Ce n’est pas rien que d’être évêque sur la terre même où le Christ a prêché la Bonne Nouvelle et où se perpétue le plus vieux conflit du Proche-Orient. Cependant la juridiction de Mgr Twal ne se limite pas au territoire de l’ancienne Palestine mandataire (Israël et les Territoires occupés), mais il couvre aussi la Jordanie et Chypre. « Habituellement un État comporte plusieurs diocèses, rappelle le Patriarche latin de Jérusalem, moi mon diocèse englobe quatre États ».
C’est entre autres de ces chrétiens et de leurs liens avec la France que Mgr Fouad Twal est venu parler aux autorités françaises. Comme il l’a rappelé lors de sa conférence de presse, ces liens sont étroits et anciens 1. La France n’est-elle pas le protecteur du Saint-Sépulcre ? Mgr Twal a insisté sur la valeur de ces quarante congrégations sur le sort duquel veille le Consulat de France à Jérusalem.
Ces congrégations interviennent aussi bien dans le domaine de la santé, du social et de l’éducation. Elles sont un élément essentiel de la francophonie en Terre Sainte dont lui-même est à sa manière un témoin et un représentant. Sans oublier toutes ces organisations laïques comme l’Agence française de développement. Mgr Twal rappelle aussi l’action au quotidien du Consulat auprès des autorités israéliennes en faveur du Patriarcat, de ses prêtres et religieux et de ses fidèles. Mais la reconnaissance du Patriarcat envers la France s’explique aussi parce qu’elle contribue au maintien des chrétiens sur cette terre, des chrétiens qui partent bien davantage pour des raisons économiques que pour des problèmes de persécution religieuse. Il n’y a que 2% de chrétiens en Palestine. Le nombre est stable depuis vingt ans mais la tentation de l’exil est forte. Or ces chrétiens sont des Palestiniens à part entière qui partagent les joies les peines et les combats des autres Palestiniens.
Et le sort des Palestiniens inquiète Mgr Twal. La question palestinienne n’avance plus. Aucun règlement n’est en vu. Le bilan de Barack Obama est inexistant. La venue du secrétaire au Département d’État John Kerry au mois de juin au Proche-Orient offre peut-être une perspective de relance du processus de paix mais pour Mgr Twal, il faut faire vite et le second mandat du président américain sera celui de la dernière chance. Il voudrait aussi que la France — et avec elle l’Union Européenne — s’engage davantage dans ce processus. Les risques en effet sont grands qu’une population jeune et se croyant sans espérance ne se tourne vers des choix extrêmes. Le Patriarcat dans cette situation a un rôle éminent à jouer. « Nous savons que le Christ a dit qu’Il était auprès de nous jusqu’à la fin des siècles et cette présence nous porte. Nous voulons auprès de tous témoigner de la présence et de la parole du Christ et agir au service de la paix ; c’est la seule solution pour la Palestine, une paix juste pour tous, pour les Israéliens et les Palestiniens, pour les juifs, les musulmans et les chrétiens ».
Les chrétiens de France ont aussi leur rôle à jouer. Mgr Twal les invite à venir en Terre Sainte pour manifester que l’Eglise du Christ est une dans sa richesse et sa diversité, pour exprimer concrètement cette fraternité qui unit les disciples du Christ et pour donner aux Chrétiens de Palestine cette visibilité et ce soutien dont ils ont tant besoin.
Une paix juste pour la Palestine. Et pour la Syrie est-elle encore possible ? Mgr Twal rappelle l’immense désastre humain que représente la guerre civile syrienne. 92 000 morts, c’est le bilan de deux ans de guerre civile. Ce qui était au départ un mouvement social s’est mué en drame. Combien de vies perdues ou détruites en pure perte ? Faut-il dès lors soutenir le régime Assad contre ses ennemis ? Pour Mgr Twal, la question n’est pas là. Il faut une solution politique au conflit et cesser cette guerre dans laquelle les combattants de tous bords sont devenus petit à petit des pions entre les mains de puissances qui les utilisent au profit de leurs intérêts géopolitiques.
