuvre de Salut qu’il venait d’entreprendre et qu’Il poursuit de jour en jour jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la fin du monde.
C’est bien en cette ‘’réserve’’ archéologique, qui part du plus concret pour faire entrer dans le plus spirituel qui soit, que nous désirions nous rendre…
Qu’espérions-nous ? Laisser notre foi reconnaître les traces de son passage, si peu visibles qu’elles soient, afin de mieux deviner, à travers nos ronciers, le sentier qu’Il nous à préparé et qu’il nous faut, assurément, suivre fidèlement ; afin de rester vigilants jusqu’à l’instant où nous verrons s’ouvrir cette « Porte étroite » où Il nous attend à la fois debout devant et derrière.
Oui, notre désir est bien de respirer l’air qu’Il respira dès sa naissance à Bethléem, plus tard à Nazareth ; de laisser en nos cœurs surgir quelques-unes des images de ce bonheur qu’Il vécut quand Joseph lui enseignait en son atelier le métier des charpentes, des lits, des tables… peut-être de quelques jouets… alors que Marie, transportée de joie à l’heure de sa naissance, le regardait de jour en jour grandir si merveilleusement… alors qu’elle priait ensemble avec Lui et son très chaste époux, lui exposait tout ce qu’elle savait des Écritures, répondait à ses questions dont la précision l’étonnait tandis qu’Il sortait tout juste de la petite enfance. Elle se mit à l’écouter, tendrement assidue, dès le moment où elle s’aperçut que la Parole de Dieu était comme sa chair : sans toujours bien entrer, ses douze ans accomplis, en ce qu’exprimaient ses explications, mais ravie parce qu’elle devinait que ces textes les plus difficiles de la Révélation ancienne lui étaient comme pain et eau, sa propre substance…
Nous avions décidé, sans savoir, en tout cas moi, si nous tiendrions la distance, de marcher là même où Il pélerina. L’idée de laisser entre nos doigts couler le sable du désert, là même où le démon tenta de Le distraire de son but, là-même où Il fut vainqueur de cet Ennemi implacable qui persistera jusqu’à la dernière seconde et même au-delà, quoique cela lui soit interdit, de nous arracher à son amour ! Puis toucher ne fut-ce qu’une des pierres où subsiste la trace invisible de ses pas afin que notre corps en vibre, que notre esprit s’en imprègne, que notre âme en tire un plus profond désir… Sur la pierre du tombeau vide encore imprégnée du sang qui traversa son Linceul poser nos mains.
Tout cela qui est signe d’une histoire dont nous vivons encore, si imprégnée des douleurs et des souffrances qui, s’écoulant de sa chair, tissèrent chacun des jours du peuple sien dont nous sommes les ‘’part-prenants’’… Histoire nôtre mais aussi histoire du peuple qui là-bas nous recevra, et qui fut elle aussi jalonnée de douleurs et de souffrances.
Depuis si longtemps que nous suivons l’actualité de ce pays, de cette nation, de cette région, ce lieu de tous les tourments ! L’histoire du proche Orient s’est comme acharnée à refuser la simplification qu’aurait fait valoir une reconnaissance de l’Amour tel qu’il s’affirma sur la Croix ! Comment oublier les incessants conflits, affrontements, rivalités, incompréhensions, peurs, qui furent la chair de tant et tant de guerres, d’hostilités larvées ou déclarées ! C’est à ces pensées que personnellement je m’abandonnais tandis que l’avion se rapprochait de Tel Aviv.
Dès leurs bagages récupérés, les quelques cent pèlerins qui avaient choisi la formule concoctée par Radios Chrétiennes de France (RCF) furent partagés en deux groupes : nous fûmes dirigés vers le car N° 1. En deux heures de temps il nous transporta jusqu’au centre du Néguev, en un lieu nommé Mizpe Ramon : nous découvrîmes à la fois notre guide, Xavier Messalati, et notre chauffeur qui, à la façon d’un virtuose, devait nous épater tout au long du pèlerinage.
