Depuis vingt ans, j’ai accès à internet. Enfin pas tout à fait. Je dois commémorer le samedi 4 décembre de l’an de grâce 1999. Ma parfaite innocence internétique a pris fin ce matin-là. Mon électronicien de fils (alors âgé de 13 ans) m’a connecté ce jour-là, dans mon bureau à la maison, avec les courriels et tout le tralala.
Il m’a même persuadé d’établir une connexion avec un nouveau truc appelé « Google » qui était un « moteur de recherche ». La devise de leur firme, « ne soyez pas mauvais », nous réjouissait l’un et l’autre. (Elle a depuis été discrètement abandonnée.)
Je n’avais pas à payer un centime pour cette connexion. Il était seulement nécessaire d’abandonner plusieurs milliers de dollars pour l’équipement, qui incluait un rebutant fouillis de câbles enchevêtrés.
Connecté. Pris à l’hameçon serait plus exact. Ce média est si absorbant qu’on ne doit pas s’y abonner à l’ancienne mode. C’est lui qui s’abonne à vous.
Mon honorable lecteur ne sera pas surpris d’apprendre, comme je l’ai finalement fait, qu’il fonctionne comme un service d’espionnage universel sur des principes commerciaux, vendant tout ce qui peut être appris à votre sujet à des clients rentables afin qu’ils puissent vous bombarder de suggestions d’achat sur mesure.
Qu’est-ce qui pourrait être plus innocent que cela ? Plein de choses, il me semble.
Etant journaliste -chroniqueur à cette époque – donc déjà impliqué dans les journaux, magazines, radio, télé – je n’imaginais pas avoir beaucoup à perdre. J’étais déjà un « personnage public », de façon quasi légale, ayant droit aux insultes publiques et nécessairement accro aux « nouvelles ».
Le portail venait de s’ouvrir à la fourniture de nouvelles. On n’avait plus à attendre jusqu’au matin.
Nous sommes tous pratiquement maintenant « connectés » en « temps réel ». Je peux suivre les événements locaux de l’autre côté de la planète. J’ai vu des bulletins météo de Mars. J’ai trouvé toutes sortes d’informations qui n’étaient pas dans ma bibliothèque – la plupart non sourcées.
Et par les « réseaux sociaux », que je continue à chercher à éviter, il est maintenant possible d’organiser un rassemblement violent de gens en colère et mal informés qui expriment leur indignation à un continent de là – souvent dans les minutes qui suivent un événement qui ne s’est pas produit.
Oui, internet est une chose merveilleuse. Qu’en faisons-nous ?
Pour mon fils, et pour d’autres du même profil, qui ont une fascination pour toutes les vieilles mécaniques, une conscience du temps historique et une disposition spéculative, de concert peut-être avec un apprentissage maison du scepticisme, ce passé existe vraiment.
Pour la plus grande partie de la jeunesse actuelle, ce n’est pas le cas. Ce sont des créatures presque entièrement de ce « temps réel », tout comme les éphémères qui en ce moment envahissent pas nuées le balcon, copulant désespérément au hasard. Rien ne peut être plus mort pour eux que le tweet d’hier. Ou que eux-même, bientôt rassemblés sur la toile (par des araignées).
Pourtant, pour ceux ayant quelque connaissance superficielle du passé (et par conséquent quelque curiosité de l’avenir), internet peut être une source d’inquiétude. Où que l’on se tourne dans ce cyber-espace, on est informé d’événements profondément répugnants pour des civilisés. Tels que la réduction de la politique à des campagnes de diffamation d’envergure ou la proposition d’accorder le droit de vote dès 16 ans.
La conviction que le monde arrive à sa fin est maintenant partagée, non seulement par des déséquilibrés hormonaux ou des membres d’obscures sectes apocalyptiques, mais par le profane « rationaliste ». Seuls les nigauds religieux (tels que moi) s’attendent à ce que la vie continue au-delà de l’Extinction la plus récemment publiée.
J’ai remarqué que les personnages publics éminents de votre pays comme du mien (le Canada) nous donnent maintenant douze ans, ou ils le faisaient jusqu’à ce qu’ils réduisent cette durée à dix. A moins, bien sûr, que nous n’établissions immédiatement une dictature totalitaire qu’ils prendraient en charge.
Une telle nouvelle est rapidement répandue par internet. Elle est généralement accompagnée de statistiques.
Laissez-moi en faire quelques-unes de mon cru. Savez-vous que le niveau général d’anxiété est maintenant cinq fois plus haut qu’il n’était dans mon enfance ?
Et voici quelque chose pour épouvanter le plus assidu consommateur de scénarios de fin du monde. Et si notre planète survivait quelques siècles de plus ? Qui serait capable de le supporter ?
Couplées avec les dernières prédictions environnementales, il y a les tranches nébuleuses de progrès technique. Il sera bientôt possible de perpétuer notre espèce en nous transformant médicalement en sur-hommes bioniques. (Ou en « super-personnes » comme dirait mon premier Ministre [chatouilleux sur les propos sexistes].)
Travaillez ensemble ces deux certitudes populaires – la force irrésistible du progrès infini dans un désastre total inéluctable – et qu’avons-nous à espérer ? Un monde apocalyptique de surhommes zombies.
On pourrait peut-être affirmer qu’il est déjà là. Consultez Drudge ou tout autre agrégateur de nouvelles, un joyeux matin parmi d’autres, et vous pourrez jeter un œil sur ce « meilleur » n’importe quoi. A mes yeux catholiques rétrogrades, la vie de campus contemporaine procure une bande-annonce très Netflix.
Ca allait devenir un monde sans « pères » ni « mères » et sans autres relations familiales ou biologiques ; maintenant, c’est parti pour devenir également un monde sans hommes ni femmes. A la place, nous aurons tout ce que nous voudrons construire socialement.
En vérité, le socialement construit fera la construction sociale, à perpétuité, selon un sage dont j’ai oublié le nom. Ce sera comme les ordinateurs reproduisant à foison des ordinateurs meilleurs équipés d’intelligence artificielle – déjà un cauchemar pour certains. Naturellement, ils conspireront pour éliminer les humains inefficaces, peut-être de la façon dont nous traitons nos bébés non-désirés, ou maintenant nos incurables sans avenir.
Peut-être que les humains restants demanderont vraiment l’euthanasie. Les gentils robots seront obligés de soulager leur souffrance.
Ici, cependant, je prends congé de l’horreur. Bien que les choses puissent aller mal – très mal dans un futur prévisible, plus mal que maintenant – le pire n’arrivera pas. Car même si presque universellement niée, la vérité restera la vérité, le bien restera le bien et ainsi de suite. Il n’y a rien de semblable à une tendance durable, que ce soit parmi les humains ou parmi les machines.
Prenez les hommes et les femmes. Ils SONT, tout simplement. Tôt ou tard, ils reviendront nous gifler sur les deux joues.
David Warren est ancien rédacteur en chef du magazine Idler et chroniqueur dans des journaux canadiens. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.
Illustration : La « Pascaline », inventée par Blaise Pascal en 1645, a été la première calculatrice. Celle-ci est une copie. [Musée de l’Histoire de l’ordinateur, Mountainview, Californie]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/05/10/not-to-be-alarmed/