La défense de la démocratie dans cette affaire n’est plus que secondaire. Et qu’on ne vienne pas dire que le prétendu soutien des chrétiens ou de leurs dignitaires à Assad est lié à la peur du prix qu’ils auraient à payer si le régime baassiste venait à tomber. Le prix, les chrétiens le payent déjà avec les enlèvements, les assassinats, notamment de prêtres et de religieux. Et les chrétiens ne soutiennent pas Assad, ils veulent le changement dans la paix et par la réforme, ce n’est pas la même chose. Dans cette tempête politique, les Eglises s’efforcent d’être au plus près de la population et de l’aider, en Syrie, mais aussi dans les pays limitrophes où les réfugiés se comptent par centaines de milliers.
Le cas de la Jordanie à cet égard est révélateur. Pays sans grandes ressources, il a déjà accueilli 300 000 Irakiens. Il accueille désormais en plus 700 000 syriens dans des camps ou dans les villes. Or l’accueil de ces réfugiés auquel, là encore, les Églises participent, est un lourd fardeau. Le problème de l’accès à l’eau qui était déjà aigu s’en est trouvé amplifié. Sans parler de celui de l’emploi. Les réfugiés sont prêts à accepter du travail à n’importe quel prix. Ils sont dès lors une main d’œuvre idéale pour des employeurs aigrefins qui trouvent là un excellent stratagème pour faire baisser les salaires. D’où la colère des travailleurs jordaniens. Mgr Lahman évoque ces Qataris et autres Saoudiens qui viendraient dans les camps de réfugiés contracter des « mariages » contre argent sonnant et trébuchant. De manière plus marginale pour l’instant, se trouve aussi posé le problème d’éléments infiltrés au milieu des réfugiés, en vue de la déstabilisation de la Jordanie.
Comment dans un tel contexte les chrétiens ne seraient-ils pas tentés de fuir la Syrie et les pays d’accueil du Proche-Orient ? C’est dès lors aux Églises avec d’autres de leur expliquer toute l’importance qu’il y a à rester malgré le drame de la guerre, de les aider matériellement autant que possible et de défendre la paix et le dialogue, seules solutions acceptables au conflit. Mais il faut que les Occidentaux de leur côté et tous ceux qui interviennent de l’extérieur écoutent ceux qui subissent cette guerre avant de décider quoi que ce soit. Il faut que les États-Unis et l’Europe s’engagent pour la paix et pour une solution politique, la seule possible.
« Quelle est la position de la France interroge Mgr Lahman ? On a l’impression qu’elle ne cesse de changer ».
La Syrie et les chrétiens en Syrie mais aussi en Palestine ont-ils encore un avenir ? « Nous nous souvenons toujours de ce que nous a enseigné le Christ répond Mgr Twal : si vous voulez me suivre portez votre croix, mais aussi, je ne vous laisserai jamais seuls… N’ayez pas peur ». Ainsi l’Église latine du Saint-Sépulcre, comme nombre d’Églises d’Orient est l’Église du calvaire, elle n’oublie jamais qu’après le séjour au tombeau, surgit le triomphe du Ressuscité.
- Le Patriarcat Latin de Jérusalem existe depuis 1099. C’est un fruit de la Première Croisade. Pourtant il ne faut pas s’y tromper. Ses fidèles ne sont pas des descendants de croisés restés en Terre Sainte ou des musulmans convertis. Ce sont pour la très grande majorité des chrétiens de vieille souche depuis longtemps ralliés à l’Eglise latine. Le Patriarcat disparaît d’Orient après la prise de Chypre par les Turcs et survit à Rome avant de revenir en Terre Sainte en 1848 en la personne de Mgr Valerga, un franciscain italien. C’est en 1987 que pour la première fois le Pape Jean-Paul II élève un palestinien, Mgr Michel Sabbah, à la dignité de Patriarche latin de Jérusalem. Depuis 2008, c’est un palestinien de Jordanie, Mgr Fouad Twal, qui exerce ce ministère éminent.