Paul VALADIER - Lueurs dans l'histoire, Revisiter l'idée de Providence – Paris – Salvator – février 2017 – 190 p. 20 € - France Catholique
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Paul VALADIER – Lueurs dans l’histoire, Revisiter l’idée de Providence – Paris – Salvator – février 2017 – 190 p. 20 €

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À 84 ans, le père jésuite Paul Valadier, docteur en théologie et en philosophie, spécialiste de Nietzsche et de la philosophie politique, qui enseigna à Sciences-Po, au centre jésuite de la rue de Sèvres à Paris, aux instituts catholiques de Paris et de Lyon et fut rédacteur en chef de la revue Études, ajoute, dans le présent ouvrage, à une longue liste de publications, des réflexions sur cette question fondamentale : “Un croyant peut-il croire encore en une Providence qui dirigerait le monde alors que tant de témoignages convergent… sur une absence de sens ?”.

Il n’est pas seul à se poser cette question. Son confrère en philosophie, Rémi Brague a publié en 2016 un essai intitulé Où va l’Histoire, où il s’emploie à montrer qu’elle n’a d’autre “sens” que celui que nous lui donnons par nos actions et nos libres efforts vers le bien. Le P. Valadier pense de même, et cherche une position de “sagesse” à proposer à des gens qui vivent dans le chaos des évènements contemporains, non sans les inviter à déchiffrer les “signes des temps”, expression néotestamentaire remise en valeur par le concile Vatican II. Il veut “penser notre présent sans avoir l’ambition d’un traité savant”.

Que serait-ce s’il avait eu cette ambition ? Ce livre n’est surement pas destiné au grand public des pèlerinages de Lourdes ou des JMJ. Peut-être à des séminaristes en deuxième année de philosophie, qui eux-mêmes pourraient bien rester perplexes devant une abondance de citations d’auteurs très spécialisés, et ne comprendront peut-être pas tout des raisonnements du Père. C’est pourquoi en guise de recension nous donnerons la parole à un jeune prêtre disciple du P. Valadier nommé Thomas (comme l’apôtre incrédule), et à une vieille dame nommée Véronique (comme la sainte femme au voile) qui assure des heures de permanence à la paroisse quand elle n’est pas en pèlerinage sur quelque lieu d’apparition. Ils sont ensemble dans le bureau de l’accueil. C’est le moment de la semaine où Thomas attend des pénitents éventuels. L’église est vide, ils ont tout le temps de causer.
Véronique : Ah ! Père Thomas, j’en ai vu des choses dans ma longue vie !

Quand je suis née, on sortait à peine de la guerre de 14. Mon père en était rescapé. On visitait l’exposition coloniale. À l’époque c’était bien, la colonisation ! Les missionnaires s’y engouffraient ! Ils apportaient aux peuples primitifs la vraie religion avec la civilisation. On nous a bien détrompés ! Nous n’avons pas fini de nous en repentir. C’était le Front Populaire, aussi, un bel idéal ! Les vacances pour tous, plus jamais la guerre ! Mais les Allemands ont cherché leur revanche, et écrit Gott mit uns sur le ceinturon de leurs soldats. Ça m’étonnerait que Dieu ait vraiment été avec eux quand on a vu le résultat. Mais était-Il davantage avec les Français, en juin 40, quand ils s’enfuyaient sur les routes de l’exode ? Dieu était-il avec Pétain ou avec de Gaulle ? Il y avait de quoi être perplexe…  Les Américains ont lâché la bombe atomique sur Hiroshima pour le plus grand bien de l’Humanité, et aujourd’hui, les Japonais sont leurs meilleurs amis. Pendant ce temps-là, le petit père Staline organisait la “société sans classes” et l’Armée Rouge libéra tout l’Est de l’Europe pour l’asservir durablement. J’ai connu des curés, en France, qui juraient par Karl Marx plus que par Jésus-Christ. Il a fallu que Soljénitsyne en personne réussisse à écrire et à faire passer en Occident son Archipel du Goulag pour les déniaiser. Un beau jour, le mur de Berlin est tombé et l’Union Soviétique s’est effondrée. À peine certains nous prédisaient-ils la “fin de l’histoire”, que voilà l’islamisme qui nous tombe sur le dos. Encore un “camion fou” ce matin ! Qu’est-ce qu’il fait, Dieu, dans tout ça ? Il y en a qui prétendent que rien n’arrive qu’il n’ait voulu (si c’est du bien) ou du moins permis (si c’est du mal). Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Thomas : J’ai eu au séminaire un professeur, le P. Valadier, qui avait bien des idées là-dessus. Il les a résumées dans un livre que j’ai là, sous la main. Il nous disait de ne pas attribuer à Dieu des choses contingentes et purement humaines. Il avait deux contre-exemples de prédilection : celui de Bossuet pour qui la société voulue par Dieu était en somme celle du temps de Louis XIV, avec un roi absolu, bien conseillé, protecteur de la vraie religion et des sujets qui devaient accepter chrétiennement leur condition, en vue de leur vie éternelle, les riches aidant les pauvres à ne pas trop souffrir de leur pauvreté… Allez prêcher ça, aujourd’hui ! Son autre contre-exemple était celui de Joseph de Maistre qui avait vécu la Révolution de 89 et prétendait que ce grand bouleversement avait été voulu de Dieu pour ouvrir à la société une ère nouvelle, qu’il tirait le bien du mal, que tant de victimes innocentes avaient été sacrifiées pour la rédemption des coupables… C’était quoi, en somme, cette “ère nouvelle” ? la monarchie parlementaire ? La démocratie comme en Amérique, théorisée par son confrère Tocqueville ? On la connaît cette démocratie, on est dedans. Vous la trouvez vraiment divine ?
Non, non, Véronique Dieu est au-dessus de tout ça… Laissez-le tranquille.

