Il faut se replacer dans le contexte de l’époque pour comprendre ce qui apparaît comme très étranger à notre temps. Les jésuites sont à l’apogée de leur gloire et de leur influence politique et religieuse. Ils sont les confesseurs et les éducateurs des rois et des grands. Ils ont parfois adapté aux circonstances et aux états de vie les lois universelles de la morale chrétienne. Ce que l’on nomme « casuistique » ne fait pas l’unanimité chez ceux qui avaient une approche plus ascétique, comme les religieuses de Port-Royal, des Solitaires qui s’agrégèrent à cette abbaye et de tout le mouvement janséniste. La dimension morale l’emporte alors sur le problème théologique et les jésuites n’utilisent pas toujours les bons arguments et des moyens heureux pour répondre à leurs détracteurs jansénistes.
Les deux camps s’opposent férocement. Si les jésuites semblent gagner dans un premier temps, les jansénistes prendront leur revanche au siècle des Lumières. Vainqueurs et vaincus, ils sont des éléments essentiels du grand bouleversement qui va saisir d’effroi la France, puis l’Europe, à savoir la Révolution.
Opposition frontale
Au départ de la controverse, se situe le débat sur la grâce divine et sur la liberté humaine, les jansénistes interprétant saint Augustin de la façon la plus stricte possible et les jésuites se montrant plus pélagiens [doctrine condamnée par l’Église, soutenant que l’homme peut assurer son salut par son seul libre-artbitre, NDLR], ceci pour contrer Luther et Calvin. Rapidement le débat s’éloigne des questions doctrinales pour se transformer en règlement de compte, à la suite d’un ouvrage du janséniste Antoine Arnauld, Lettre à une personne de condition, qui attaque la casuistique jésuite et la morale qui en découlerait. L’ouvrage, qui met le feu aux poudres, s’attire les soupçons des docteurs de la Sorbonne. Déjà vif, le débat s’emballe à la suite d’un autre ouvrage, écrit en défense de la Lettre d’Arnauld : Les Provinciales, de Blaise Pascal.
Un talent exceptionnel derrière une plume mystérieuse
Soutenus par Richelieu et par le roi, les jésuites font interdire l’ouvrage de Pascal dès la parution anonyme des premières Lettres : ils ont en effet compris à quel point ces Provinciales sont dangereuses pour leur image, car ils reconnaissent le talent exceptionnel qui se cache derrière la plume mystérieuse, d’autant plus que, dans leurs rangs à l’époque, aucun
religieux n’est susceptible de s’élever à un tel niveau de perfection. Ils lancent à la charge le Père Jacques Nouët qui se fend de toute une série de Réponses aux Lettres Provinciales publiées par le secrétaire du Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus sur le sujet de la morale desdits Pères, le plus souvent bien maladroites.
Le génie des jansénistes a donc consisté à choisir Blaise Pascal comme leur David face au Goliath jésuite, au lieu de laisser Antoine Arnauld défendre par lui-même sa Lettre à une personne de condition. Sans l’intervention de Pascal, les jansénistes auraient été battus à plate couture et cette fameuse polémique aurait été étouffée dans l’œuf.
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