Vos murs sont-ils tapissés de peau d’anguille? Les vitres de vos fenêtres sont-elles blindées pare-balles? Votre voiture est-elle une Maybach? Veuillez pardonner ces questions indiscrètes du genre « enquête de marketing ». Il n’y a là aucune intention personnelle. J’imagine que la majorité des lecteurs répondra « non » à ces questions. Sautons les trente suivantes, encore deux questions, ce sera tout.
Possédez-vous un appartement de plus de 10 millions de dollars? Si oui, est-il équipé d’un ascenseur à voiture? Vous savez, ce genre d’ascenseur qui vous monte avec votre voiture du parking jusqu’au niveau de votre appartement ?
Non ?
Bon, alors, vous n’êtes pas un riche authentique.
Tout au moins si on se réfère au magazine Vanity Fair. Je faisais allusion à un article sur le N° 1, Hyde Park, à Londres, un ensemble résidentiel pour super-riches, tout en verre, immense, surclassant le vieux quartier (pourtant opulent) Victorien de Knightsbridge.
Bon, j’ai parlé de dix millions de dollars, mais il ne s’agit que de l’un des moins coûteux. Richard Rogers, architecte des célébrités, a conçu cet ensemble pour des clients exigeant tout le luxe imaginable.
Y-compris la sécurité. Un visiteur indésirable, à moins d’employer l’artillerie lourde, n’entrera pas. Mais est-ce un problème pour un assassin? Il n’y réside pratiquement jamais personne. Ces appartements sont détenus au travers de myriades de sociétés-écrans, et les véritables propriétaires ne viennent guère à Londres. Ce ne sont pour eux que des pied-à-terre. Leur vraies résidences sont bien plus belles.
Dans le bon vieux temps, les ploutocrates faisaient fortune dans la finance, le pétrole, l’immobilier, les médias, le transport et l’industrie. De nos jours ils font leur beurre essentiellement par des opérations louches de privatisations dans des pays tels que la Russie; par l’acquisition de droits d’exploitation miniers dans le tiers-monde; en bénéficiant de rentes gigantesques.
Actuellement, la richesse provient de relations politiques. Avec les taxes, règlements et lois sociales, il n’y a pas d’autres moyens pour faire un maximum. « Comment gagner cinquante millions de dollars en France aujourd’hui ?» se lamentait un des habitants de cet ensemble.
Attention, je ne suis pas un marxiste. Ni un cannibale: je ne propose pas de manger les riches, surtout pendant le carême. D’un autre côté, j’approuve de plus en plus la sagesse des lois somptuaires du Moyen-Age. Il y a des formes de « consommation ostentatoire » si choquantes que ce sont des menaces à l’ordre public.
On a amplement cité notre nouveau pape François déclarant; « j’aimerais tant une Église pauvre, pour les pauvres ». Chrétiens, catholiques, nous le comprenons, pensant au sermon sur la montagne. Puis nous pensons à sa signification profonde; par exemple à Béthanie avec Marie et Marthe. Mais le monde, en majorité, saura-t-il le comprendre ?
Benoît XVI s’adressant une dernière fois à son clergé romain disait qu’il y eut deux Conciles du Vatican au début des années 1960: le Concile des pères conciliaires et le concile des médias. Les premiers parlaient un langage de foi, les autres un langage de pouvoir.
À quoi j’ajouterai que les médias emploient un langage plausible, mais loin de la vérité; l’Église parle un langage de vérité, mais guère plausible. Il y a bien des « pertes en ligne » entre les déclarations de l’Église et les transcriptions par la presse.
Une amie vénitienne, lasse d’entendre le tintamarre en écho à la déclaration reprise sans fin sur une Église de pauvres, rappelait la grande pauvreté dont elle a souffert dans les années 1970: « Dieu m’aimait-Il davantage quand j’étais pauvre? — demandait-elle — M’aime-t-Il moins maintenant que je ne suis plus pauvre? » Puis elle ajoutait : « et que penser d’un pape pour les pécheurs ? »
Les médias ont une langue de pouvoir, de politique, entrelardée de touches hypocrites de style « Judas » (c’est mon opinion, humble mais pas incompétente). On devrait s’inquiéter de leur enthousiasme pour la phrase du pape François. De son temps en Argentine, Jorge Bergoglio a réussi à bien faire comprendre qu’il n’encourageait nullement la « théologie de la libération », ni l’utopie socialiste. Désormais, le défi à relever consistera à l’expliquer au monde entier — avec sa méthode préférée, par l’exemple.
Car le sermon sur la montagne l’emportera, mais il ne faut pas s’attendre à un triomphe facile. Dans son livre sur Saint François d’Assise, Chesterton décrit l’enthousiasme des premiers compagnons du saint pour le détachement des biens matériels. Il montre aussi la tempête ainsi levée et les efforts du Saint-Siège pour la calmer : ce qui était de la sainteté chez cet homme tournait à un excès malsain dans l’ordre Franciscain.
La pauvreté, comme tout ce qu’on cherche comme une fin en soi, tourne vite à l’idolâtrie. Dans mon esprit nous avons besoin du paradoxe de la splendeur de l’Église dans sa liturgie, sa musique, ses vêtements, son architecture — mis en évidence par la pauvreté de ses serviteurs. Nous avons ainsi une Église où tous les pauvres peuvent partager — une richesse pour chacun. Les plans de redistribution des revenus n’apportent rien. Ils n’ont rien à voir avec le Christ, dont le message au riche était: « distribue-le aux pauvres, . . . . puis viens, suis-moi.»
Mais ce n’était pas là Sa première directive. Il commençait par : « suivez les commandements.» Comme nous le rappellent les meilleurs orateurs, nous avons tendance à tout faire de travers; prêts à sauter en eau profonde, alors même que nous pourrions nous noyer dans le petit bain.
L’enseignement du pape François est bien d’actualité, et bigrement nécessaire. La pauvreté peut être une vertu chrétienne, et nos biens et nos vanités auraient bien besoin d’un bon coup de rabot. Les pauvres? notre voisin, l’orphelin, le malade, le handicapé, le fou, le prisonnier, le vieux gâteux, l’enfant à naître. Il faut reconnaître chacun à l’image du Christ, non par le vide des mots, mais par des actes. Non pas aux ordres du gouvernement, mais du Christ: agissons.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-poverty-thing.html
Tableau : Saint François en méditation – Francisco de Zurbarán, vers 1640