Véronique : C’est tout de même réconfortant de se dire que “Dieu écrit droit avec des lignes courbes”, que les martyrs de la Révolution sont au Ciel, et qu’on peut les prier pour qu’ils nous tirent d’affaire dans nos difficultés présentes… Il n’y croit pas à ça, le P. Valadier ?

Thomas : Peut-être qu’il y croit, mais dans son livre il n’en parle pas, parce qu’il sait que ses lecteurs universitaires n’y croient pas, ou peu, alors il pense que ce n’est pas la peine…

Véronique : Si Dieu n’a pas de “volonté”  ou si elle est vraiment inconnaissable, qu’est-ce que ça signifie de lui dire, dans le Pater “Que ta volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel”?

Thomas : ça signifie que c’est à vous, Véronique de la faire, cette volonté, tant que vous êtes “sur la terre” avant d’aller “au Ciel”…

Véronique : À moi ?

Thomas : Oui, à vous, et à tous les autres êtres humains à qui Dieu parle par la voix de leur conscience, canal normal de sa grâce.

Véronique : Ouais, mais la conscience des gens ce n’est pas un baromètre très sûr, elle leur fait prendre souvent la pluie pour le beau temps et vice-versa…“Ils ne savent pas ce qu’ils font”… Comme on dit : “L’Enfer est pavé de bonnes intentions”. Si même en s’appuyant sur les dix commandements et les béatitudes, on fait parpois des bêtises, à plus forte raison quand on n’a pas cet appui… 

Thomas : C’est pourtant là, au fond de notre cœur, que coule sa grâce. C’est là que naissent les grandes vocations. Et même les gens qui n’ont pas les lumières du christianisme, même les athées doivent écouter la voix de leur conscience. Oui, Véronique, de tous les dons qu’Il a faits aux êtres doués d’intelligence, et à eux seuls, le plus grand, celui que Dieu préfère, c’est la liberté entière de leur volonté. La Providence est l’aide que Dieu par sa grâce propose à l’homme pour faire les bons choix. Il ne faut pas vivre comme des esclaves résignés au malheur de leur condition. Notre religion n’est pas une “charia” faite de prescriptions immuables. C’est un dynamisme tendu vers le royaume de Dieu puisque nous ne cessons de dire “Que ton règne vienne”…

Véronique : Et s’ils font de mauvais choix ?

Thomas : N’oubliez pas que Dieu est Père ! Un Père Tout Puissant, certes, mais pas un Tout-Puissant lointain et indifférent à ses créatures, un Père aimant, qui met sa toute-puissance en retrait pour laisser ses enfants faire leur salut eux-mêmes. Il n’intervient pas dans leurs affaires sinon par l’entremise de leurs anges gardiens – Le P. Valadier s’intéressait beaucoup à ce que St Augustin dit des anges – Ce père est le bon berger qui va au secours de la brebis égarée, celui qui ouvre les bras à l’enfant prodigue repentant. Une fois pardonnés, la brebis égarée, et le fils prodigue peuvent toujours repartir dans la bonne direction, revivre à leur manière la Divine Comédie un poème italien du XIVe s. où le poète, Dante, est guidé, à travers l’Enfer et le Purgatoire, par un païen, Virgile, qui, au seuil du Paradis, passe le relai à une femme, Béatrice, l’accès proprement dit à la divinité se faisant par l’entremise de Saint Bernard. On en a vu, des criminels devenir des saints !