Xavier avait pour mission, impossible assurément, de « tout » nous expliquer… Il assuma brillamment la charge jusqu’aux limites de cet impossible… Il en fut de même avec Gila Toledano, source intarissable de connaissances et d’anecdotes, qui était le mentor du car N° 2. Mais la fatigue fut, ce soir-là, un rude adversaire à vaincre : à plusieurs reprises, je dois bien l’avouer, je n’écoutais plus que d’une oreille distraite, sombrant parfois dans de brefs sommeils alors que je tentais désespérément d’apercevoir les premiers détails de la terre d’Israël…
Nous arrivâmes bien tardivement au Mizpe Ramon Guest House1, sachant déjà qu’Israël s’est livré à la langue anglaise : ce fut chaque jour mon supplice de ne savoir de cet idiome que de trop rares mots et expressions2, si bien qu’hier, percevant que je reviendrais sans doute un jour en cette terre du Christ, je me suis décidé à m’acheter à mon retour l’un de ces appareils traducteurs qui en ce moment se multiplient et donc ne coûtent plus trop cher !
Il était tard : le dîner expédié, tout le monde au lit : la nuit courte, car lever à 6 heures, déjeuner prévu à 7 ! Pourtant, aucunement besoin d’un réveil matin …
Les bagages rangés dans les soutes du car, celui-ci nous descend au creux du vaste Cratère de Ramon. Nous attendions ce premier contact avec le désert, qui n’a que fort peu à voir avec celui, si délicat, d’Ermenonville… L’ampleur du site nous interloque littéralement. Le touriste ici l’emporte sur le fidèle… Falaise superbe, qui ondule à perte de vue, condensé d’inspirations architecturales : elle forme dans les hauteurs une très longue muraille, rempart de calcaire blond qui ceinture cette vaste excavation due à l’érosion3, non au volcanisme… Elle est soutenue par un remblai en pente plus ou moins douce sur toute sa longueur… De nombreux oueds – j’ai retenu le nom local, ‘’ouâdi’’4 – descendent du bas de la falaise jusqu’au plus bas niveau du cratère ; de plus petits affluents strient de minuscules vallées toute l’étendue. Le sol est comme labouré d’excavations, de tranchées, de trous qui laissent deviner la puissance des pluies, rares mais violentes… L’eau se cache partout le long de ses torrents secs, qui accueillent des végétations d’un vert plus ou moins prononcé dans la mesure où la dernière pluie est plus ou moins récente. Parfois deux ou trois gros palmiers dattiers font résonner leur vert sombre… Au ras du sol, quantité de menus acacias archi-secs : au temps du Christ ils servaient d’allume-feu. Ce fut un bouquet de ces plantes aux racines longues de 3 à 6 centimètres qui fournirent au bourreau ‘’comique’’ de la flagellation de quoi composer la couronne de Jésus. Lamentable engeance cruelle !
Je suis parti en tête, prenant le plus possible d’avance, peu certain de ma résistance. Je puis ainsi garder un rythme égal, une foulée qui me convient. Au milieu de peloton, il m’aurait fallu changer trop souvent d’allure et la fatigue serait survenue plus rapidement… Arrivé à l’heure où le père Gilles, du diocèse de Fréjus-Toulon et l’un de nos deux prêtres accompagnateurs, doit célébrer la messe, je regarde vers l’arrière pour voir, au loin, les derniers marcheurs, encore situé à plus d’un kilomètre… Ma fierté d’avoir ‘’tenu’’ rejoint le stupide orgueil qui toujours m’attend aux moindres occasions.
L’office a lieu dans une sorte de conque : les murs rocheux de droite sont à peu près à l’ombre : nous nous répartissons tout le long d’un sentier de hasard pour nous éviter les rigueurs d’un terrible soleil qui fait bouillonner nos têtes à plus de 35°… Un gros rocher à peu près plat sert d’autel de fortune… Belle fortune au demeurant.
Co-célébration… Le père Gilles est entouré du Père Didier, second accompagnateur, aumônier des prisons du Var, du Père Marcel, pèlerin comme nous, curé de la chaîne des meilleurs crus de Provence, Baume de Venise en tête… Un autre pèlerin – j’ai oublié son nom – est diacre de Lyon. Rarement nos eucharisties atteignent ce degré de joie et de ferveur.
