Alors que j’atteignais la majorité, j’ai vu et entendu l’histoire se faire. C’était à l’époque où Michael Novak faisait l’histoire — une belle histoire de passage à l’âge à sa manière, que l’on trouve en entier dans son nouveau mémoire élégant et distrayant, Ecrit de gauche à droite : mon chemin de libéral à conservateur.
C’est le haut-parleur grésillant de mon école qui m’a appris la nouvelle de l’assassinat de John F. Kennedy, et j’ai vu Ruby tirer sur Oswald sur une télévision en noir et blanc. Un ami a appelé ma résidence d’étudiant pour me dire que le Docteur King avait été tué d’un coup de fusil, et — deux mois plus tard seulement — j’ai entendu sur ma radio transistor la nouvelle de la mort de Bobby Kennedy.
Il y avait aussi cette guerre que nous suivions tous aux nouvelles du soir, comme si nous pique-niquions à Bull Run1
Mais la vie de Monsieur Novak entrecoupait directement tout ceci. Le 22 novembre 1963, il couvrait Vatican II, et partageait un lugubre dîner avec sa femme bien-aimée, Karen, et avec John Cogley le rédacteur du célèbre « Discours de Houston » de JFK — et le socialiste Michael Harrington, auteur de L’autre Amérique.
A cette époque, Michael Novak était un homme de gauche.
Parmi les histoires des années soixante qu’il raconte, il y a celle où il appelle son ami Eugène McCarthy pour lui dire qu’il a décidé de soutenir Bobby Kennedy en 1968. Mr. Novak était à l’Université de Stanford quand Bobby l’a appelé juste avant les primaires de Californie pour lui demander de venir en avion à Los Angeles pour être avec le clan quand les résultats arriveraient. Novak s’excusa ; nous nous souvenons tous de ce qui est arrivé ce soir-là.
Plus tard, il a travaillé avec Sargent Shriver pour faire élire les Démocrates au Congrès. Entre les arrêts de la campagne, les deux hommes ont eu de nombreuses et longues conversations au sujet d’auteurs catholiques et de théologie. Novak admirait la décence catholique fondamentale de Shriver.
George McGovern et Jimmy Carter lui demandaient conseil parce que Michael Novak était encore un homme de gauche dans les années soixante-dix.
Mais alors sont arrivés Ronald Reagan, Margaret Thatcher et Jean-Paul II.
Michael, qui est notre collègue, un des fondateurs de The Catholic Thing, écrit : « J’ai vu de mes propres yeux les résultats presque immédiats du passage de la politique économique de Carter à celle de Reagan. » Les entreprises prirent de l’essor, « l’impôt créatif et le régime réglementaire » de Reagan ont permis la création de petites affaires, et l’emploi a grimpé. Le climat favorable a propulsé soudain l’émergence de nouvelles technologies.
La visibilité de Michael a grandi aussi, tellement que, tout en continuant à écrire prodigieusement, il se lança dans la nouvelle carrière de diplomate — pour Reagan et pour Bill Clinton.
Aujourd’hui, notre brève période de prospérité et de paix est arrivée à sa fin, marquée symboliquement, si ce n’est en fait, par 9-11. Des plans de redressement économique « prêts à démarrer » et des politiques étrangères de creusement de fossés nous rappellent que si le trou continue à s’approfondir, il faut cesser de creuser. Comme Michael l’écrit judicieusement, l’ennui avec les étatistes est qu’ils continuent à creuser « jusqu’à ce que l’état ait épuisé l’argent des autres. »
La genèse de toute transformation politique est difficile à déterminer exactement, mais quand Michael a publié La montée des ethnies inassimilables en 1972, et quand les deux partis politiques ont pris note de ses arguments, il s’est passé quelque chose qui, franchement, l’a blessé. Ses camarades « libéraux » l’évitaient :
Je n’avais jamais compris auparavant comment fonctionne l’excommunication dans le monde – comment on peut être banni efficacement du badinage innocent des anciens cercles de confiance, comment même les vieux amis changent le cours de la conversation lorsque l’on s’approche, signalant par une certaine froideur que votre présence n’est plus souhaitée.
Il remarque qu’il était bon qu’il soit encore jeune : « On a besoin d’être résistant plus tard. »
Dans Les ethnies inassimilables, Michael, lui-même appartenant à une ethnie (slovaque-américain), avait aidé à redéfinir, directement ou indirectement, les stratégies politiques de candidats de McGovern à Nixon en insistant qu’il n’existe pas un seul « homo Americanus ». Mais E pluribus Unum est — doit être très réel. Quelle tristesse alors pour lui d’assister à la descente de la spirale du multiculturalisme, qui « emprunte la logique du relativisme pour attaquer la tradition du Unum”.
Malgré sa prétention au relativisme, le multiculturalisme est en fait violemment hostile à certaines cultures, en premier lieu la nôtre, avec notre vision juive et chrétienne de « l’unique et des nombreux », notre croyance que les peuples différents du Créateur unique sont tous tenus aux mêmes normes transcendantes.
Il écrit que la culture est plus importante que la politique ou l’économie. La culture, plus que les sujets brûlants du jour, est ce qui touche les cœurs et émeut les âmes. Spécialement dans ses dimensions morales et religieuses, la culture est ce qui motive les décisions de personnes réelles. Qu’est le Credo sinon une déclaration culturelle profonde ?
Ce sont les articles de foi du Credo qui motivaient trois personnes qu’il connaissait : Reagan, Thatcher et Wojtyla — il en a fait des portraits d’une remarquable finesse : la sienne et celle des autres — comme dans la déclaration de Jeane Kirkpatrick qui lui disait que Ronald Reagan était « l’homme le plus rassuré en présence des femmes qu’elle avait jamais rencontré. »
Margaret Thatcher l’a félicité pour son livre L’esprit du capitalisme démocratique. « Vous faites le travail le plus important du monde. » lui a-t-elle dit chaleureusement. Le grand Irving Kristol, qui connaissait déjà Margaret Thatcher, se tenait tout près ; il s’est éclairci la gorge d’une façon théâtrale. « Vous aussi, Irving » a-t-elle lancé en riant.
Quelques années plus tard, au 10 Downing Street, elle lui a montré un exemplaire de son livre aux pages cornées et marqué de ses notes.
Jean-Paul II confia une fois à George Weigel : « Novak dit qu’il est Slovaque, mais en fait il est Polonais. » (Longue histoire.)
A une entrevue avec le pape une fois Michael amena Karen, magnifique sculpteur, qui offrit au Saint-Père un crucifix en bronze. Jean Paul étudia le visage de notre Seigneur, Son dos arqué. Les Novak furent stupéfaits d’entendre le pape déclarer : « Exactement sur le point de mourir. » ce qui était exactement l’intention de l’artiste.
Michael termine le livre en décrivant le rôle qu’il a joué en aidant à clarifier certains points de la magnifique encyclique du pape, Centesimus Annus.
« Dans la vie, la chose la plus importante, dit G.K. Chesterton, c’est de savoir si vous acceptez les choses comme normales ou si vous les acceptez avec reconnaissance. » Michael Novak — érudit, diplomate, économiste, fan de sports, philosophe, démocrate, conservateur, théologien, écrivain, mari et père — n’a jamais rien considéré comme normal, ce dont ses lecteurs lui sont très reconnaissants.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/words-of-gratitude.html