Véronique : Et moi, J’en ai connu, des brebis égarées et des fils prodigues qui ne se sont pas repentis et n’ont jamais retrouvé le bon chemin.

Thomas : La volonté divine a ordonné toutes choses selon une perfection que celles-ci doivent atteindre. L’être humain n’est nullement achevé. Il peut refuser de répondre à l’appel, déchoir dans le péché, trahir son désir de la beauté divine. C’est vrai ! C’est ce qu’on appelle le “mystère d’iniquité”. Mais Dieu nous fait parfois signe que nous pouvons espérer une “fin des temps” heureuse. Ce sont les “signes des temps”. Ils sont mystérieux, de simples “lueurs dans l’histoire”. À nous de les déchiffrer puisque nous sommes intelligents…

Véronique  : Il en déchiffre quelques uns, de ces signes, le P. Valadier ?

Thomas : Oui, il en déchiffre trois dans son dernier chapitre intitulé “Signes des temps, attente et espérance” : 1. La persévérance des Juifs dans leur judaïsme, malgré toutes les persécutions qu’ils ont subies au cours des siècles. Elle montre que Dieu est fidèle et qu’il ne se repent pas de sa première alliance.

Véronique : Tiens, je n’aurais pas pensé à ça. Après tout, pourquoi pas ! Faisons comme eux ! Persévérons dans notre christianisme, ayons confiance ! Dieu ne se repentira pas de sa nouvelle alliance .

Thomas : 2. La liturgie de l’Église qui ne fait mention de faits passés qu’en vue de l’A-Venir, du retour du Christ

Véronique : Celui-là est plutôt intemporel qu’actuel. Ça fait tout de même plus de 2000 ans qu’on répète “Que votre règne vienne”…

Thomas : Voici le n° 3, plus actuel. Il concerne l’islam. Le P. Valadier se refuse à dire, comme certains, “Dieu a voulu (ou permis) l’islam pour attiser la ferveur de chrétiens toujours sujets à l’assoupissement ”. Mais quand il considère l’état actuel de l’islam, avec de nombreux courants qui s’opposent, et les atrocités qu’il engendre, il pense pouvoir espérer (par la grâce de Dieu) un réveil de la conscience des musulmans eux-mêmes et tenir pour vraisemblable un effondrement de cette religion.

Véronique : N’importe quel journaliste pourrait en dire autant. Pas la peine d’être jésuite pour ça. C’est tout ?

Thomas : Oui c’est tout…

Véronique : Eh ! bien c’est maigre ! ça me laisse sur ma faim ! Moi, des signes des temps, il m’en vient à l’esprit toute une série, que je vais vous dire. À commencer par vous, Père Thomas, assis en face de moi.
Après tout ce que les ennemis de Jésus-Christ ont fait pour éradiquer la religion catholique de notre beau pays, il se trouve encore, en petit nombre, il est vrai, mais enfin, il se trouve des garçons beaux, intelligents, normaux et en bonne santé qui entreprennent sept ans d’études ardues avec la perspective de gagner moins que le smic et d’être obligés au célibat dans la chasteté, à seule fin de nous nourrir du corps du Christ et d’écouter le récit de nos péchés. Je trouve que ça, c’est plus qu’une lueur, c’est déjà une lumière.

Thomas (rougissant) : Ne parlons pas de moi. Je rends grâce à Dieu de m’avoir appelé. Ma vie est belle…

Véronique : Et puis enfin, en Orient, après tout ce que les musulmans ont fait pour éradiquer la religion chrétienne de leurs pays, il se trouve encore des gens qui pourraient avoir la vie sauve et conserver tous leurs biens rien qu’en disant – même sans en penser un mot – la petite formule “Il n’y a de Dieu qu’Allah et Mahomet et son prophète”, et qui préfèrent être égorgés, sinon brulés vifs… Sacrée lumière !