Natacha a trouvé de l’ombre sur l’autre versant de la conque : elle voit les officiants, tout de blanc vêtus, se détacher sur le mur en face : notre assemblée, située sur trois rangs parfaitement irréguliers, peut évoquer pour elle l’une des foules dont parlent les évangiles en quelque endroit désert… Et quand le Père Gilles introduit la thématique du pèlerinage, alors qu’il scande son sermon de mouvements ressemblant parfois à des pas de danse, elle pense en effet assister à l’une de ces rencontres d’il y a vingt siècles.
J’apprécie l’enthousiasme du père prêcheur – prêtre diocésain -, ses élans, sa saine doctrine, un peu moins ses trop nombreux jeux de mots qui se suivent à la queue leu-leu : certes significatifs mais5 énoncés avec une rapidité qui m’empêchait d’en goûter le sel… Le vieux prof de théâtre qui a pris sa retraite il y a déjà dix ans ne peut s’empêcher de distribuer bons et mauvais points…
Pendant une marche relativement courte, nous avons visité le site d’un très ancien caravansérail : notre parcours en effet suit un antique chemin de caravanes… Un peu plus loin, nous retrouvons enfin les cars qui nous déposent en un lieu de civilisation contemporaine… Nous allons pouvoir sortir de nos sacs les énormes ‘’sandouiches’’ préparés le matin même par le cuisinier du ‘’guest house’’. En venir à bout me fut impossible : heureusement, sous les parasols de feuilles de palmiers, de nombreux moineaux locaux ne se firent pas prier pour engloutir les grosses miettes que je leur balançais… Et parfois de se battre entre eux pour s’approprier le ‘’bien’’ d’autrui. Bienheureuse pause qui pu satisfaire toutes nos revendications et besoins…
Ensuite, ensuite, si je me souviens bien, ce fut l’embarquement pour la Mer Morte… Étape obligée, même si fort peu cité dans nos Écritures saintes… Natacha, au contraire de son époux, de jeta à l’eau afin de vérifier qu’elle pouvait en effet tenir à la surface sans le moindre effort. Ayant commis l’imprudence de mettre sur sa langue une goutte de cette eau morte, elle la cracha aussitôt tant elle la perçut comme un véritable poison brûlant…
Et ce fut une longue et sombre remontée vers le nord : nous aurions en effet à loger, dès le soir venu, à Nazareth. La nuit en effet était tombée, un peu après 18 heures… Nous longions le Jourdain, qui se distinguait seulement, à notre droite, par le renfoncement de son cours. Au-delà, s’apercevait le rivage jordanien, signifié par l’étrange scintillement de villages accrochés les uns aux autres en une sorte d’ininterrompue et scintillante guirlande de Noël.
Une multitude de noms évocateurs du temps du Christ étaient laissés derrière nous, de chacun des côtés du car, dont ceux de Jéricho et Colline de la Tentation… La curiosité me tenait en éveil, aussi cette constante certitude en moi : tu es en Terre Sainte et ce n’est pas un rêve !
(à suivre)
Pour aller plus loin :
- Un ‘’guest house’’ est, selon Wikipedia, « une association non commerciale, dont le but caritatif est d’aider les prêtres catholiques, diacres, frères et séminaristes… » : de même, apparemment, les pèlerins…
- C’est très volontairement, en une décision de rejet de la langue impérialiste mondiale, que j’ai refusé, après mon bac, obtenu sans elle, de ne pas continuer à l’apprendre…
- Sa longueur me paraît d’environ une quinzaine de kilomètres, sa largeur de six ou sept…
- ‘’Ouâdi’’ : de l’arabe : وادي, wadi ou vadi, mot qui se prononce ouâdi : devenu en français oued, terme utilisé en Afrique du Nord.
- En ancien français ‘’leu’’ signifiait ‘’loup’’ : il en fut ainsi jusqu’au XVIe siècle. À la queue leu leu égale donc à la queue loup loup… La syntaxe de l’ancien autorisait, suivant le contexte, l’impasse sur l’article et la préposition ‘’de’’. Ainsi Bourg-la-Reine signifie le bourg de la reine.