Thomas : Le couteau sous la gorge, je crois que le P. Valadier ferait, comme le P. Hamel, un très convenable martyr, et qu’on pourrait ouvrir son dossier de béatification…

Véronique : On pourrait parler aussi de toutes les découvertes archéologiques qu’on fait en Terre Sainte depuis que les Juifs s’y sont installés, et qui prouvent que les évangélistes n’étaient pas des menteurs. Ça cloue le bec à certains mauvais exégètes. Et puis enfin, il y a la pièce archéologique la plus parlante de toutes : le Saint Suaire ! Songez donc ! Le 12 avril 1204, Robert de Clari, un chevalier français, qui participait à ce gros péché collectif que fut le pillage de Constantinople par les Croisés, le vole et l’emporte en France. Il change de mains, arrive à Turin, dort pendant des siècles dans son reliquaire, jusqu’au 28 mai 1898, jour où Secondo Pia le prend en photo et voit apparaitre quoi ? L ‘admirable et majestueux visage du Sauveur dans la paix de son tombeau. Le suaire était un négatif photographique ! Mille expériences convergent vers la proclamation de l’authenticité. Une seule, trafiquée par quelque Judas, empêche le monde entier de tomber à genoux, mais pas les croyants d’adorer. Si ce suaire était resté en pays turc, jamais il n’aurait été analysé… On ne m’empêchera pas de croire que dans ce cas Dieu a tiré le bien du mal, et qu’il a une certaine vision de l’histoire sur la longue durée.

Thomas : Le P. Valadier est philosophe et théologien. Il n’est pas archéologue. Il laisse ces questions aux spécialistes.

Véronique : Et puis, je trouve que c’est bien vite dit, que Dieu n’intervient pas dans notre histoire. Moi j’en connais une qui ne se gêne pas pour intervenir, et qui, en qualité de “servante du Seigneur”, ne le fait pas sans avoir demandé la permission aux Trois Personnes de la Sainte Trinité. Vous n’ignorez pas l’efficacité de ses interventions, par exemple, à Pontmain et à l’Île-Bouchard. Dans d’autres cas, elle se contente de donner des avertissements, qui devraient plaire au P. Valadier, puisqu’elle appelle toujours les pécheurs à faire pénitence et à se convertir, autrement dit à reprendre le droit chemin. Et ses avertissements peuvent être spectaculaires ! le 13 octobre 1917 (ça ne vous dit rien, l’année 1917 ?) elle a donné à 50.000 personnes environ, le spectacle de la “danse du soleil”. Elle demandait au Pape une chose toute simple qui aurait évité de grands malheurs : qu’en union avec tous ses collègues évêques, il consacre la Russie à son cœur immaculé . Eh ! bien, dans leurs divers essais de consécrations, aucun pape n’a réussi à prononcer les deux mots Russie et immaculé. Et les grands malheurs sont arrivés…

Thomas : Le P. Valadier est philosophe et théologien. Il n’est pas mariologue. Il laisse ces questions au P. Laurentin.

Véronique : Eh ! bien, je vais vous citer un cas où ce n’est pas Marie qui s’est dérangée, en 1972, mais Jésus en personne, qui a demandé, par l’entremise d’une modeste mère de famille normande, qu’on réalise, sur une certaine “Haute Butte” qui s’élève à proximité de la station balnéaire de Cabourg, une construction plus modeste que les gratte-ciels que construisent certains émirs dans leurs émirats, une croix lumineuse de seulement 750 m. de haut, qui aurait été vue de tous les véhicules circulant sur l’autoroute en bas de la butte, et de tous les navires transitant par la Manche entre mer du Nord et Océan. Si elle avait été réalisée, nous n’en serions peut-être pas au point où nous en sommes avec l’islam…

Thomas : Ah ! oui… j’ai entendu parler de ça… la Croix de Dozulé… Le P. Valadier ne doit même pas être au courant. Il n’écoute pas les racontars. À l’époque, l’évêque de Bayeux a fait le nécessaire pour étouffer l’affaire et fermer la bouche à cette folle. On ne peut tout de même pas ridiculiser l’Église en écoutant toutes les histoires de bonnes femmes qui prétendent avoir des apparitions ou des locutions. À sa place, le P. Valadier aurait certainement agi de même…

L’heure de permanence est terminée. Les deux interlocuteurs se quittent, pas tout à fait d’accord…